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La Corée du Nord, sa dictature, ses plages paradisiaques, ses youtubeurs complaisants

Les images montrant un pays idyllique sont celles d’un touriste professionnel aux 2 millions d’abonnés. Elles occultent par la même occasion la réalité concentrationnaire du pays.

Publié le 18 août 2016 à 18h05, modifié le 18 août 2016 à 19h38 Temps de Lecture 19 min.

Louis Cole est un Britannique de 33 ans qui voyage sans cesse, filmant les plus beaux endroits de la planète derrière une GoPro pour sa chaîne YouTube, les yeux toujours émerveillés.

Comme d’autres youtubeurs, il gagne sa vie essentiellement grâce à la publicité générée par ses près de 2 millions d’abonnées, des « partenariats » avec des entreprises et, dernièrement, sous l’œil bienveillant d’une des pires dictatures au monde.

Vanity Fair a été le premier à repérer et décrypter des vidéos filmées par Louis Cole en Corée du Nord, où il s’est rendu pendant une semaine avec une poignée d’autres youtubeurs. Filmées en très haute définition, les sept vidéos mettent en scène l’auteur marchant dans des grandes rues propres de Pyongyang, goûtant l’abondante gastronomie locale, visitant des lieux naturels reculés et magnifiques.

Sur la tour du Juche, qui culmine à 170 mètres au-dessus de Pyongyang, Cole filme la capitale nord-coréenne comme on filmerait Paris depuis la tour Montparnasse. On l’entend dire : « Et c’est genre, une flamme tout en haut. Cool ! »

Il y a aussi des balades sur des plages magnifiques où des enfants s’amusent, des barbecues, des séances de surf, des concours de danse avec des soldats avenants et une visite dans un parc aquatique. « Vous saviez que la Corée du Nord avait des parcs aquatiques incroyables ? » Maintenant, on sait.

« J’essaie de me concentrer sur les choses positives de ce pays »

A aucun moment Louis Cole ne mentionne, à l’image ou dans le texte qui accompagne ses vidéos, qu’il visite un pays « où toutes les libertés élémentaires ont été sévèrement restreintes » (rapport de Human Rights Watch) et dont « les abus (extermination, meurtre, esclavage, torture, emprisonnement, viols, avortements forcés et violence sexuelle) sont sans égal dans le monde contemporain » (rapport de l’ONU). Il est là pour filmer la Corée du Nord comme il filmerait une plage du Costa Rica ou une forêt tropicale, à travers un filtre Instagram et avec un enthousiasme débordant.

Cole assure que son voyage et celui des autres youtubeurs « ne sont pas sponsorisés par le gouvernement », ce qui est très difficile à croire dans la mesure où le régime de Pyongyang encadre systématiquement et férocement le peu de couverture médiatique étrangère qu’il autorise (à l’exception notable d’un documentaire de Vice). Il se justifie ainsi :

« J’essaie de me concentrer sur les choses positives de ce pays et de combattre l’image purement négative que l’on voit dans les médias. Je vous invite à faire vos propres recherches sur la Corée du Nord. Ces vidéos proviennent d’une perspective que l’on nous montre et que nous ressentons ici. »

Le 17 août, il met en ligne une vidéo pour répéter que ses vidéos « n’ont pas été rémunérées, commandées ou influencées par un quelconque parti politique ou gouvernement » et qu’il est venu avec un tour-opérateur. Il reconnaît « ne pas savoir tout ce qu’il se passe là-bas » mais ne s’excuse pas pour ses vidéos, « une extension de lui-même », et son point de vue, pas celui « d’un journaliste d’investigation », mais plutôt d’un « touriste (…) alimenté par cette idée qu’on peut trouver de la beauté où que l’on aille dans le monde », selon son équipe de communication.

« Le but de ce voyage était de rejoindre des volontaires et des locaux travaillant pour un camp de surf créé en Corée du Nord en 2014. (…) Il n’a jamais eu l’intention de minimiser ou d’ignorer les problèmes qui rongent le pays et il s’excuse si ses vidéos ont pu être interprétées ainsi. »

Un optimisme aveugle qui peut être dangereux

La démarche est au mieux complètement naïve et coupée de la réalité, au pire dangereuse. Ces youtubeurs se voient comme des « créateurs de contenus » et ne se sentent pas obligés de peindre la réalité complète de ce qu’est réellement la Corée du Nord : des parcs aquatiques, peut-être, mais surtout une torture systématique.

Ils n’ignorent pas qu’en diffusant des vidéos attrayantes de la Corée du Nord auprès de leurs millions d’abonnés, ils deviennent des outils de propagande soft pour un régime qui la maîtrise parfaitement. Les visites surmédiatisées de l’ex-basketteur Dennis Rodman en sont un exemple parmi d’autres.

Dans un premier temps, Cole s’était défendu en ignorant les centaines de messages négatifs en ligne lui demandant s’il se rendait compte de ce qu’il faisait et l’accusant d’être à la solde de Kim Jong-un, même sans le faire exprès. Il s’est retranché derrière cette attitude bien familière pour ceux qui traînent en ligne, répandue chez ceux qui gagnent leur vie au contact permanent des avis numériques : la positivité à toute épreuve, sur la forme et pas le fond, pour répondre aux « haters » et à leur négativité.

En 2013, le site américain Gawker avait contribué à théoriser cette tendance consistant à tout considérer de manière positive, en se parant de gentillesse et de politesse, quitte à vider complètement son propos de substance et de nuances.

On a appelé ça le « smarm ». Gawker citait un responsable de BuzzFeed, qui lui-même citait une phrase de Panpan, le lapin de Bambi, comme emblème de cette attitude :

« Si vous n’avez rien de gentil à dire, ne dites rien. »

Dans Vanity Fair, Richard Lawson appelle cela « cette nouvelle gentillesse, irréfléchie et creuse, qui occupe une grande partie du territoire de YouTube » et dont fait preuve Louis Cole. L’aboutissement logique de cette « nouvelle gentillesse » est que le vidéaste ne fait plus aucune différence lorsqu’il s’agit de jouer au garçon émerveillé payé par KitKat ou Doritos et lorsque c’est un régime dictatorial qui l’encadre.

« Cet optimisme synthétique et à œillères – combiné à l’égotisme de plus en plus gênant de ce groupe de youtubeurs en particulier, basé sur la supposition qu’ils peuvent soigner et changer la planète avec des vidéos et du contenu sponsorisé “qui inspire “– a créé le climat qui a permis à ces très perturbantes vidéos sur la Corée du Nord d’exister. »

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