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Nous ne sommes pas égaux face aux situations stressantes. Certains réagissent bien et ne s’inquiètent pas trop, d’autres perdent leurs moyens et deviennent anxieux. Et même une personne très « forte » à une période de sa vie peut sombrer dans la dépression à une autre. La vulnérabilité et la résilience individuelles face aux maladies neuropsychiatriques comme la dépression et l’anxiété sont très variables. D’où viennent ces différences ? Et quels sont les facteurs de résilience ? Clémentine Bosh-Bouju, Thomas Larrieu et leurs collègues de l’INRA à Bordeaux et de l’INSERM à Marseille ont en grande partie répondu à ces questions en identifant un mécanisme cérébral de résistance au stress chez les souris. Un mécanisme relié à notre consommation d’oméga-3, ces « bons » acides gras – pour la santé cardio-vasculaire en particulier – que l’on trouve dans les poissons gras comme le saumon, ainsi que dans les graines de noix, soja, colza… et dans le régime méditerranéen.
Mais le chemin est tortueux entre notre assiette et notre moral, et croise notamment les endocannabinoïdes, des molécules proches du cannabis naturellement présentes dans le cerveau. En effet, les chercheurs avaient déjà montré en 2011 que moins des souris mangeaient d’oméga-3, moins leur cerveau produisait d’endocannabinoïdes, et plus elles étaient stressées. On sait aussi que les concentrations sanguines d’endocannabinoïdes diminuent quand une personne souffre de dépression et qu’un taux élevé d'oméga- 3 dans le sang est associé à une fréquence moindre des symptômes dépressifs chez les personnes âgées.
Aujourd’hui, Bosh-Bouju, Larrieu et leurs collègues ont découvert le mécanisme cérébral liant les cannabinoïdes naturels à la réaction au stress. Tout comme nous, les souris ne sont pas égales face au stress. Les chercheurs les ont placé pendant 10 jours en compagnie d’un mâle très agressif, de sorte qu'elles avaient ensuite toutes peur de leurs congénères et présentaient des taux sanguins élevés en hormones de stress. Mais environ la moitié d’entre elles, plus résilientes que les autres, ne développaient pas de comportements « anxieux », comme éviter d’explorer un lieu inconnu ou d’entrer dans une boîte éclairée.
Puis les neurobiologistes ont analysé le noyau accumbens de toutes les souris « socialement » stressées – devenues anxieuses ou non. Cette petite structure au centre du cerveau régule les émotions, en particulier la résistance au stress, et les endocannabinoïdes y jouent un rôle important. En effet, ces derniers interviennent dans la plasticité synaptique des neurones du noyau, c’est-à-dire dans la force de leurs connexions, via un mécanisme dit de dépression à long terme (LTD). Quand ils sont produits par les neurones, chez les souris normales (non stressées), les endocannabinoïdes provoquent la LTD dans tous les neurones. Or cette plasticité ne concerne plus que 55 % des neurones chez les souris stressées non anxieuses, et seulement 11 % chez les rongeurs stressés et anxieux. En revanche, en stimulant la production d’endocannabinoïdes dans le noyau accumbens des souris anxieuses, les chercheurs ont rétabli la LTD, et les animaux se sont apaisés.
C’est la preuve que les endocannabinoïdes cérébraux améliorent la résistance au stress en favorisant la plasticité du noyau accumbens. Et comme les souris, nous ne produisons « naturellement » pas tous les mêmes quantités de ces molécules, d’où des vulnérabilités au stress variables. Mais les oméga-3 que nous consommons augmentent leur sécrétion cérébrale, favorisant ainsi probablement la résilience. Ces acides gras n’ont donc pas fini d’être « bons » pour la santé.
