Quand Clinton dépense 61 millions de dollars en publicité, Trump ne débourse pas un centime

À moins de trois mois du scrutin qui fera de lui le 45e président des États-Unis ou un de ces malheureux “losers” qu'il exècre, Donald Trump commence à peine à diffuser de la publicité pour sa campagne. Une stratégie qui interroge, alors que le candidat républicain décroche dans les sondages.

Par Romain Jeanticou

Publié le 21 août 2016 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h56

Il y a deux mois, Hillary Clinton diffusait ses premières publicités télévisées en vue de l'élection générale. Selon les chiffres de l'agence Advertising Analytics et de la chaîne NBC News, elle a depuis dépensé 61 millions de dollars sur les ondes radio et télé, mais aussi dans la presse et sur Internet. Un chiffre auquel il faut ajouter les 43 millions injectés par des groupes de soutien (soit un total de 104 millions de dollars ; plus de 92 millions d'euros).

« La publicité joue un rôle capital dans les élections américaines étant donné qu'il est strictement impossible de limiter le temps d'antenne gratuit sur les médias en raison du Premier amendement de la Constitution qui protège la liberté d'expression, précise Vincent Michelot, professeur à Sciences Po Lyon et spécialiste de l'histoire des États-Unis. Acheter de l'espace publicitaire, c'est s'exprimer : la publicité payante dans les médias représente environ 60 % des dépenses de campagne des candidats à l’élection présidentielle. »

Face aux 61 millions de son adversaire, les frais publicitaires de Donald Trump pour l'élection générale s'élevaient pourtant jusqu'à ce 19 août à… zéro dollar. L'équipe du New-yorkais vient toutefois d'acheter ses premiers espaces publicitaires à la télévision pour 4 millions de dollars. Jusque-là, elle n'avait pas dépensé le moindre centime sur les ondes depuis sa victoire aux primaires le 4 mai – encore moins, donc, que les deux autres candidats, Jill Stein et Gary Johnson. Seuls les 12,4 millions de dollars de groupes extérieurs à sa campagne sauvaient l'honneur hertzien du milliardaire. Sur son site, la section « Publicités » n'a pas bougé depuis avril – date de diffusion de ses derniers spots radio – et présente sa plus récente campagne télévisuelle, une publicité qui remonte à mars et était dirigée contre son adversaire des primaires républicaines Ted Cruz.

Une présence déjà assurée par les médias

On aurait vite fait de mettre ce déséquilibre sur le dos de l'immense écart de moyens entre les deux candidats à la Maison Blanche (67 millions de dollars levés face aux 335 du mastodonte Clinton au début de l'été) mais tout cela a changé le temps du seul mois de juillet. En un mois, l'équipe de campagne de Trump et le Comité national républicain ont amassé 82 millions de dollars – principalement en petites contributions.

Que diable font donc Trump et le Parti républicain de ces millions ? « Personne d'extérieur à la campagne ne peut l'expliquer, certifie le politologue Larry Sabato, directeur des études au département politique de l'université de Viriginie. Personne ne sait où va cet argent. » Adam Ramey, de l'université américaine d'Abu Dhabi, a étudié les comptes de campagne des républicains : « Donald Trump est sans doute le moins conventionnel des candidat qu'ai connu un grand parti ces cinquante dernières années, voire plus. Dû à sa nature, ses choix de dépenses ne suivent pas les règles habituelles. La majeure partie passe dans les déplacements et les frais liés aux événements, note-t-il. Même pendant les primaires, il n'a quasiment rien dépensé en publicité et en staff sur le terrain. Il a tout misé sur une présence gratuite dans les médias et des grands meetings. »

Les excès et le non-conformisme de Trump lui ont permis de profiter d'un temps d'antenne considérable dans les émissions politiques, pour lesquelles il s'est toujours rendu très disponible, répondant constamment aux questions des journalistes en direct par téléphone. « Il a bénéficié pendant les primaires de l'équivalent d'environ 2 milliards de publicité gratuite par son omniprésence médiatique », avance Vincent Michelot. « Grâce à cette présence sur les ondes, il n'a pas eu besoin de dépenser de l'argent en publicité », complète Adam Ramey.

“Une forme de désorganisation inquiétante”

Aucun candidat majeur à l'élection présidentielle américaine ne s'est jamais passé de la publicité. « Les électeurs haïssent pour beaucoup le ton dramatique, cataclysmique, haineux des spots, commente Vincent Michelot. Pour autant, tous les candidats le font car cela permet d'enfermer son adversaire dans une image ou un cliché dont il aura du mal à se sortir : Obama a défini Romney comme un milliardaire sans cœur et sans valeurs dès le mois de juin 2012 et ce dernier n'a jamais vraiment réussi à inverser cette image. Cette année, presque tous les spots de Hillary Clinton visaient à présenter Trump comme inapte à l'exercice de la fonction présidentielle. »

Les spots publicitaires sont ainsi un excellent indicateur de la stratégie, mais aussi des finances des candidats. « Diffuser de la pub négative sert aussi à assécher les finances de son adversaire en le forçant à se défendre, poursuit le professeur de Sciences Po. En effet, s'il reste muet, c'est un mauvais signal envoyé aux électeurs qui vont se demander s'il n'a pas assez d'argent pour être sur les ondes. »

« Trump va bien évidemment procéder à des achats massifs dans les jours ou les semaines à venir », garantit Vincent Michelot. Pour l'universitaire, le silence publicitaire de Trump révèle surtout « un certain manque de professionalisme de la campagne et une forme de désorganisation assez inquiétante, surtout lorsqu'on sait que le temps est compté. Beaucoup de journalistes disent que Trump n'était pas vraiment préparé à la victoire dans les primaires et que son style qui consiste à systématiquement ignorer ou violer tous les fondamentaux d'une campagne traditionnelle a pu être payant dans les primaires, mais n'est pas opérationnel dans l'élection générale. Il n'a pas compris que ce sont deux élections très différentes qui répondent à des mécanismes et des stratégies distinctes.»

La théorie du sabordage

Couplée à une absence sur le terrain dans plusieurs États et à un manque de moyens déployés au niveau local, l'absence de publicité pro-Trump fait naître des théories plus surprenantes. Certains commentateurs américains commencent sérieusement à se demander si l'excentrique Donald veut vraiment aller au bout – et si son parti, peut-être déjà concentré sur les batailles suivantes au Congrès, le désire aussi. Le réalisateur Michael Moore, lui, en est convaincu : le milliardaire n'a jamais eu l'intention de devenir président des États-Unis. Il se serait présenté comme candidat aux primaires pour pouvoir renégocier son contrat avec la chaîne NBC concernant son émission de télé-réalité The Apprentice et se serait retrouvé coincé dans son propre piège, loin de se douter de l'enthousiasme que susciteraient ses discours irraisonnés et ses propositions improvisées. Selon le lauréat de la Palme d'or à Cannes en 2004, Donald Trump est tout simplement en train de « saboter lui-même sa campagne » pour s'en sortir sans passer pour un perdant.

« Je ne suis pas psychiatre et je ne fais pas de psychanalyse des candidats, mais je ne crois pas que Trump veuille perdre, conteste le politologue Larry Sabato, qui rejoint l'analyse de Vincent Michelot. Il n'a simplement pas l'expérience politique pour comprendre que les primaires sont la partie “off-Broadway” du processus présidentiel et que l'élection générale est “Broadway” [autrement dit, d'ampleur beaucoup plus importante, ndlr.]. Les standards sont complètement différents, mais il n'a pas fait les ajustements nécessaires et je doute qu'il les fera. »

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