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Gangs

A Rio, les résultats très incertains de la «pacification» des favelas

Jeux olympiques de Rio 2016dossier
Le déploiement d'une sorte de police de proximité avait suscité beaucoup d'espoirs. Mais à l'approche des Jeux, les méthodes de ses membres se sont radicalisées.
par Chantal Rayes, correspondante à São Paulo
publié le 7 août 2016 à 12h19

Caïds en embuscade, échanges de tirs et bavures policières : à Rio, la politique de «pacification» des favelas en vue du Mondial 2014 et des JO, est en crise. A partir de 2008, 38 unités de police pacificatrice (UPP) ont été installées dans 174 favelas (sur le millier que compte la ville), situées en zone touristique ou proches des stades. Pas moins de 9 500 hommes y sont déployés. Mais cette tentative de reprise en main de quartiers longtemps abandonnés aux narcotrafiquants armés n'a pas tenu ses promesses.

Chassés, en principe, de ces bidonvilles, les gangs tentent désormais de regagner le terrain perdu en prenant pour cible les membres des UPP. Les ratés de la pacification, qui sapent le soutien populaire, leur ont permis de partir à l'offensive. Car les «pacificateurs» sont eux-mêmes accusés de céder aux méthodes brutales de la police de Rio. Les organisations de défense des droits de l'homme, telles qu'Amnesty International, ont d'ailleurs dénoncé une recrudescence de la répression policière dans les favelas, pacifiées ou non, à l'approche des Jeux.

Réconcilier les ghettos et l’«asphalte»

Tout avait pourtant bien commencé. Avec l'installation des UPP, de nombreux caïds avaient pris la fuite et les armes lourdes avaient été saisies. Les règlements de comptes sanglants entre factions rivales et leurs affrontements avec la police étaient donc en franc recul. Jusqu'en 2014, le nombre d'homicides avait chuté de plus de 65% dans les favelas «pacifiées», et celui des victimes d'affrontements avec la police de 85%. L'accalmie est même parvenue, un temps, à réconcilier ces ghettos avec l'«asphalte», c'est-à-dire, la ville officielle. A Rio, c'était l'euphorie. Enfin une politique de sécurité qui marchait ! Depuis les années 80, la police enchaînait sans succès les incursions violentes dans les favelas. Cette fois, elle était là pour rester, mais dans un rôle de «police de proximité». Une reconversion difficile.

«On a trop attendu des UPP», observe leur ex-coordinateur, le colonel Robson Rodrigues, qui évoque «une expérience de sécurité communautaire inédite dans le monde de par son échelle et sa complexité». «Les favelas sont des territoires où l'Etat n'a pas de légitimité, et où la police a coutume d'agresser et d'extorquer les gens, poursuit-il. Or c'est à cette police qu'on a confié la mission d'y implanter une gestion participative, sans toutefois la débarrasser de ses travers. Malgré tout, dans certaines favelas et à force de volontarisme, les UPP ont su développer une relation amicale avec les habitants. Mais dans les bidonvilles où ils risquent d'être attaqués, les policiers ne sont pas parvenus à faire de la proximité.» «On a baissé les bras trop vite», explique Silvia Ramos, coordinatrice du Centre d'études sur la sécurité et la citoyenneté à l'université Candido-Mendes de Rio. Pour la chercheuse, il aurait fallu miser sur le renseignement pour venir à bout des foyers de résistance qui ont élu domicile dans les favelas les plus grandes. Symbole de ce qu'elle qualifie de «retour aux vieilles méthodes» : l'affaire Amarildo, cet habitant de la Rocinha, la plus grande favela de Rio (70 000 habitants), enlevé et torturé à mort, en 2013, par des membres de l'UPP à la recherche d'une planque d'armes. Son corps n'a jamais été retrouvé. Difficile, dans ces conditions, de gagner la confiance des favelados. D'autant que le versant «social» de la pacification – amélioration des services publics, installation d'équipements de loisirs – est resté lettre morte.

Regain de violence généralisé

«Ce chantier était censé transformer les bidonvilles en quartiers populaires, mais il a été interrompu, l'organisation des JO ayant monopolisé l'investissement public», regrette encore Silvia Ramos. Tout n'est pas perdu pour autant, selon elle : «Le nombre d'homicides à Rio reste beaucoup plus bas qu'avant les UPP.» Mais le regain de violence est désormais généralisé. La crise du modèle «pacificateur» n'en est pas la seule cause. L'Etat de Rio, qui souffre de la chute des recettes du pétrole, a été contraint à des coupes drastiques dans le budget de la sécurité publique. «En la matière, Rio fait un travail horrible, terrible», a lâché, début juillet sur CNN, le maladroit maire de la ville, Eduardo Paes. Les touristes venus pour les Jeux n'auraient toutefois rien à craindre. Les bandidos ont coutume d'observer une trêve pendant les grands événements internationaux qu'accueille la ville. Et un dispositif pléthorique de près de 85 000 hommes (dont 38 000 soldats) est déployé sur place.

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