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Quand la bureaucratie européenne freine la lutte contre le terrorisme au Sahel

L’Union européenne a promis de financer la lutte contre Boko Haram, mais les pays du bassin du lac Tchad ne voient rien venir.

Publié le 18 août 2016 à 17h05, modifié le 24 août 2016 à 10h35 Temps de Lecture 4 min.

Le 27 janvier 2015, deux enfants traversent  le lac Tchad à bord d’une pirogue, près du village de Nougboua.

Sur le papier tout a été parfaitement réglé depuis plusieurs mois : l’Union européenne financera à hauteur de cinquante millions d’euros la force mixte multinationale (FMM) créée par les pays membres de la commission du bassin du lac Tchad (CBLT: Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad) et le Bénin pour lutter contre la secte extrémiste nigériane Boko Haram.

Mais à ce jour, pas le moindre centime n’a atterri dans les caisses de la CBLT en son siège à N’Djamena, la capitale tchadienne. Et il est même à craindre que cette aide européenne ne soit pas libérée avant la fin de l’année, en raison des lourdeurs et des dogmes bureaucratiques bruxellois.

En effet, alors que l’urgence de la lutte contre les attaques répétées de Boko Haram dicte que l’aide soit décaissée directement au plus vite en faveur de cinq pays contributeurs de la FMM, l’UE entend la faire transiter par les caisses de l’Union africaine (UA), son homologue pour le continent africain.

Il reviendra ensuite à l’UA de convoyer les fonds vers la Commission économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) puis vers la CBLT. En mettant ensemble le maquis bureaucratique de chacune des institutions, on pourrait craindre que l’arrivée effective de l’aide européenne à la FMM ne prenne encore quelques années.

Promesses non tenues

La décision de l’UA de faire transiter son aide par Addis-Abeba, où la présidente de la Commission, N’Kosazana Dlamini-Zuma, et ses commissaires sont en fin de mandat, est d’autant plus surprenante que l’UE s’était engagée en novembre 2013 à Bamako, aux côtés d’autres institutions internationales telles que la Banque mondiale, l’ONU, la Banque africaine de développement (BAD), à mettre en place des procédures dérogatoires pour les pays du Sahel.

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En temps normal, dix-huit mois pourraient facilement s’écouler entre le moment où un donateur annonce sa contribution et son arrivée effective dans les caisses de l’Etat bénéficiaire. Au Sahel et dans le lit du lac, ce délai freine les efforts nationaux de lutte contre les groupes armés djihadistes. Dans le cas précis de la FMM, le retard peut même remettre en cause les avancées significatives de la lutte contre Boko Haram.

Après avoir perdu du terrain dans son berceau au Nigeria, la secte a vu ses cellules dormantes démantelées, les unes après les autres, au Cameroun, au Niger et au Tchad. A ce revers militaire s’ajoute désormais la violente querelle de commandement entre l’aile historique incarnée par Abubakar Shekau et les tenants de l’affiliation absolue à l’Etat islamique en Irak emmenés par Abu Musab Al-Barnawi.

Les Etats membres de la CBLT et le Bénin entendent profiter de ce contexte favorable pour donner le coup de grâce à la secte islamique. Pour eux, l’aide de l’UE européenne doit arriver maintenant ou jamais.

Economies exsangues

Ils ne veulent surtout pas que des éléments de l’Etat islamique chassés par la déroute de l’organisation terroriste en Libye ne viennent donner une seconde vie à la secte extrémiste nigériane. La CBLT et le Bénin ont donc entrepris de puiser dans les maigres ressources de leur trésor public pour financer la FMM. Résultat, des coupes budgétaires ont dû être opérées dans des secteurs prioritaires tels que l’éducation, la santé ou les infrastructures. Au Niger, par exemple, les dépenses de sécurité ont atteint près de 15% du produit intérieur brut (PIB), entraînant des tensions de trésorerie aggravées par la baisse du cours de l’uranium, principal produit d’exportation du pays.

Le Tchad, qui a dépensé sans compter ses deniers publics pour envoyer des troupes au nord Mali, au Cameroun et au Niger, se retrouve avec une économie sous perfusion et des tensions sociales exacerbées par une crise post-électorale.

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Même au Nigeria, la deuxième économie du continent après l’Afrique du Sud, la situation n’est guère plus brillante. Là-bas, la dévaluation de la naira, la monnaie nationale, et la chute du prix du baril de pétrole se sont ajoutées au détournement de plusieurs milliards de dollars affectés à la lutte contre Boko Haram pour grever le budget de l’Etat fédéral.

Par prudence, le Bénin, pour sa part, a décidé de revoir à la baisse sa promesse de contribution à la FMM, en ramenant son contingent militaire à 200 hommes.

De toute évidence, l’arrivée dans ce contexte de l’aide de 50 millions d’euros de l’UE aurait été une immense bouffée d’oxygène pour les pays contributeurs à la FMM. Elle aurait même permis la montée en puissance de cette force qui devait atteindre près de 8 700 hommes et permettre d’en finir militairement avec Boko Haram avant de s’attaquer aux défis de développement posés par la montée de l’islam radical dans le bassin du lac Tchad et au Sahel. Mais la bureaucratie européenne en a décidé autrement : elle ne change pas ses règles, même quand la menace terroriste est pressante.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur de Rébellion touarègue au Niger. Qui a tué le rebelle Mano Dayak ?, l’Harmattan, 2010.

Mise à jour du 24 août: suite à la parution de cet article, la représentation en France de l’Union européenne précise que de l’argent a été envoyé à l’Union africaine pour soutenir la Force multinationale conjointe. Le contrat pour la mobilisation des 50 millions d’euros pour la Force multinationale conjointe (annoncée en novembre 2015) a été signé le 1er août 2016. « Une semaine plus tard, nous écrit l’UE, le versement d’une première avance a été effectuée. Deux semaines plus tard, le premier processus d’approvisionnement a été initié et un second est imminent. Le versement d’une première avance représente 63% du total. La préparation a été faite en coopération étroite avec nos partenaires, dans le respect du principe d’appropriation, des processus et procédures ». Reste que l’argent n’est toujours pas, à ce jour, arrivé à la commission du bassin du lac Tchad (CBLT).

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