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Hollande contre Montebourg : un choc idéologique frontal

Crédits Photo: Joel Saget/AFP - Triballeau/AFP

FIGAROVOX/ANALYSE - Le principal concurrent du président semble être son ancien ministre du Redressement productif. Pour Thomas Guénolé, ce sera l'affrontement entre le chef de file du social-libéralisme et le partisan d'un néo-gaullisme.


Thomas Guénolé est politologue et maître de conférences à Sciences Po, docteur en sciences politiques (Sciences Po - CEVIPOF). Il est l'auteur de Les jeunes de banlieue mangent-ils les enfants? (éditions Le bord de l'eau, 2015) et publiera La mondialisation malheureuse chez First le 15 septembre 2016.


Les courants d'idées respectivement incarnés par François Hollande et Arnaud Montebourg promettent, dans la compétition pour la place de candidat de la gauche à la présidentielle de 2017, un choc idéologique frontal. L'on s'oriente en effet vers une collision entre deux visions incompatibles des affaires économiques, du rôle de l'Etat et des affaires internationales: le social-libéralisme d'un côté, le néogaullisme de l'autre.

Sa fidélité à l'héritage politique de Jacques Delors fait de François Hollande le chef de file du social-libéralisme.

Sa fidélité à l'héritage politique de Jacques Delors fait de François Hollande, dans le paysage politique actuel, le chef de file du social-libéralisme. Ce courant de la gauche adhère à la pleine économie de marché, qu'il considère comme le meilleur système possible: c'est la raison du soutien de François Hollande aux politiques de privatisations et de déréglementations insufflées par l'Union européenne depuis les années 1980. Ce même courant promeut une politique économique de l'offre, c'est-à-dire la baisse des cotisations sociales des entreprises et la baisse des protections sociales de la population active: ceci, dans l'idée que cela fera redémarrer l'activité, donc la croissance et l'emploi. Sous François Hollande, cela donne le Pacte de responsabilité.

Les sociaux-libéraux considèrent par ailleurs que la baisse de la dette publique constitue une priorité absolue. Cela explique la signature par François Hollande du Traité budgétaire européen de 2012: ses stipulations, extrêmement précises, rendent en effet l'austérité obligatoire pour ses Etats signataires. Les mêmes sociaux-libéraux rejettent l'interventionnisme étatique et plus largement le colbertisme: d'où, par exemple, le laissez-faire de François Hollande face aux prises de participation croissantes de capitaux étrangers dans des grandes entreprises françaises d'intérêt stratégique, telles qu'Alstom. Un social-libéral compte cependant, dans la lignée d'un John Rawls, atténuer les inégalités les plus intolérables de l'économie de marché. C'est le sens des programmes tentés par François Hollande pour plus de mixité sociale à l'école, ou pour combattre les discriminations. Un social-libéral est par ailleurs progressiste sur les libertés sociétales: sous François Hollande, cela entraîne la légalisation du mariage et de l'adoption pour les couples de même sexe.

Arnaud Montebourg a pour singularité idéologique d'incorporer le gaullisme économique et social au paysage politique de la gauche.

Face à lui, et l'ayant très explicitement défié lors de son discours de Frangy, Arnaud Montebourg a pour singularité idéologique d'incorporer le gaullisme économique et social au paysage politique de la gauche ; ce qui fait de lui un néogaulliste. Cette doctrine prône un système d'économie mixte, c'est-à-dire semi-livré au marché et semi-dirigé par l'Etat. C'est la raison des nationalisations bancaires et de la résurrection du Crédit national qu'Arnaud Montebourg a proposées à Frangy. Cette même doctrine promeut une politique économique de la demande, c'est-à-dire une combinaison keynésienne entre grands travaux et relance de la consommation: chez Arnaud Montebourg, cela donne le projet de grands travaux de rénovation thermique des bâtiments et la baisse des impôts des classes moyennes.

Un néogaulliste considère par ailleurs que la baisse de la dette publique n'est pas une priorité, ce qui explique qu'Arnaud Montebourg veuille suspendre la participation de la France au Traité budgétaire européen de 2012. Le même néogaullisme est fervemment interventionniste, colbertiste: c'est pour cela qu'Arnaud Montebourg propose une «politique de la chaise vide», suspendant la participation de la France à ce qui ne lui va pas dans les traités européens, le temps d'en négocier de nouveaux. La résurgence gaulliste est du reste poussée jusqu'à remettre sur la table l'idée gaullienne de participation des salariés aux bénéfices des entreprises, en préconisant d'étendre ce dispositif aux TPE-PME.

Le clivage entre François Hollande et Arnaud Montebourg se retrouve jusqu'en relations internationales.

Le clivage profond entre François Hollande et Arnaud Montebourg se retrouve jusqu'en relations internationales. D'un côté, François Hollande a poursuivi la politique extérieure de Nicolas Sarkozy, en alignant la France sur la diplomatie des Etats-Unis d'Amérique, tout particulièrement dans le domaine des interventions armées. De l'autre, Arnaud Montebourg a cité à Frangy le discours de Dominique de Villepin à la tribune des Nations Unies contre la guerre en Irak ; et comme De Gaulle bien avant lui, il a préconisé une diplomatie française à équidistance entre les Etats-Unis d'Amérique et la Russie.

C'est dire, donc, si l'on s'oriente vers un choc idéologique profond, qui revient d'ailleurs en partie à jouer la revanche de la confrontation entre la «Gauche du Oui» et la «Gauche du Non» à la ligne économique, sociale, géopolitique, du Traité constitution européen de 2005. D'un côté, François Hollande incarne la Gauche du Oui, c'est-à-dire pro-austérité, pro-mondialisation, anti-interventionniste, pour une politique économique de l'offre, et diplomatiquement alignée sur les Etats-Unis d'Amérique. De l'autre, Arnaud Montebourg incarne la Gauche du Non, c'est-à-dire keynésienne, protectionniste, pour une politique économique de la demande, et diplomatiquement non alignée.

Entre un «Jacques Delors jeune» et un «De Gaulle de gauche», la collision des visions politiques promet donc d'être singulièrement forte.

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