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La France et le Royaume-Uni épinglés pour la vente d’armes à l’Arabie Saoudite

Les deux Etats ont ratifié le Traité sur le commerce des armes, qui interdit à un pays d'en vendre s'il y a une possibilité qu'elles soient utilisées pour violer les droits de l'homme.
par Aude Massiot
publié le 24 août 2016 à 9h58

Les ONG du monde entier qui luttent pour le contrôle de la vente d'armes sont vent debout à Genève, où se tient cette semaine la deuxième conférence des Etats parties au Traité sur le commerce des armes (TCA). Elles espèrent voir un plus grand nombre de pays ratifier le traité, et surtout une meilleure application de celui-ci dans les Etats adhérents.

Adopté par l'Assemblée générale de l'ONU le 2 avril 2013, et entré en vigueur le 24 décembre 2014, le TCA a pour but de réguler le commerce «légal et légitime» des armes dans le monde. «Ce traité est révolutionnaire car il change le paradigme qui a régi la vente d'armes depuis des siècles. En le signant, les Etats acceptent de mettre en place une régulation de ce marché», explique Aymeric Elluin, chargé du dossier «Armes et impunité» à Amnesty International.

Le  traité réunit actuellement 130 Etats signataires, dont plus de 80 l’ont ratifié, comme la France et le Royaume-Uni. Les Etats-Unis ont signé le traité mais ne l’ont pas ratifié, le Congrès américain l’ayant rejeté. L’adhésion de la Chine et de la Russie sont aussi très attendues, même si cela ne semble pas à l’ordre du jour de leur côté.

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Ce traité est si important aux yeux des ONG internationales car il est légalement contraignant pour les Etats adhérents. «En ratifiant le TCA, la France s'est engagée à ne pas autoriser de transferts d'armes classiques, ni de leurs munitions, pièces ou composants, si elle a "connaissance, lors de l'autorisation, que ces armes [...] pourraient servir à commettre" des crimes internationaux, notamment des crimes de guerre», décrit Elvina Pothelet, assistante de recherche à l'Académie de droit international humanitaire de Genève, citant l'article 6 du Traité.

Pour ces raisons, les militants pointent du doigt l’implication des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Russie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France dans la fourniture d’armes à l’Arabie Saoudite, puissance elle-même impliquée dans la mort de nombreux civils au Yémen.

La France fait de bonnes affaires avec l'Arabie Saoudite

L'Arabie Saoudite s'est imposée sur le marché international des armes comme la deuxième puissance importatrice, derrière l'Inde, avec 9,7 milliards d'euros d'armes importées entre 2010 et 2015, selon Amnesty International (cela sans compter les armes légères). Du côté des plus gros exportateurs mondiaux, on trouve, par ordre décroissant, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni. L'action du gouvernement Hollande a été particulièrement fructueuse sur ce plan, avec un record de 15 milliards d'euros de commandes d'armement signées en 2015, selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). La même année, la France aurait exporté pour 141 millions d'euros d'armes vers l'Arabie Saoudite, selon le Sipri.

Mais si ce succès économique français prend une tournure plus sombre, c'est parce que l'Arabie Saoudite est par ailleurs accusée de crimes de guerre au Yémen, où des dizaines de civils ont été tués dans des frappes de la coalition arabe menée par les autorités saoudiennes. Depuis un an, au Yémen, s'affrontent rebelles houtis chiites soutenus par l'Iran, aux forces alliées au président déchu Abd Rabbo Mansour Hadi, appuyées par l'Arabie Saoudite. Un rapport confidentiel d'experts mandatés par le Conseil de sécurité de l'ONU, rendu début août, corroborerait ces accusations, selon Reuters.

Les Etats face à la justice internationale

«Evidemment, au moment de délivrer l'autorisation d'exportation, l'Etat ne peut pas savoir si les armes exportées vont in fine être utilisées contre un objet militaire, ou bien contre une école ou un hôpital. Mais le TCA n'en demande pas tant : l'éventualité d'une utilisation criminelle est suffisante pour entraîner une interdiction», rappelle Elvina Pothelet.

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«Si aucun mécanisme de sanction n'existe pour l'instant, les Etats sont responsables devant la Cour internationale de justice pour le respect des traités ratifiés, et des personnes physiques pourraient se trouver poursuivies devant la Cour pénale internationale pour avoir vendu des armes», souligne Aymeric Elluin. En ratifiant un traité, un Etat s'engage à l'exécuter «de bonne foi», une bonne foi qui semble manquer du côté du gouvernement français, qui maintient que le TCA est respecté. La CAAT (Campaign against arm trade), une ONG britannique, a aussi saisi la justice pour dénoncer la vente d'armes du Royaume-Uni à l'Arabie Saoudite.

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