Quand Beyoncé a sorti Lemonade [en avril], elle a pris l’Amérique par surprise. Non parce que l’album est sorti un samedi soir sans préavis, ni parce qu’il a alimenté les spéculations sur l’état de son mariage [avec le rappeur Jay Z], mais parce que la chanteuse y crachait une colère assumée.

Alors que la musique populaire joue traditionnellement le rôle de baromètre culturel du mécontentement des jeunes, et que presque toutes les évolutions importantes de la pop, du rock et du hip-hop sont nées d’un sentiment de désillusion ou d’indignation, la pop est aujourd’hui l’un des rares domaines de la culture américaine où la colère se fait rare.

La pop fait la fête tandis que le monde brûle

L’électro, cette musique festive, souvent sans paroles, est celle qui attire incontestablement le plus de monde sur les festivals depuis quelques années. Drake, le rappeur le plus connu aux Etats-Unis, est un Canadien consensuel. Et, si vous êtes davantage branché R & B, The Weeknd, lui aussi Canadien, passe en revue tous les moyens de vous sentir nul pour avoir trop festoyé la veille.

La pop réussit à faire la fête tandis que le reste du monde brûle, et pendant ce temps ce sont la télévision et le cinéma qui se chargent de plus en plus souvent de mettre en scène la colère d’une classe moyenne en perte de vitesse (voir Breaking Bad), le racisme institutionnel (voir Selma et Fruitvale Station) et l’abrutissement général causé par une indigestion de mauvaises nouvelles (Mr. Robot, Unbreakable Kimmy Schmidt).

Black Lives Matter, le sursaut ?

“Toute époque a sa musique pour s’évader. Dans les années 1950, ça a été la pop qui a suivi Little Richard”, explique Billie Joe Armstrong, chanteur de Green Day, le dernier grand groupe de rock à avoir, avec American Idiot, en 2004, hissé un album plein de fureur et d’indignation dans le top 10. “Après la turbulence des années 1960, nous avons eu la daube des années 1970 – de la musique tranquille et ennuyeuse, beaucoup de sonorités naturelles –, et puis