« Examen à l’anglaise » : on n’est pas obligées d’écarter les cuisses chez le gynéco

« Examen à l’anglaise » : on n’est pas obligées d’écarter les cuisses chez le gynéco

Certains médecins acceptent d’examiner les femmes « à l’anglaise », allongées sur le côté. Une position moins gênante, et une petite révolution dans la relation entre la patiente et son médecin.

Par Renée Greusard
· Publié le · Mis à jour le
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(De nos archives) Discussion avec une amie il y a quelques années : « Tu savais qu’on pouvait se faire examiner sur le côté, chez le gynéco ? »

Elle avait lu « Le Chœur des femmes », best-seller de Martin Winckler. Médecin généraliste, il alimente depuis bientôt dix ans un (génial) site gratuit d’informations médicales portant majoritairement sur la contraception et la gynécologie.

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Ce livre, c’est l’histoire d’une interne en gynécologie, pleine d’ambition et assoiffée d’opérations chirurgicales très classes. Et exaspérée : là voilà obligée « de passer six mois dans une minuscule unité de “Médecine de la Femme”, dirigée par un barbu mal dégrossi qui n’est même pas gynécologue, mais généraliste ! ».

« Allongez-vous en chien de fusil »

Dans ce texte, inspiré de l’expérience de Martin Winckler, on lit cette scène où « le barbu mal dégrossi » demande à son interne (en jean) de s’installer sur la table d’auscultation :

« Allongez-vous en chien de fusil.Je le regarde sans comprendre.– “En décubitus latéral gauche”, dit-il avec un sourire.– Ah ! Je m’exécute sans le quitter des yeux. Il fait le tour de la table se place derrière moi, se penche. Je dois seulement tourner la tête un peu pour le voir.– En Angleterre, on examine depuis très longtemps les femmes dans cette position. Dans le temps, on parlait de “la posture anglaise”. »

Le médecin veut montrer à son interne que cette position présente des avantages. Le principal : sortir la patiente de la gêne. Certaines femmes n’en ressentent aucune au moment de mettre les pieds dans les étriers, d’écarter les cuisses et d’avoir leur vagin à quelques centimètres de la tête de leur médecin. D’autres, nombreuses, ne sont pas à l’aise.

Ne plus être «  offerte  » au praticien

En lisant le livre de Martin Winckler, Borée, médecin de campagne et blogueur, a été séduit par l’examen à l’anglaise. Sur son blog, il explique que la position en chien de fusil décrite n’est pas exactement celle qu’il utilise. Il préfère une position proche mais « plus stable, plus confortable pour la patiente et probablement moins gênante (la patiente a moins l’impression de nous “tendre les fesses”). »

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Borée a accepté que nous reproduisions les schémas qu’il a dessinés pour illustrer sa pratique.

Une vue de haut d'un examen  l'anglaise
Une vue de haut d’un examen à l’anglaise - Borée/DR
Un spculum dans un vagin pendant un examen  l'anglaise
Un spéculum dans un vagin pendant un examen à l’anglaise - Borée/DR

Pour pratiquer un examen à l’anglaise, il faut simplement une table un peu plus large. Et les médecins qui le pratiquent mettent souvent un drap sur la patiente, toujours pour respecter leur pudeur.

Au téléphone, quand je demande à Martin Wincker comment il a découvert cette pratique, il est ennuyé. Il ne l’a pas vraiment découverte :

« J’ai toujours su qu’on pouvait examiner une femme dans n’importe quelle position. On pourrait même très bien l’examiner à quatre pattes. Il m’était déjà arrivé d’examiner une femme handicapée paraplégique qui ne pouvait pas écarter les jambes... »

Il ajoute, pour être plus clair : « Les femmes ont des rapports sexuels dans cette position, c’est donc bien que c’est possible. »

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« A l’anglaise » ?

« A l'anglaise ». Le terme est resté depuis « Le Chœur des femmes ». En réalité, cela ne signifie pas que la pratique soit généralisée en Angleterre.

Borée raconte ainsi : « Dans mon ancien cabinet, j’avais plus de 100 patients britanniques, et aucune femme ne connaissait cette position. Je ne suis pas sûr qu’elle soit ultra-répandue Outre-Manche non plus  ! Dans le domaine de la gynécologie médicale, en tout cas. Elle semble un peu plus en usage en matière obstétrique. »

 

Au sujet des inconvénients de cet examen, tous les médecins que j’ai interviewés répondent exactement la même chose : c’est moins confortable... pour le médecin.

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Laurent Vandenbroucke, jeune gynécologue (aussi lecteur de Martin Winckler) a découvert l’examen à l’anglaise par hasard pendant « un accouchement sur le côté ».

« Je discutais avec la sage-femme [...] et elle m’a appris que cette position était aussi utilisée par certains pour les examens gynécologiques. Ma curiosité a fait le reste, mais aucun de mes “maîtres” ne l’utilisant, il m’a fallu un peu de temps et plus d’expérience avant de franchir le pas en solo. Il faut tout de même une certaine aisance dans l’examen gynécologique avant de me lancer... »

« Les habitudes des médecins ont la vie dure »

Il raconte les barrières qui compliquent la démocratisation de la pratique :

« D’abord, on n’a pas appris comme ça, et les habitudes des médecins ont la vie dure ! Ensuite, la position oblige à quelques contorsions, même si ça reste facilement faisable, avec un peu de pratique. L’avantage est cependant énorme, si ça répond à une réelle volonté de la patiente, qui veut se sentir plus à l’aise. L’objectif final, c’est son confort, non ? »

Certains médecins jugent cette prévenance un peu « too much ». Pas Borée, pour qui une patiente plus satisfaite et rassurée à la fin de l’examen « acceptera plus facilement le suivi au long cours ». Il dit nombreux « les témoignages de femmes qui, à force d’être “mal traitées”, finissent par renoncer à tout suivi ».

Jeune généraliste, Docteur Gécé (elle ne préfère pas qu’on donne son nom, pour pouvoir parler de sa pratique plus librement sur son blog) est en train de faire une thèse de médecine sur l’examen à l’anglaise.

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« C’est la position dans laquelle je dors »

Elle n’a pas encore fini d’analyser les chiffres qu’elle a récoltés, mais voit tout de même déjà de grandes tendances se dessiner.

« En gros, on a à peu près 10% des patientes qui pensent que c’est moins bien, 30% qui disent que c’est kif-kif, et 60% qui trouvent que c’est mieux. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a autant de femmes qui disent “je suis contente de ne pas voir le médecin” que de femmes qui disent “je suis stressée de ne pas voir le médecin”. »

Elle a elle-même demandé à être examinée à l’anglaise et raconte :

« J’ai trouvé ça mieux. En fait, c’est la position dans laquelle je dors. Je n’ai même pas senti quand ma médecin m’a mis le spéculum. Après, c’est vrai que je ne suis particulièrement pas “douillette”, mais dans cette position on est plus détendues. D’un point de vue musculaire, on est crispées du périnée quand on a les pieds dans les étriers. Il faut maintenir la position. »

Un sujet pas anecdotique, mais politique

Le sujet peut sembler anecdotique. Il ne l’est pas. C’est même un sujet politique. Tous les médecins qui pratiquent l’examen à l’anglaise sont dans une même démarche vis-à-vis de leurs patientes : ils veulent vraiment dialoguer avec elles. Quand je lui demande trivialement « Pourquoi ne plus leur faire écarter les cuisses ? », Borée parle de « rapport de domination » :

« Dans la classique position du “poulet à la broche” (c’est comme ça que je l’appelle), la femme se trouve symboliquement “offerte” au praticien. »

Certaines pratiques de leurs confrères mettent ces médecins en colère. A les écouter et à les lire, on sent souffler un joli vent de révolution.

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« Plus de frottis sans lubrifiant ! »

Non, il n’est pas obligatoire d’être entièrement nue chez son gynéco. Non, ce n’est pas normal d’avoir mal. Martin Winckler dit fermement au téléphone :

« Quand une femme se sent maltraitée par son médecin, c’est parce qu’elle l’est. Un point c’est tout ! C’est la perception du soigné qui compte. »

Sur son blog, Borée écrit :

« Ne vous laissez plus faire de frottis sans lubrifiant ! Sauf si vous aimez ça… »

Et par e-mail, il s’exclame :

« Le fait de déshabiller entièrement la patiente n’a absolument aucune justification ! Mais vraiment aucune ! Sauf à considérer que les dix ou vingt secondes de temps gagnées valent plus que l’humiliation infligée. Parmi tous les archaïsmes et les maltraitances répandus dans le monde de la gynécologie “à la française”, c’est vraiment LE truc qui me rend dingue. »

« On n’est jamais entièrement nues ici »

Le frottis ? Ils ne pensent pas qu’il doit être systématique. Laurent Vandenbroucke dit ainsi :

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« Le frottis cervico-vaginal est un examen de dépistage du cancer du col de l’utérus. Les recommandations françaises actuelles recommandent un premier frottis à l’âge de 25 ans, puis un second à 26 ans, puis tous les trois ans jusque 65 ans. »

Ce sont ces pratiques discutables mais bien établies que ces médecins tentent de bousculer. Ils ne veulent plus de « paternalisme ». Martin Minckler pense que d’ici dix à quinze ans, les mentalités pourraient changer notamment parce que les femmes sont de mieux en mieux informées. Et qu’elles se parlent entre elles.

Martine, une Française qui vit au Québec, peut témoigner du sort des patientes dans son pays d’adoption :

« En France, je me suis déjà retrouvée entièrement nue, mais jamais à Montréal. On garde le haut, puis on le soulève lorsque le gynéco vient palper les seins. Récemment, je suis allée voir une gynéco qui a mis une blouse jusqu’aux genoux, et faisait le frottis en dessous de la blouse, avec une lumière. »

Dans « Le Chœur des femmes », quand elle arrive dans son nouveau service, la jeune interne ne cesse de s’agacer. Qu’est-ce que c’est ce que ce médecin qui passe du temps à écouter ses patientes ? Qui ne leur fait pas systématiquement de frottis ?

Le corps du patient propriété du médecin

Au téléphone, Martin Winckler, qui vit à Montréal, parle du rapport patient/médecin. En France, nous avons tendance à considérer le corps du patient comme muet. Propriété du médecin.

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« Le médecin français se voit comme le médecin du roi. Si vous n’êtes pas le roi, il vous fait une faveur en vous soignant. Un chirurgien hospitalier veut faire des opérations exceptionnelles sur des personnes exceptionnelles. Dans les pays anglo-saxons, ce qui valorise, c’est de résoudre le problème que personne n’a résolu. »

Martin Winckler est heureux d’être un Sherlock Holmes. Il reconnaît que ce n’est pas facile de sortir de ce qu’on a appris et des dogmes de la médecine.

« La première fois que j’ai posé un stérilet sur une femme nullipare, je savais très bien que c’était possible, que ça ne posait pas de problème malgré tout ce qu’on disait à l’époque en France. Ça ne m’a pas empêché d’avoir peur de faire mal. Ce sont toutes ces micro-résistances qui font que la relation du patient au médecin met du temps à changer. »

Et lui, impose-t-il l’examen à l’anglaise à toutes ses patientes ? Pas du tout. Dans « Le Chœur des femmes », le vrai enjeu est clairement énoncé dans ce dialogue entre l’interne dubitative et le médecin.

« Je ne suis pas sûre que ce soit possible sur cette table d’examen. Elle est beaucoup trop étroite.– Mmhhh... dit-il en croisant les bras. Et si on se procurait une table plus large ? Je vois qu’il est sérieux.– Oui, peut-être... Ça permettrait de proposer les deux positions. Et elles pourraient.– Oui ? – Choisir.Il hoche la tête et sourit. »

Article initialement publié le 11 janvier 2014.

Renée Greusard
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