Capture d'écran.

Rachid Kassim, djihadiste de 29 ans ayant rejoint la zone irako-syrienne, est suspecté d'avoir "inspiré" Adel Kermiche et Abdel Malik Petitjean, les deux terroristes de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray. Capture d'écran.

Vidéo de propagande

[EXCLUSIF] L'enquête sur les réseaux virtuels et labyrinthiques d'Adel Kermiche et d'Abdel Malik Petitjean révèle bien des surprises. Les deux auteurs de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray du 26 juillet, qui habitaient à 700 kilomètres l'un de l'autre, ne se sont pas seulement rencontrés sur la messagerie chiffrée Telegram. Ils semblent aussi y avoir été pilotés depuis la zone irako-syrienne par un membre du groupe Etat islamique (EI).

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D'après nos informations, grâce à l'exploitation de matériel informatique, les enquêteurs ont découvert des conversations Telegram entre les deux terroristes de 19 ans et le djihadiste Rachid Kassim. Ils n'ont eu aucun mal à identifier ce Roannais de 29 ans. Bien connu de l'antiterrorisme, il est très actif sur les réseaux sociaux et est loin d'y être discret puisqu'il utilise son nom ou son prénom comme identifiants. L'homme vivrait aujourd'hui en Irak ou en Syrie, sur les terres occupées par Daech.

Un djihadiste surconnecté

Contacté, le parquet de Paris n'a souhaité faire aucun commentaire. Mais selon les éléments recueillis par L'Express, Rachid Kassim est suspecté, sinon d'être un commanditaire, d'avoir exercé au minimum une influence virtuelle dans le passage à l'acte des deux jeunes tueurs. Un rôle de propagandiste qu'il continue à tenir aujourd'hui, notamment sur Telegram.

Car le djihadiste est l'administrateur d'une chaîne de plus de 200 abonnés sur laquelle il publie quotidiennement des messages et des infographies prosélytes d'une extrême violence. Il presse "les musulmans" à attaquer en France avec une insistance morbide et se présente comme le réceptacle des serments d'allégeance à l'EI. De nombreux indices montrent que Kermiche et Petitjean partageaient son idéologie et utilisaient les mêmes supports de propagande. Ensemble, ils appartenaient à une même communauté.

La "voix" du Telegram de Kermiche

Outre leurs échanges privés, Kermiche et Kassim - mais aussi de nombreux autres cyber-djihadistes français - publiaient de nombreux contenus audio et écrits identiques sur leurs canaux respectifs.

Surtout, selon nos informations, le combattant de Roanne est l'auteur de l'étrange enregistrement audio diffusé une semaine après la tuerie de l'église sur le Telegram de Kermiche. Il y félicite chaleureusement ses "frères" pour l'opération. Kassim est donc le nouvel administrateur de la chaîne du terroriste normand, ce qui suggère que ce dernier lui a transmis ses accès avant de mourir sous les balles des policiers.

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Depuis, Kassim s'en sert pour y copier une partie des messages de propagande et autres appels au meurtre qu'il diffuse sur sa propre chaîne. C'est le cas d'une infographie de personnalités françaises "à abattre", qui a connu un inquiétant succès parmi les réseaux djihadistes. Si elle est plus détaillée qu'avant, cette liste n'est pas totalement nouvelle. Elle avait déjà été partiellement mentionnée par Abdel Malik Petitjean dans une vidéo qu'il avait enregistrée seul sur son ordinateur, mais aussi sur la chaîne radicale Ansar at Tawhid et par Larossi Abballa, meurtrier d'un couple de policiers à Magnanville, dans sa déclaration d'allégeance à l'EI.

Si les connexions entre Petitjean, Kermiche et Kassim sur Telegram sont évidentes, il est encore impossible, à ce stade, de déterminer si c'est le Roannais qui a mis en lien les deux jeunes terroristes de l'église ou s'il s'agit d'un intermédiaire.

Vidéo de décapitation

Quoi qu'il en soit, Kassim ne cache en rien sa volonté de pousser un maximum de nouvelles recrues à commettre des attentats. Dans des manuels très détaillés à destination "des lions solitaires", le vétéran du djihad théorise des modus operandi qui rappellent les récents attentats en France. Il préconise "des attaques au camion" et l'utilisation "d'armes en plastique ou de fausses ceintures explosives" pour les candidats désargentés. L'objectif est, dit-il, d'instiller "la peur chez les mécréants". Méthodes suivies à la lettre par les tueurs de Saint-Etienne-du-Rouvray, mais aussi par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel à Nice. A l'arrière de son poids lourd ont été retrouvés un pistolet factice et une grenade percée.

C'est d'ailleurs après le carnage de la promenade des Anglais, fin juillet, que Kassim apparaît pour la première fois dans une vidéo de propagande de l'EI. Visage découvert, vêtu d'un treillis militaire, il glorifie l'action du tueur de Nice, profère des menaces à l'encontre de la France et décapite, en pleine rue, un otage de sang froid.

Un membre influent de la "djihadosphère"

Le bourreau de Daech apparaît désormais comme l'un des membres les plus influents de la communauté djihadiste française sur Telegram. Son nom ressort régulièrement dans les conversations sur ce réseau. Sa mission est, semble-t-il, de recruter des aspirants terroristes ayant échoué à rejoindre les terres du djihad, à l'image de Kermiche et Petitjean.

A ce stade, Kassim n'est pas relié à d'autres dossiers terroristes. Mais son prosélytisme intensif illustre le virage dans la stratégie de Daech: plutôt que monter des opérations comme celle du 13 novembre en missionnant ses combattants aguerris, l'organisation terroriste insuffle à distance des idées d'actions violentes puis se les approprie.

"Il a prétendu qu'il était repenti"

Avant Telegram, le Roannais avait, comme beaucoup de djihadistes, choisi Facebook pour verser sa propagande. Fin 2015, il y crée une page sous le nom féminin de "Nicole Ambrosia" pour attirer des candidats au djihad. Il veut, prétend-il, appeler "au réveil" des musulmans. Démasqué, il est dénoncé par une association locale à la police, qui exhorte le réseau social à suspendre son compte.

Selon Le Progrès, Rachid Kassim se radicalise en 2011 après un séjour en Algérie et disparaît des radars l'année suivante après un déménagement en Egypte avec sa famille. A Roanne, ils sont nombreux à se souvenir de lui. "A l'époque, des frères se sont mobilisés dès qu'ils ont senti une dérive dans ses paroles. Ils l'ont emmené à des séminaires. Il a prétendu qu'il était repenti et avait compris ses erreurs", se remémore un membre d'une association locale, interrogé par L'Express. Et de conclure, dans un soupir: "Visiblement, c'était faux."

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