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Tony Parker, souverain poussif

Jeux olympiques de Rio 2016dossier
Basket. Malgré un rendement décevant, le meneur star des Spurs de San Antonio continue de faire la pluie et le beau temps en équipe de France, qui lance ce samedi contre l’Australie son tournoi olympique.
par Grégory Schneider, envoyé spécial à Rio
publié le 5 août 2016 à 19h21

C’est l’histoire d’un meurtre commis alors que tout le monde regarde ailleurs, aveuglé par le crépuscule du seul basketteur français à avoir jamais trôné au faîte du versant américain de sa discipline ; mythe à double face - l’excellence, mais aussi une manière de résistance des sélections envers des clubs privés qui payent les sportifs des millions - dans une France qui finira bien par faire de lui un ministre. Ce crépuscule, c’est celui de Tony Parker.

A Rio, le meneur de l’équipe de France, 34 ans, est lancé dans une der des ders. Renvoyant à un fantasme maintes fois rabâché, une boucle cosmique : cette campagne olympique, qui débute face à la sélection australienne samedi, doit faire écho au titre européen décroché par Parker, Ronny Turiaf, Boris Diaw et compagnie chez les juniors en 2000, un lycée papillon - l’amitié, le jeu, l’insouciance - transbahuté dans le (très) grand monde. Parker est sur la fin. Les chiffres le disent : une saison 2014-2015 avec le pire ratio de passes décisives par match (4,9) depuis sa première année aux Spurs de San Antonio voilà quatorze ans, une saison 2015-2016 avec le moins bon total de points marqués (11,9) par rencontre depuis ces mêmes débuts. Le prix de l’usure. Et l’ordre des choses, même s’il faut bien - compte tenu de l’aura du joueur - rhabiller le déclin en profil «plus gestionnaire», «plus collectif», comme si le prodige avait oublié de l’être ne serait-ce qu’un seul jour sous la poigne d’acier du coach texan Gregg Popovich.

Le meurtre, symbolique, c’est celui du meilleur marqueur français de la saison en NBA (le championnat professionnel nord-américain) qui vient de s’achever : Evan Fournier, ailier ou arrière au Orlando Magic, écarté le 12 juillet quand la liste des sélectionnés a été annoncée sur la lancée d’une qualification olympique acquise à Manille aux Philippines. Sans Fournier, il est vrai : il négociait alors aux Etats-Unis un contrat qui lui vaudra finalement 85 millions de dollars (76,5 millions d’euros) sur cinq ans. Un motif d’absence récurrent chez les vedettes du basket. Et parfaitement admis : même Parker, éternel héraut de la cause tricolore, s’était fait porter pâle au Mondial 2014 pour sécuriser le deal le liant aux Spurs.

Inéluctable prédation

C'est peu dire que l'encadrement tricolore a peiné pour justifier l'éviction de Fournier. Le directeur technique national, Patrick Beesley, a évoqué «un pari». Quant au sélectionneur, Vincent Collet, il a mis dix jours (!) pour s'exprimer là-dessus et plaider «un engagement» pris avec les joueurs présents à Manille, «sans lesquels on n'allait pas aux Jeux». Un raisonnement spécieux puisque le pivot des Utah Jazz Rudy Gobert, absent à Manille, a suppléé Adrien Moerman sans que ça fasse un pli. Il faut comprendre que si Fournier n'est pas à Rio, c'est que d'autres y sont à sa place. Antoine Diot par exemple, proche de Tony Parker. Ou encore Charles Kahudi, qui vient de donner un titre de champion de France à l'Asvel (le club de Lyon-Villeurbanne), dont ce même Parker se trouve être le président. Difficile de ne pas y voir l'influence de la superstar du basket français, le profil docile - Fournier est une tête brûlée, ou du moins l'était - des deux hommes ne gâchant rien.

Dans la foulée, la sélection tricolore a ramassé des piles (défaites face aux Serbes, aux Croates et aux Argentins) lors de sa préparation. Ça ne veut pas dire qu’il y a un lien, mais c’est possible. L’équipe de France se trouve en vérité dans une zone franche, à l’interface de la politique, du calcul à plus ou moins long terme, de la construction philosophique d’un collectif - des vedettes et des soutiers - et, surtout, de ce que l’on doit au plus grand joueur de l’histoire du basket français à ce moment-là du film. Parker a tous les droits. S’en offusquer revient à s’abandonner à l’amnésie. Quatorze années qu’il se fade des suppléments estivaux en équipe de France après des saisons NBA à 100 matchs, tout ça pour gagner le droit de se justifier devant des journalistes s’étonnant de l’avoir vu en échec contre la Grèce ou la Slovénie.

Il y a aussi ces humiliations subies, comme à l’été 2006, quand son club de San Antonio l’avait contraint à des allers-retours entre le Texas et le Japon pour des examens médicaux que le staff tricolore aurait tout aussi bien pu transmettre par mail sans que le joueur ne monte dans l’avion. Et ces histoires secrètes et glorieuses, celles d’un Parker remboursant de sa poche les Spurs du montant de la quote-part d’assurance (au prorata de son contrat de 12 millions de dollars par an, on parle ainsi de dizaines de milliers de dollars) correspondant au temps passé par lui en sélection parce que sa fédération n’en a pas les moyens.

Subsiste ainsi l’idée d’une histoire hors du commun, contredisant même son époque et l’inéluctable prédation du sport privé (les clubs) sur son pendant public (les sélections) dans une sorte de grand silence, le joueur ne s’épanchant jamais publiquement là-dessus - ni sur grand-chose. Cet hiver, Parker avait maladroitement laissé entendre que la naissance de son deuxième enfant, survenue fin juillet, pouvait le priver du tournoi olympique : dans le milieu, l’émoi n’avait pas tant porté sur la perte sportive que sur le brusque basculement people d’un soldat de l’ombre et les risques afférents pour son image et sa stature, ce qui n’est pas facile à admettre quand on garde en tête ses noces hollywoodiennes dans les jardins du château de Vaux-le-Vicomte en 2007 avec l’actrice Eva Longoria, sa première femme. Parker est au bout. Bientôt, il cornaquera depuis un bureau son club de Villeurbanne sur les sentiers de l’Euroligue, un graal se refusant au basket français depuis un quart de siècle.

L’idée est donc de l’accompagner jusqu’à la ligne d’arrivée en bon ordre. Après, personne n’est dupe : à Manille, c’est son coéquipier Nando de Colo, déjà joueur de l’année en Euroligue, qui est reparti avec le trophée de MVP (Most Valuable Player) du tournoi. En demi-finale, Vincent Collet avait vendu à Parker un temps de jeu limité pour lui permettre d’apparaître en majesté lors du dernier match contre le Canada : Parker avait inscrit 23 points, et les apparences furent sauves.

Un épisode qui remet le gestionnaire, Collet, au centre de la pièce. Ce qui revient à remettre Parker lui-même puisque la nomination du Normand à la tête des Bleus en 2009 devait tout à un joueur star qui, sidéré par la parenthèse Michel Gomez - du nom de ce sélectionneur sépia qui avait poussé l’exploration managériale jusqu’à sortir Parker du cinq majeur (l’équipe débutant les matchs) pour lui apprendre à relativiser -, avait assumé l’exercice du pouvoir. Ce qui revient à ouvrir ou fermer la barrière défendant l’accès au groupe tricolore. On avait interrogé Collet en 2013 sur l’apport de Parker, ou plutôt ce qu’il pensait de son joueur star, qui doit jongler avec son emploi du temps de ministre lors des préparations.

La réponse fut sans équivoque : «Allez plutôt demander à Parker ce qu'il pense de moi.» A prendre au pied de la lettre. Une forme d'honnêteté intellectuelle chez cet homme à la transparence un peu raide, ce qui donne toujours beaucoup de poids à ce qu'il exprime.

Et qui dessine, in fine, la véritable histoire lors de ce tournoi, plus ou moins conforté - quoi qu’on dise - par les matchs de préparation perdus, même si le groupe tricolore recèle suffisamment de bêtes de compétition pour montrer tout autre chose les deux prochaines semaines : conclure au mieux cette expérience sans précédent dans le basket hexagonal où une superstar donne tant et plus pour tirer seul une discipline formatée depuis un siècle par un fonctionnement relevant à la fois du patronage et de l’éducation, sommée de faire sa révolution pour digérer l’irruption d’une icône du sport spectacle.

Boucler la boucle

On peut aussi prendre l’affaire par les sentiments : le titre européen chez les juniors et la boucle à boucler. «L’Equipe Explore» a fait le tour des protagonistes de l’époque et le résultat est parfois bouleversant. Opéré du cœur au fil d’une riche carrière en NBA, Ronny Turiaf est aujourd’hui à la recherche d’un club. Gaëtan Müller, très proche d’un Tony Parker avec lequel il a grandi en Normandie, a été placé par celui-ci au poste de président délégué de Lyon-Villeurbanne, le maillot et le short contre un costume cravate. Incapable de passer le cap athlétique du monde professionnel, le pivot Robert Michalski est aujourd’hui consultant dans un cabinet de conseil en management et organisation. Guillaume Szaszczak tient un magasin de sport à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Tony Parker a compris depuis longtemps qu’il était sur un parquet pour porter beaucoup plus que lui-même.

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