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La prison syrienne de Saidnaya, berceau de jihadistes

Amnesty International dénonce l’usine de mort des prisons syriennes. Et c’est dans la plus sinistre d’entre elles, où la torture est monnaie courante, qu’y ont été torturés la plupart de ceux qui sont devenus les cadres des organisations salafistes extrémistes.
par Hala Kodmani
publié le 18 août 2016 à 19h59

Trois cents morts par mois en moyenne dans les prisons de Bachar al-Assad depuis mars 2011. C’est l’estimation minimale d’Amnesty International dans son rapport publié jeudi sur «les crimes contre l’humanité commis par les forces gouvernementales.» Résultat de six mois d’enquête auprès de 65 anciens détenus, dont 11 femmes, dans une dizaine de prisons aux quatre coins du pays, le rapport confirme les tortures atroces et autres maltraitances systématiques commises dans les geôles syriennes.

La redoutable prison militaire de Saidnaya, à 30 kilomètres au nord de Damas tient une place particulière dans le rapport de l'ONG de défense des droits de l'homme. Reconstitué dans une animation 3D grâce aux indications de ceux qui y étaient enfermés, le pénitencier est une «usine de mort», selon les termes de Nicolette Boehland. L'enquêtrice d'Amnesty basée à Beyrouth a conduit une grande partie des entretiens avec les anciens détenus aujourd'hui exilés en Turquie pour la plupart. «Les anciens de Saidnaya ont été les plus difficiles à retrouver, précise Nicolette Boehland, car ceux qui ont survécu sont les plus costauds physiquement, comme un entraîneur de basket ou un cultivateur. Ils ont pu tenir le coup face aux tortures et à la privation de nourriture qui ont achevé nombre de leurs codétenus.» 

 «Amnisties après le début de la révolution»

Une autre raison pourrait expliquer la difficulté pour l'enquêtrice d'Amnesty de retrouver les anciens de Saidnaya. Des centaines d'entre eux, libérés par le régime pendant l'été 2011, sont allés s'engager dans les formations armées islamistes au nord de la Syrie. Car depuis sa construction au début des années 80, la terrible prison était conçue en priorité pour enfermer les opposants, notamment islamistes, au régime du père de Bachar al-Assad. «Sur 1 400 prisonniers, il y avait 1 100 salafistes-jihadistes d'Irak, d'Afghanistan ou d'ailleurs. Ils étaient bien plus torturés que nous», assure à Libération Dyab Serrihe. Détenu de 2006 à 2011 à Saidnaya, l'ancien militant communiste et natif de la ville, dirige aujourd'hui un journal d'opposition au régime syrien à Istanbul.

«La plupart des chefs actuels des groupes extrémistes qui combattent en Syrie, y compris le Front al-Nusra, Ahrar al-Sham et même Daech [l'Etat islamique, ndlr] sont issus de la Saidnaya Academy, comme on dit parmi nous. Ils ont bénéficié de l'amnistie et des remises de peine décidées par le régime peu après le début de la révolution», confie encore l'ancien détenu. Il est le seul parmi les témoins entendus par Amnesty à être sorti de prison en mars 2011 à la fin de sa peine et a donné le plus de renseignements pour la reconstitution de ce camp de la mort.

Plus de 17 000 morts

«La torture et les autres mauvais traitements infligés aux prisonniers de Saidnaya semblent s'inscrire dans un effort constant de déshumanisation, de sanction et d'humiliation de ceux-ci. Les personnes qu'a rencontrées Amnesty International ont raconté que les détenus étaient régulièrement battus à mort dans la prison», souligne le rapport d'Amnesty. Celui-ci vient compléter et conforter d'autres enquêtes et révélations sur le système pénitentiaire du régime syrien. On pense au rapport dit «César», pseudo d'un ancien employé des prisons, chargé de prendre en photo les corps de tous les détenus morts sous la torture. Il avait réussi à faire sortir des dizaines de milliers de clichés documentant 11 000 victimes identifiées dans la seule région de Damas. Un chiffre à recouper ou ajouter aux plus de 17 000 morts dénombrés par Amnesty International.

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