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JO 2016 : le retour des bannis crispe les Jeux

La présence aux JO de nageurs revenus d’une suspension pour dopage irrite certains de leurs adversaires. Mais la suspension à vie est-elle juridiquement faisable et moralement souhaitable ?

Par  (Rio de Janeiro, envoyé spécial) et  (Rio de Janeiro, envoyé spécial)

Publié le 10 août 2016 à 11h21, modifié le 10 août 2016 à 13h53

Temps de Lecture 4 min.

La nageuse russe Ioulia Efimova, contrôlée positive à la DHEA en 2013, a gagné l’argent sur le 100 m brasse, le 8 août, à Rio.

S’il a fait un tour à la piscine olympique de Rio de Janeiro pour voir son compatriote Michael Phelps porter à 21 son nombre de médailles d’or, le sprinteur américain Justin Gatlin a pu se faire une idée de l’accueil qui lui serait sans doute réservé au stade olympique la semaine prochaine, pour son entrée en lice. Il semble qu’à Rio plus qu’ailleurs, dans un contexte électrisé par le scandale du dopage organisé en Russie et le repêchage in extremis de plusieurs nageurs russes, les anciens bannis – champion olympique à Athènes en 2004, Gatlin a été suspendu pour un contrôle positif à la testostérone en 2006 avant de faire son retour en 2010 – fassent l’objet d’un traitement de faveur.

De la part du public, qui a largement sifflé la brasseuse russe Ioulia Efimova, deuxième du 100 mètres brasse lundi, comme de leurs adversaires. Dès le premier soir des compétitions, le vainqueur australien du 400 mètres, Mack Horton, a ostensiblement affiché son mépris pour son dauphin chinois Sun Yang. Le surlendemain, Lilly King s’est félicité d’avoir battu Ioulia Efimova « en étant propre », elle. La tension était palpable lors de ces deux conférences de presse.

Sun Yang, star du sport dans son pays et double champion olympique à Londres, a été suspendu trois mois en 2014 pour un contrôle positif à un stimulant. Ioulia Efimova, quadruple championne du monde en individuel, a été contrôlée positive à la DHEA – un stimulant – en 2013. Elle a aussi fait partie de la cascade de cas positifs au meldonium en début d’année, ce dont elle a été blanchie comme beaucoup d’autres.

101 sportifs suspendus pour dopage à Rio

Une phrase suffit à résumer le ras-le-bol de certains nageurs vis-à-vis de leurs adversaires ayant réalisé l’exploit d’être contrôlés positifs, malgré la faiblesse du programme antidopage de la Fédération internationale de natation. Celle du Français Camille Lacourt, mardi soir :

« Je suis très triste de voir mon sport évoluer de cette façon. J’ai l’impression de voir de l’athlétisme avec deux ou trois dopés dans chaque finale. (…) Ça me dégoûte de voir des gens qui ont triché sur les podiums. Sun Yang, il pisse violet ! »

Peu importe que les circonstances du contrôle positif de Sun Yang n’indiquent pas catégoriquement une volonté de se doper – il n’a d’ailleurs été suspendu que trois mois, et l’Agence mondiale antidopage (AMA) a choisi de ne pas faire appel −, comme dans le cas de Frédérick Bousquet, partenaire d’entraînement de Camille Lacourt, suspendu deux mois en 2010. Peu importe aussi que Ioulia Efimova s’entraîne depuis six ans aux Etats-Unis sous les ordres d’un entraîneur, Dave Salo, présent à Rio dans l’encadrement de l’équipe américaine.

Selon le décompte du journal suédois Dagbladet, ils sont 101 athlètes présents à Rio (1 % environ) à avoir déjà purgé une suspension pour dopage, dont trois Français (Bousquet, le pistard Grégory Baugé et le volleyeur Nicolas Maréchal pour défaut de localisation) et plusieurs stars : outre ­Gatlin, citons la reine du 100 mètres Shelly-Ann Fraser-Pryce, le cycliste Alejandro Valverde ou les joueurs de tennis Marin Cilic et Martina Hingis.

Le débat que posent les nageurs en ce début de JO est un serpent de mer de la lutte antidopage : faut-il suspendre à vie les sportifs s’étant rendus coupables d’une infraction à la lutte antidopage ? Yannick Agnel, lors de la dernière conférence de presse de sa vie de nageur, mardi soir, a répondu oui – lorsque le cas est clair :

« Quand quelqu’un prend des stéroïdes, nandrolone et tout ce que tu veux, il le fait pas parce qu’il a eu un rhume ou une sinusite. A un moment donné, il y a une volonté de se doper, et cette volonté-là, pour moi, elle devrait être sanctionnée par un bannissement à vie. »

L’AMA contre la suspension à vie

Le triple vainqueur du Tour de France Christopher Froome s’était prononcé en ce sens en 2013, après sa première victoire. Le débat devrait se poursuivre durant les compétitions d’athlétisme, où les anciens dopés sont légion et dont le président de la fédération internationale, Sebastian Coe, y est favorable.

Mais le code mondial antidopage ne prévoit pas de suspension à vie. Avant son adoption en 2004, une seule fédération internationale l’envisageait : celle d’aviron, historiquement à la pointe de la lutte antidopage. Le président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach, a déjà tenté de priver de Jeux olympiques à vie les auteurs d’une infraction. Le Tribunal arbitral du sport (TAS) l’a déjà refusé à deux reprises, mais Thomas Bach entend retenter sa chance.

L’AMA, elle, est résolument contre. Elle considère que l’introduction dans son code d’une suspension à vie à la première infraction serait rejetée par le TAS, qui a déjà, en 2012, dénié au Comité olympique britannique le droit de ne pas sélectionner des athlètes dont la suspension était terminée. « Pas un seul avocat spécialiste des droits de l’homme ou du droit du sport ne peut suggérer une suspension à vie à la première infraction, disait en 2012 David Howman, alors directeur général de l’AMA. Il faut prendre du recul et regarder la réalité des faits, et non agir dans l’émotion. »

L’introduction d’une suspension à vie – aujourd’hui seulement prévue en cas de trafic ou de récidive – pourrait avoir plusieurs effets pervers : celui de multiplier les appels en justice dans un domaine déjà largement judiciarisé, et ainsi grever un peu plus les maigres budgets consacrés à la lutte antidopage ; diminuer le nombre de suspensions, car la charge de la preuve est d’autant plus importante que la sanction est lourde.

Sur cette question comme sur d’autres, Claude Onesta, le sélectionneur de l’équipe de France de handball, apporte une réponse réfléchie :

« Un système dans lequel le pardon et la capacité à expier ses fautes n’existent pas est un système qui ne peut pas vivre. Qu’à l’issue d’une sanction vous puissiez, après avoir réfléchi, revenir dans un système, et le prendre de manière positive et non plus en trichant, c’est ce qui va permettre de le rendre utile et intelligent. »

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