Au coeur d'Ansar at tawhid, le "canal djihad" de Telegram et de Kermiche

[Exclusif] Pour Adel Kermiche, l'application chiffrée Telegram n'était pas seulement un canal de diffusion d'appels au meurtre et de propagande. C'était aussi un moyen de nouer des contacts avec d'autres cyber-djihadistes. Car l'application, au même titre que Twitter, Facebook ou Instagram, est un lieu de rendez-vous privilégié pour les partisans de Daech et d'Al-Qaïda qui tentent de s'organiser.

Appels au meurtre ou au départ pour la Syrie, apologie du terrorisme... La chaîne ultra-radicale et violente Ansar at tawhid (AAT) a été un temps l'une des plus populaires dans la sphère djihadiste française. Sur ce "forum" de connaisseurs, les administrateurs ne communiquaient pas secrètement mais s'exprimaient à l'attention de plusieurs centaines de personnes.

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Selon les documents que s'est procurés L'Express, le terroriste de Saint-Etienne-Du-Rouvray, a notamment échangé avec les créateurs de cette chaîne. Celle-ci a été fermée quelques heures après l'attentat d'Adel Kermiche et d'Abdel Malik Petitjean. L'Express a pu en consulter des extraits.

Ce canal aurait aussi inspiré le discours que le terroriste de Magnanville Larossi Abballa a prononcé dans sa vidéo de revendication, indique le site de Memri, l'association spécialisée dans les questions du Moyen-Orient. Une partie des cibles désignées par le tueur de policiers y figure, et divers termes employés. La chaîne mentionne aussi la possibilité de faire le djihad avec "un couteau de cuisine", arme utilisée par Larossi comme Kermiche.

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Avec plus de 400 abonnées -dont Kermiche- cette chaîne "privée" diffusait quotidiennement de nombreux appels au djihad et au meurtre -notamment en France- photos sanglantes à l'appui. La propagande et l'interprétation ultra-radicales du Coran y étaient calquées sur celles de l'organisation Etat Islamique.

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'Adel Kermiche est entré en conflit avec le ou les administrateurs d'Ansar at tawhid. Car quand l'assassin du père Hamel ouvre sa chaîne, le 11 juin 2016, il est pro Al-Qaïda -en conflit avec Daech- ce qui lui est reproché par Ansar at tawhid.

Ses interprétations coraniques et ses frasques avec les "soeurs" sont également vivement critiquées. Les échanges s'enveniment et les protagonistes finissent par s'accuser mutuellement d'être khawarijs [qu'on peut traduire par hérétiques, NDLR].

Mais autour du 20 juillet, soit une semaine à peine avant l'attentat, Adel Kermiche se réconcilie avec ses détracteurs. Dans une série de messages à la fois écrits et audio, il présente ses excuses au "frère de dawla" [Daech, NDLR].

"Il y a quelque temps, j'avais partagé des paroles comme quoi je disais que je pensais que la Dawla, c'était khawarijs, comme quoi il y avait beaucoup d'égarements, comme quoi ils tuaient des musulmans, etc. Ensuite, j'ai fait un peu plus de recherches", dit-il dans l'un de ses messages audio d'excuses.

Kermiche change alors d'attitude du tout au tout. Il se met à partager de nombreux messages de la chaîne Ansar at tawhid, notamment des interprétations coraniques -l'une des sources de leur discorde. Il propose même directement à ses auditeurs de s'abonner à la chaîne. Enfin, il utilise pour photo de profil l'image d'al-Baghdadi, le chef de Daech, marquant définitivement son rapprochement idéologique. De son côté, la chaîne Ansar at tawhid publie un message "bénissant" Kermiche.

Reste à savoir si la ou les personnes derrière Ansar at tawhid ont pu avoir connaissance, voire influencer, le projet d'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray. Ont-ils pu mettre en relation Petitjean et Kermiche, qui se sont parlé pour la première fois sur Telegram à la même période?

Contactée par L'Express, une source proche de l'enquête indiquait mercredi que ce point n'avait pas encore pu être éclairci. Les enquêteurs ont néanmoins retrouvé la trace d'un groupe privé Telegram (mais pas d'une chaîne), portant aussi le nom de Ansar at tawhid et sur laquelle a été diffusée la vidéo de revendication de Petitjean, seul. C'est dans ce groupe privé qu'un individu soupçonné d'avoir exercé "une influence réelle dans le passage à l'acte" des deux tueurs est apparu.