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Pourquoi les méchants ont gagné sur Internet, l'effrayante enquête du Time Magazine

La culture de la haine a-t-elle gagné sur Internet? Un journaliste du Time Magazine a enquêté sur les trolls, ces utilisateurs du web qui installent un climat de haine et de violence dans ce qui se voulait être un espace d’ouverture. 

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La couverture du Time Magazine de cette semaine "Pourquoi nous perdons Internet à cause de la culture de la haine"
La couverture du Time Magazine de cette semaine "Pourquoi nous perdons Internet à cause de la culture de la haine" © Time Magazine

C’est l’histoire d’un article qui illustre lui-même son propos. En guise d’accroche, Joel Stein, journaliste au magasine américain Time Magazine, semble prévenir autant son lecteur que lui-même : "Cette histoire n’est pas une bonne idée", écrit-il. En rédigeant ce papier, Stein est conscient qu’il va apporter à son sujet, les trolls, ce qu’ils désirent le plus au monde, à savoir de l’attention.

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Aux-Etats-Unis, selon une étude du Pew Research center , groupe de réflexion américain, 70% des 18-24 ans déclarent avoir déjà été victimes de harcèlement sur internet. Les auteurs de ce cyber-harcèlement sont appelés des trolls, des internautes utilisant la liberté offerte par le web pour s’attaquer aux autres sous couvert d’humour : "Les trolls ont un manifeste selon lequel ils font tout ça pour le 'lulz' (déformation de "lol"), c’est-à-dire pour le rire."

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 Les trolls, des gens "tout à fait normaux"

Selon le journal de psychologie américain Personality and Individual Differences , 5% des personnes qui se revendiquent "trolls" possèdent les mêmes caractéristiques psychologiques : narcissisme, psychopathie, machiavélisme, et, surtout, sadisme.

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Mais ce portait-robot de l’utilisateur-harceleur est loin de dépeindre la réalité du troll au quotidien. "Le cliché de l’homme dans sa cave en train de boire du Mountain Dew et de manger des Doritos est dépassé, explique à Stein une ex-employée du site communautaire Reddit. Les trolls peuvent être des docteurs, des avocats, des orateurs, des sources d’inspiration ou des instituteurs de maternelle. Ils peuvent faire de beaux cadeaux et être des personnes tout à fait normales." Un phénomène qui, selon elle, est incarné aussi bien par des hommes que par des femmes. 

Le trolling, un phénomène politique

Steve Smith, membre du Tea Party, situé à l’extrême droite du parti républicain, est député du Géorgie. Depuis trois ans, Smith compose de violentes diatribes et des commentaires ultra-conservateurs sur Twitter, s’engageant dans de virulentes discussions avec des célébrités et des politiciens américains. Il est donc un utilisateur actif et reconnu du réseau social… sauf que sa circonscription en Géorgie n’existe pas et Steve Smith non plus. Sous ce pseudonyme se cache en réalité Jeffrey Marty, un avocat divorcé vivant à Tampa, en Floride, et supporter de Donald Trump.

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"Si j’écrivais une lettre au New York Times disant que je n’aime pas un article à propos de Trump, ils le balanceraient à la poubelle, explique-t-il à Stein. Sur Twitter, je peux communiquer directement avec les auteurs. Il n’y a plus de barrières." Le trolling devient aussi politique : "Je pense vraiment que ça compte dans une élection. J’ai 1,5 millions de vues avec mes tweets tous les mois. J’ai une audience plus large que si j’appelais des gens et demandais 'Avez-vous déjà pensé à voter Trump ?'"

A lire aussi : Sexisme : Valérie Pécresse en guerre contre les trolls

Twitter, caisse de résonnance des néo-conservateur

Joel Stein n’a pas choisi d’interviewer ce faux parlementaire par hasard. Le cyberharcèlement est surtout devenu l’arme des neo-conservateurs issus d’Internet. Ces derniers disent faire partie de la "droite alternative", prônant le politiquement incorrect et la liberté d’expression sans aucune limite.

Parmi eux, Milo Yiannopoulos est une figure du courant de cette "droite alternative". Il est journaliste à Breitbart News, le média conservateur dont le leader, Steve Bannon, est récemment devenu le directeur de campagne de Donald Trump . En juillet, il a été exclu de Twitter après avoir harcelé l’actrice afro-américaine Leslie Jones. Cette dernière avait été la cible des commentaires racistes et misogynes depuis l’annonce de sa participation au remake de Ghostbusters.

Yiannopoulos affirme que Jones a tenté de provoquer la pitié afin d’augmenter sa notoriété. "Je trouve très triste que le féminisme ait transformé les femmes qui ont du succès en victimes", conclue-t-il. Yiannopoulos, qui a affublé Jones du surnom de "black dude" (littéralement "mec noir" en Français), est accusé d’avoir entrainé ses 300,000 abonnés dans son acharnement contre l'actrice.

Yiannopoulos assure ne pas regretter ses insultes. Il ne se voit pas comme un harceleur, mais plutôt comme un pionnier : "Trump ne va peut-être pas peut-être pas gagner cette élection. Je ne vais peut-être pas être la figure médiatique que je veux devenir. Mais l’espace que nous bâtissons pour que d’autres soient courageux à leur tour est l’une des choses les plus importantes que nous pouvons faire aujourd’hui", déclare-t-il, avant de conclure : "Les trolls sont les seuls à dire la vérité à l'heure actuelle."

"Internet est le royaume des lâches."

Dans son enquête, Stein va jusqu’à donner de sa personne. Il décrit son entretien avec la comédienne et journaliste Megan Koester, qui commente chacun de ses articles, et qu’il décrit comme son "troll personnel". La rencontre se termine dans une bonne entente, Koester avouant que son trolling était davantage lié à son mal-être personnel qu’à une réelle détestation du journaliste : "Internet est le royaume des lâches, avoue-t-elle. Ces gens (les trolls) font juste du bruit et n’ont aucune fureur."

Stein affirme toutefois être la cible d’attaque moins violentes que certaines utilisateurs plus vulnérables : "Je suis un male hétéro, donc les trolls sont faciles à gérer. Mes vulnérabilités paraissent moins évidentes", explique-t-il. Mais, depuis sa parution, l’enquête suscite de violents retours sur Twitter.

Certains l’accusent de stigmatiser les personnes handicapées à cause de l’introduction de son article, comparant Internet à un "sociopathe atteint d’Asperger". D’autres, beaucoup plus nombreux, répètent en boucle le nom de l’auteur : "'Stein'? C’est un nom juif ça non?", "Stein? Comment peux-tu te dire caucasien avec un nom pareil?" S’en suit une avalanche de tweets, tous plus nauséabonds les uns que les autres, regroupant croix gammées, étoiles jaunes et caricatures au nez crochu. 

L’auteur n’a pas réagi aux attaques. Dans le tweet annonçant la publication de son article, il avait indiqué vouloir s’éloigner du réseau social pour un petit moment. Après les avoir dénoncés, Stein semble adopter la seule stratégie valable à l’heure actuelle pour limiter l’effet néfaste des trolls : les ignorer. 

Source: leJDD.fr

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