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«Rue des Allocs» : «clichés» ou «dure réalité» ?

Le docu-réalité de M6 consacré aux allocataires de minima sociaux d'un quartier d’Amiens a été plutôt mal reçu.
par Frantz Durupt
publié le 18 août 2016 à 19h10

«Irrespect des personnes» et «voyeurisme» : aux yeux de la maire (Nouveau Centre) d'Amiens (Somme), Brigitte Fouré, si le docu-réalité La Rue des allocs, diffusé mercredi soir sur M6, «traduit une certaine réalité», «le choix éditorial aboutit à une caricature du quartier de Saint-Leu», où des caméras de la société de production 3œil ont suivi pendant plusieurs mois des habitants vivant avec moins de 1 000 euros par mois, avec le chômage, le RSA ou des petits commerces parallèles.

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Avec quelles conséquences pour la chaîne, qui a réalisé une part d'audience de 9,5% mercredi soir ? Dans les heures suivant la diffusion, le CSA a reçu une quarantaine de signalements de téléspectateurs et plusieurs dizaines de tweets. Il va donc «instruire un dossier», a-t-il indiqué ce jeudi matin. La Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), soutenue par le ministre de la Ville, Patrick Kanner, a également saisi formellement l'autorité, indique-t-elle à Libération.

D'autres, comme Pascal Rifflart, vice-président (UDI) de la métropole d'Amiens, ont au contraire estimé sur Twitter que l'émission montre «une réalité sociale pas pire qu'ailleurs en France et même si elle peut choquer des effarouché(é)s il faut savoir la regarder».

Même topo chez Gérald Darmanin, maire LR de Tourcoing, qui a certes reconnu à l'émission «un aspect voyeuriste», mais y a aussi vu «la dure réalité des quartiers très populaires. La droite devrait l'entendre». Et de reprocher à Patrick Kanner de ne plus savoir «ce que sont les classes laborieuses», «de son ministère aux dorures étincelantes».

Pendant ce temps, Renaud Deschamps, adjoint (UDI) chargé du commerce à la mairie d'Amiens, lançait sur Twitter un hashtag, #AmiensEnVrai, pour donner une vision plus positive de sa ville.

Pauvreté des uns, richesse des autres 

Mais au-delà de ce que l'émission a montré, c'est aussi ce qu'elle n'a pas montré qui interpelle. Dans son communiqué, la Fnars jugeait que «des personnes en situation de pauvreté [y sont] rendues systématiquement responsables de leur situation».

De fait, le docu-réalité n'essaie pas de comprendre comment les personnages se sont retrouvés dans leur situation. Si l'un d'eux évoque la fermeture de l'usine Goodyear (sans qu'on sache d'ailleurs s'il y a travaillé), le sujet est évacué dès le début du premier épisode par la voix off qui déclare que «la crise de 2008 est passée par là». Pourtant, «la région d'Amiens est rongée sur trois générations, dans un rayon de 20 kilomètres, par les fermetures d'usines», rappellent les documentaristes Laurence Karsznia et Mourad Laffitte, réalisateurs de Goodyear, la mort en bout de chaîne. «Goodyear va très très bien : c'est la maison mère qui a décidé de fermer l'usine d'Amiens-Nord», avec 1 200 salariés licenciés et près de 5 000 emplois touchés indirectement, soulignent-ils. Rien non plus sur «les bailleurs sociaux, les assistantes sociales, la défaillance de Pôle Emploi». Rien, également, sur le fait que Saint-Leu «pourrait aussi être montré comme un quartier bobo, avec ses étudiants et ses terrasses de café».

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De la même manière, d'aucuns soulignent que M6 a un regard différent sur le mode de vie des riches, qu'elle a plutôt tendance à glorifier dans d'autres émissions, sans jamais établir de lien entre la pauvreté de ceux-ci et la richesse de ceux-là. En mai, Capital diffusait ainsi un long reportage sur le «génie du luxe» LVMH, dont le patron, Bernard Arnault a construit sa fortune sur le démantèlement de Boussac Saint-Frères au milieu des années 80, avec plus de 1 000 suppressions d'emplois dans la région d'Amiens. Un épisode à peine évoqué.

Bref, disent Laurence Karsznia et Mourad Laffitte, les pauvres d'Amiens ne «sont pas là par hasard. C'est tout une histoire qu'on ne nous explique absolument pas.»

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