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Au Sénégal, Sylvie, 18 ans, féministe de brousse

Série : Un combat pour la vie (5). Mariages précoces, mutilations génitales... La jeune Sénégalaise arpente les quartiers et fait l’éducation sexuelle des ados de Kolda, dans le sud du pays.

Par  (Kolda, Sénégal, envoyé spécial)

Publié le 04 août 2016 à 08h57, modifié le 12 août 2016 à 10h05

Temps de Lecture 5 min.

Sylvie, 18 ans, sillonne sa ville de Kolda pour sensibiliser les jeunes de son âge sur l’éducation sexuelle et les questions de société.

Dans les quartiers périphériques de Kolda, tout le monde connaît son nom et sa silhouette. Sylvie, la jeune fille qui porte l’ibadou, ce voile ouest-africain qu’elle noue autour de son visage et fixe d’une broche dorée. C’est sa marque de fabrique, son « atout vestimentaire », dit-elle avec un certain sens de la communication.

Sylvie, 18 ans, petit bout de jeune femme de 1,55 m, est la présidente d’un club qui sensibilise les adolescentes aux risques d’une grossesse précoce, d’un mariage forcé, de la déscolarisation et de la dépendance financière qui s’en suivent. Avec son équipe, elle sillonne les venelles poussiéreuses de cette ville de Casamance, dans le sud du Sénégal. Sylvie organise des « causeries » dans ces quartiers de briques et de torchis des banlieues de Kolda, une brousse urbaine trop vite construite pour les nouveaux arrivés de la brousse, justement. Elle fait du porte-à-porte et, pour se faire accepter, a d’abord dû se faire remarquer. « Il faut que les gens nous reconnaissent et sachent à qui s’adresser quand ils ont des questions de SSRAJ », dit-elle. Comprendre : des questions sur la santé sexuelle et reproductive des jeunes et des adolescents. « A nous ensuite de les conseiller ou de les aiguiller vers les structures qui les prendront en charge. »

Sujets sensibles

Mais qu’est-ce qui fait courir Sylvie ? « Très tôt je me suis rendu compte qu’à Kolda, il y avait beaucoup de grossesses et de mariages précoces, que les mutilations génitales continuaient. Je me suis dit pourquoi ne pas être la fille qui aidera la ville à inverser la tendance ? Je sais bien que je ne pourrai pas éradiquer seule ces fléaux, mais je me suis juré de m’y donner corps et âme. »

À 12 ans, elle va frapper à la porte du centre d’adolescents de Kolda et y rencontre Babacar Sy, le directeur, dont elle deviendra le bras droit. Très vite, il s’attache à cette ado hyperactive, curieuse, qui ne cesse de le questionner sur la santé reproductive. Il la prend sous son aile, la forme, l’emmène dans les quartiers. « Un jour, après une causerie, j’ai dit à l’animateur que la prochaine fois, ce serait moi qui animerai la causerie, dit-elle. La semaine suivante, il m’a prise au mot. J’avais 13 ans, je tremblais, mais j’ai été assez convaincante. Depuis, j’organise mes activités de sensibilisation toute seule. »

Une causerie se déroule ainsi : dans les écoles ou dans les quartiers, à l’ombre d’un baobab, elle invite des adolescents, des adultes, souvent leurs parents, sert le thé, projette parfois un film sur la thématique du jour avant d’engager la discussion sur le bien-fondé des mariages d’enfants, des grossesses précoces ou des mutilations génitales féminines. Des sujets sensibles dans cette région du Sénégal où ces pratiques sont encore fréquentes. A Kolda, une fille sur cinquante est concernée par une grossesse précoce. « Au début, les retours étaient parfois hostiles, se souvient-elle. Certains adultes n’aiment pas que des adolescents remettent en question ces pratiques coutumières ou leur donnent des conseils. Mais nous le faisons toujours avec un grand respect. Cette adversité m’a aussi permis de me forger. »

Que des hommes adultes

L’an dernier, Babacar l’a prise avec lui à la radio pour qu’elle observe son émission sur les mariages précoces. À la fin, étonnée, elle lui demande pourquoi ce sont des hommes adultes qui débattent de problèmes qui concernent les femmes mineures. « Pourquoi ne me laisserais-tu pas m’occuper de cette émission ? Les filles se sentiraient davantage concernées. » Babacar est dubitatif. « Il me trouvait trop farfelue pour me laisser les rênes. Mais la semaine suivante, il m’a invitée pour voir comment je me débrouillais. »

Sylvie en pleine « causerie » avec des adolescents de Kolda.

Depuis, chaque samedi de 15 heures à 16 heures, elle dirige l’émission qu’elle a renommé « Espace des adolescents » sur Surnaforé FM, une radio communautaire de Kolda. Elle y invite des jeunes pour débattre de leurs problèmes avec des parents et des spécialistes des questions de santé, « comme l’inspecteur médical des écoles ». Sont aussi abordés des sujets de société comme les styles vestimentaires, la morale, la démission parentale.

Depuis qu’elle tient le micro, des jeunes qu’elle ne connaît pas l’interpellent. « C’est toi Sylvie ! Comment tu vas ? On peut venir à ton émission ? Tu veux pas organiser un micro-trottoir chez nous ? » Cette vie de militante et d’animatrice, Sylvie la mène en même temps que sa scolarité. « À Kolda, on va à l’école de 8 heures à 14 h 30 puis on est libre tout l’après-midi, dit-elle. Mais cette année est spéciale : elle passe le bac. Le temps de se préparer ? « On gère, on gère », lance-t-elle.

Sylvie, si elle a des allures de jeune pousse féministe, n’en respecte pas moins ses parents. « Mon père est constamment en déplacement. Il travaille dans la communication. Mais, même à distance, il trouve le temps de m’encourager au téléphone. C’est à lui que je dois ma motivation. Ma mère est aussi un soutien quotidien. À chaque fois qu’elle se rend dans des postes de santé ou des hôpitaux, elle me rapporte des livres de médecine et de santé. »

En plus de ses parents, Sylvie considère Babacar comme un proche, un père spirituel qui lui a « tout appris ». Son rêve ? Devenir journaliste, animer et produire sa propre émission de télévision sur la santé et l’éducation sexuelle. « Ce que j’aime, c’est établir un dialogue très personnel. En quelques heures, les gens nous confient leurs secrets les plus intimes. ». Passer du micro à l’écran, parce que les images, dit-elle, « ont cette force de conviction, cette capacité à prouver aux gens l’existence des problèmes que nous abordons ». Un travail dont elle sait que l’aboutissement dépendra des efforts quotidiens des milliers de relais communautaires, de médecins, d’animateurs et d’humanitaires. Elle fait sa part, avec sa maxime en bandoulière : « Si tu n’as pas la chance d’avoir la même formation que moi, je ferai en sorte que tu aies la même information. »

Prochain épisode : « Pour contrer une résurgence d’Ebola, il faut multiplier les exercices de simulation ».

Cet article est un épisode de la série d’été du Monde Afrique, « Un combat pour la vie », qui va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad, 4 000 km que notre reporter Matteo Maillard a parcourus entre avril et juin 2016.

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