Aux JO de Rio, les journalistes de France Télévisions sabotent nos “chances de médailles”

Par Samuel Gontier

Publié le 09 août 2016 à 17h25

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h55

«La France est derrière le Kosovo et le Vietnam. » Commentant lundi midi le classement des médailles olympiques, une journaliste d’iTélé résume l’humiliation nationale. Sur France Télévisions, Laurent Luyat se démène pour conjurer le sort. Samedi : « Ce sera fantastique ce soir, peut-être une première médaille française en escrime. » Dimanche : « On espère cette nuit les premières médailles françaises. » Lundi : « Il y a de sérieuses chances de médaille cet après-midi en sabre. » Et cette médaille sera doublement historique : « N’oubliez pas notre Française en escrime, peut-être la première médaille de l’histoire du sabre féminin. » Celle-là, ni les Vietnamiens ni les Kosovars ne peuvent y prétendre.

A l’heure de la demi-finale du sabre, Laurent Luyat réitère : « Il y a un moment important maintenant parce qu’il y a une médaille en jeu pour la France. » Les moments sont moins importants quand il y a une médaille en jeu pour le Kosovo ou pour le Vietnam. Las, Manon Brunet perd sa demi-finale puis son duel pour la troisième place.

Une nouvelle fois, une athlète en pleurs se présente au micro de la journaliste, qui lui pose une question devenue rituelle : « Qu’est-ce que vous ressentez, la fierté d’avoir réalisé un très beau parcours ou la déception de la défaite ? » Si les organisateurs attribuaient des médailles pour les « beaux parcours », la France dominerait largement le Kosovo et le Vietnam réunis. Faute de quoi, il ne reste plus qu’à prendre rendez-vous pour les Jeux de Tokyo : « Vous n’avez que 20 ans et vous êtes l’avenir de cette discipline. »

Quelques heures plus tard, interrogeant Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français, le journaliste Lionel Chamoulaud récapitule : « On a raté pas mal de choses en escrime ; en judo, le compteur n’est pas ouvert. Pour les sports co, les débuts sont difficiles ; le tennis, ça ne se passe pas très bien. » Afin d’accroître nos chances, il faudrait inscrire la pétanque au programme des JO. Quoique… Certaines de nos anciennes colonies excellent dans cette discipline. Le Vietnam, par exemple.

« Demain, épée masculine », annonce Laurent Luyat. « Traditionnellement, précise son collègue Brice Guyart, c’est l’arme qui a rapporté le plus de médailles à l’escrime française. Après, on voudrait surtout pas leur porter la poisse. » Tiens, voilà peut-être une explication. L’insistance des commentateurs de France Télévisions à prophétiser des « médailles françaises » empêcherait de les obtenir, le destin détestant qu’on lui force la main. Pour se rassurer, Brice Guyart rapporte les propos de l’entraîneur des épéistes : « Demain, on fait une médaille. » « C’est aussi ce qu’a dit Céline Géraud en judo », rebondit Laurent Luyat. Sauf que Céline Géraud n’est pas entraîneuse des judokas. Elle est journaliste au Service des sports et, si la règle se vérifie, sa prédiction signifie que les membres de l’équipe de France de judo seront éliminés par les concurrents kosovars et vietnamiens.

« Demain, on peut avoir quatre, cinq médailles, c’est pas impossible, certifie encore Laurent Luyat, sabordant les dernières chances du camp tricolore. Du coup, ça va nous faire du bien, ça va nous faire bondir un petit peu. » Un petit bond en arrière, à coup sûr. La manie d’annoncer des médailles virtuelles handicape forcément nos sportifs, confirme le commentateur des épreuves de kayak : « Quand on est dans les portillons de départ, qu’on est une Française, forcément, on a quand même un petit peu de pression sur les épaules. » Alors que quand on est un Kosovar ou un Vietnamien, forcément, on est totalement serein.

Fuyant les défaites provoquées par les journalistes du service public, je m’en remets aux commentateurs de Canal+, espérant en leur influence positive. J’arrive en plein match de tennis. « On est en direct donc on va pouvoir ausculter Tsonga. » OK, je place mon stéthoscope sur mon téléviseur, profitant d’un gros plan quasi radiologique :

« On a l’impression qu’il s’est complètement tordu le gros orteil. » Et voilà, ça continue. Après le mauvais œil de Laurent Luyat, la malédiction des gros orteils… Notre glorieux tennisman est éliminé non par un Kosovar, ni même par un Vietnamien, mais par un minable Luxembourgeois ! A ce train-là, il va falloir batailler ferme pour finir devant la Principauté de Monaco au classement des médailles.

Une dernière info me procure un certain réconfort. Ancien joueur du PSG, champion du monde avec le Brésil, « Raï, notre ambassadeur sur France Télévisions, a reçu son passeport français des mains du ministre des Sports, Patrick Kanner. Voilà, Raï, nouveau citoyen français. » Ne reste plus qu’à accorder la nationalité française aux Kosovars, aux Vietnamiens, aux Luxembourgeois et aux Monégasques pour briller au tableau des médailles.

Ma vie au poste, le blog de Samuel Gontier
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