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Islam de France : pas encore nommé, Chevènement a déjà des idées

Pressenti par l'exécutif pour diriger la future Fondation de l'islam de France, l'ex-ministre se dit prêt à accepter cette «mission».
par Laure Bretton
publié le 15 août 2016 à 17h02

Il n'est pas officiellement nommé. Il prend même soin de préciser qu'il pourrait ne pas accepter le job si sa désignation «devait entraîner des problèmes insolubles». Mais Jean-Pierre Chevènement a quand même un paquet de choses à dire sur la future Fondation de l'islam de France, dont l'exécutif voudrait qu'il prenne la présidence à l'automne. En dix réponses, l'ancien ministre de l'Intérieur enquille dans le Parisien les avis sur le financement des mosquées, la création d'une taxe halal ou le port du burkini, qui se retrouve au centre d'une polémique estivale. Alors que juristes et élus s'écharpent sur le fondement juridique des arrêtés interdisant le burkini – défense de la laïcité, sécurité… –, Jean-Pierre Chevènement estime, lui, que «légalement les choses paraissent assez claires sur le sujet».

Sans passer par la case législative, Jean-Pierre Chevènement avance un argument qui fait florès ces derniers jours : la discrétion. «Le conseil que je donne dans cette période difficile […] est celui de discrétion, explique-t-il. Les musulmans, comme tous les citoyens français, doivent pouvoir pratiquer leur culte en toute liberté. Mais il faut aussi qu'ils comprennent que, dans l'espace public où se définit l'intérêt général, tous les citoyens doivent faire l'effort de recourir à la "raison naturelle".» En gros, pour vivre heureux et en paix, les musulmans de France ont le choix de vivre cachés. Ces propos raviront les partisans d'une loi sur le voile à l'université voire dans l'espace public, qui sont de plus en plus nombreux.

les Français musulmans, «comme les autres»…

Sans prendre en compte le phénomène grandissant des convertis parmi les apprentis jihadistes, l'ancien ministre de François Mitterrand n'évoque que «l'avenir des jeunes nés de l'immigration [qui] est en France et nulle part ailleurs». «Il faut les empêcher de tomber dans l'impasse suicidaire dans laquelle les poussent Daech et les salafistes à la vue courte», insiste Chevènement, qui assène : «Si nous aimons la France, il faut faire des Français de confession musulmane des Français qui, comme les autres, ont envie de travailler à l'essor de la France.»

François Hollande a fait fuiter le nom de Jean-Pierre Chevènement début août au grand dam du ministère de l’Intérieur chargé de toute l’ingénierie de la future fondation depuis des mois. Construite sur les bases de l’ancienne Fondation pour les œuvres de l’islam de France créée en 2005 par le gouvernement Villepin, la Fondation de l’islam de France doit voir le jour en septembre.

Sa raison d’être, un peu sur le modèle de la Fondation de France, n’est pas religieuse mais culturelle. Elle aura ainsi vocation à financer des recherches sur l’islam (thèses ou chaires), à accompagner des projets pour une meilleure connaissance de l’islam ou accorder des bourses aux aumôniers et imams. Le volet cultuel est, lui, à la fois explosif et miné. L’idée consisterait à adosser à la fondation une association cultuelle, dont les statuts ne sont pas encore prêts, qui serait chargée, elle, de financer la construction de mosquées et de salles de prière.

«Républicain laïc»

Nommer à la tête de la fondation un homme de 77 ans, qui fut ministre de la Recherche, de l'Education nationale et de la Défense sous Mitterrand, fervent défenseur de l'identité française et surtout non musulman a fait bondir beaucoup de monde début août. Lundi, Jean-Pierre Chevènement tente d'arrondir les angles sur son rôle et les missions de la fondation. «Le futur président de la Fondation ne sera pas chargé de promouvoir l'islam. Je n'y ai aucun titre, je ne suis pas musulman, je suis un républicain laïc. La laïcité n'est pas tournée contre la religion, elle libère la spiritualité de toute emprise de l'Etat. Je n'entends nullement m'immiscer dans la sphère du religieux», insiste celui qui veut déjà «réfléchir à la création d'un institut de recherche – profane – en islamologie».

Sans se prononcer sur la faisabilité d'une interdiction de tout financement étranger, Chevènement estime que l'islam de France «doit pouvoir se développer avec des fonds français ou, en tout cas, qu'un mécanisme de transparence soit institué en l'absence de tout fléchage de la part des donateurs». Une taxe sur les produits halal, la solution avancée pour compenser l'éventuelle interdiction de fonds étrangers ? «Le service peut être rémunéré, mais il faut d'abord que les musulmans s'entendent sur la certification de ce qui est halal. Et la décision leur appartient», souligne l'ancien ministre de l'Intérieur.

Partisan de l'union nationale face aux menaces terroristes qui pèsent sur la France, Jean-Pierre Chevènement estime que cette mission à la tête de la Fondation de l'islam de France est «tellement d'intérêt public qu'aucun responsable ne peut s'y dérober». «Je ne m'y déroberai donc pas», promet-il. Mais, après la levée de boucliers suscitée par l'annonce de sa nomination, il joue la lucidité : l'homme qui a quitté plusieurs gouvernements socialistes pour cause de désaccord prévient qu'il refusera le poste si sa nomination «devait entraîner des problèmes insolubles qui [le] forceraient à [se] retirer».

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