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Une fuite de documents fragilise le contrat franco-australien de 12 sous-marins

Un média australien s'est procuré la documentation technique confidentielle de l'industriel de l'armement français, DCNS, qui était dans la dernière ligne droite pour signer un gigantesque contrat avec Canberra.
par Pierre Alonso
publié le 24 août 2016 à 11h38

C'était il y a quatre mois, presque jour pour jour. Au milieu de la nuit, l'Elysée envoyait un communiqué dithyrambique : «Le choix par l'Australie de la France et de DCNS comme partenaires pour la construction de 12 sous-marins est historique.» Le montant l'était tout autant : 50 milliards de dollars, soit environ 34 milliards d'euros, pour un contrat qui n'était pas encore signé. Les négociations exclusives commençaient à peine. Elles sont entrées depuis hier dans une zone de très fortes turbulences.

Le quotidien national The Australian a révélé avoir obtenu des milliers de documents confidentiels sur les sous-marins fabriqués par DCNS. Ces 22 400 pages ne concernent pas directement les négociations entre l'industriel français et l'Australie, il s'agit de la documentation des capacités de combats de la nouvelle flotte indienne de Scorpene (des sous-marins d'attaque conventionnels). Seule une vingtaine de pages, très techniques, ont pour l'heure été publiées par le média australien.

Un roman d'espionnage lourd de conséquences

Tout dans l'affaire ressemble à un roman d'espionnage. A commencer par le trajet des documents, tel que le décrit The Australian : ils auraient été sortis par un ancien officier français de la marine qui travaillait pour un sous-traitant de DCNS, une entreprise d'Asie du Sud-Est les aurait ensuite obtenus ainsi qu'une autre dans la région, avant d'arriver, sur un disque dur envoyé par courrier, dans une entreprise australienne. Les documents ne portent pas uniquement sur des armes vendues à New Dehli, ce qui accrédite l'idée que les données proviendraient du siège de DCNS ou d'une implantation en France.

Au-delà de l'itinéraire rocambolesque, le moment de la publication et la nationalité du média interpellent. Comme le résume un bon connaisseur de ces affaires dans le secteur public : «Le monde des industriels de l'armement, c'est les pratiques du BTP en pire.» Les articles qui révèlent l'affaire insistent lourdement sur les conséquences de cette fuite sur le contrat australien en phase finale de négociation. Chez DCNS, cette ligne droite mobilise plus de 100 personnes, vu l'importance du marché, sur lequel lorgnaient d'autres géants de l'armement, notamment allemands et japonais. De nouvelles discussions étaient aussi ouvertes entre DCNS et New Delhi qui a fait montre de son intérêt pour des modèles de nouvelle génération, mais risque d'être refroidi en découvrant que ses rivaux (le Pakistan ou la Chine) peuvent accéder à la documentation technique de ses sous-marins…

L'enquête est ouverte

Pour l'heure, l'industriel a seulement indiqué à l'AFP que «les autorités nationales [françaises] de sécurité enquêtent». Plusieurs structures devraient participer : l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), qui dépend du Premier ministre, car DCNS est un organisme d'importance vitale, une classification juridique réservée à quelques centaines d'entreprises jugées sensibles. S'agissant d'un industriel de l'armement, le Centre d'analyse de lutte informatique défensive du ministère de la Défense, pourrait aussi intervenir. Enfin, les services de renseignement, intérieur comme extérieur, devraient être sollicités.

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