Menu
Libération
Trois questions à

Turquie : avec l'attentat à Gaziantep, «l'EI a encore franchi un nouveau pas»

Yohanan Benhaim, doctorant à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, analyse l'attentat-suicide le plus meurtrier de l'année en Turquie, qui a fait au moins 50 morts et près de 100 blessés.
par Estelle Pattée
publié le 21 août 2016 à 15h37

Un nouvel attentat a fait, samedi 20 août, 51 morts et 94 blessés lors d'un mariage dans un quartier à forte concentration kurde de la ville de Gaziantep, au sud de la Turquie. Yohanan Benhaim, doctorant à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, analyse cette nouvelle attaque considérée comme la plus meurtrière de l'année.

Pourquoi la ville de Gaziantep a-t-elle été visée ?

Il s'agit de la ville turque la plus touchée par le conflit syrien en raison de sa proximité avec la frontière. L'impact a été démographique – on dénombre plusieurs centaines de milliers de Syriens sur place –, mais aussi économique. Cela a entraîné la croissance de certains secteurs, comme le logement, mais a en même temps marqué l'émergence d'un sentiment anti-syrien. Les classes populaires ont le sentiment que les Syriens viennent voler le travail des Turcs ; car les premiers, moins bien payés, sont souvent employés dans des secteurs comme le bâtiment ou la restauration. C'est aussi une ville où l'Etat islamique a des réseaux particulièrement importants, des cellules que l'Etat turc démantèle depuis un an. Le groupe y a déjà commis des enlèvements et des assassinats sur les activistes syriens.

Quelle est la particularité de cet attentat ?

L'EI ne revendique pas toujours les attentats qu'il commet en Turquie mais, s'il en est l'auteur, c'est la première fois, à ma connaissance, que l'on assiste à un attentat de ce type-là, visant des civils dans un contexte privé, comme ici un mariage. D'habitude, il cible des meetings politiques ou des membres de partis politiques. Ils ont aussi commencé à attaquer des touristes, et donc les intérêts étrangers en Turquie. Enfin, avec l'attentat contre l'aéroport d'Atatürk le 28 juin, l'EI a marqué un nouveau pas en s'attaquant à Istanbul en tant que plaque tournante du transport aérien. Il visait alors directement les intérêts économiques turcs et, en plus, touchait des civils turcs. S'attaquer à un mariage, c'est encore franchir un nouveau pas dans le ciblage des civils et de la minorité kurde.

Quelles vont être les conséquences de cette nouvelle attaque meurtrière ?

Cet attentat va exacerber l'instabilité non seulement des régions frontalières de Turquie, déjà touchées par les répercussions de la crise syrienne, mais surtout celle du pays en lui-même. Le gouvernement turc doit actuellement faire face à la tentative de coup d'Etat du 15 juillet. L'Etat est en pleine restructuration avec une série de purges, auxquelles il faut rajouter la guerre contre le PKK [le Parti des travailleurs du Kurdistan, ndlr] et la multiplication des attentats, soit par le TAK [le groupe des Faucons de la liberté du Kurdistan, ndlr], soit par l'EI. Et la police comme l'armée ne sont pas à leur niveau d'efficacité habituel.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique