"Lucky Luke et les Juifs, c'est comme une évidence"

Le cow-boy fête ce jeudi ses 70 ans avec un épisode très spécial. Découvrez la couverture et l'intrigue choisie par l'auteur multiprimé Jul.

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La Terre promise est le nouvel album de Lucky Luke à paraître le 4 novembre.
La Terre promise est le nouvel album de Lucky Luke à paraître le 4 novembre. © Dargaud

Temps de lecture : 6 min

La bande dessinée franco-belge, sous ses allures délicieusement old school, a toujours eu dix ans d'avance sur Hollywood. La preuve ? La franchise Lucky Luke, depuis la disparition de son créateur Morris en 2001, a connu de multiples reboot, comme en vivent les super-héros de chez Marvel ou DC, Spider-Man et Superman en tête. Comparaison n'est pas raison, certes. Cependant, elle ne déplairait pas forcément à Morris, qui avait une véritable fascination pour les États-Unis, où il vécut à la fin des années 40, et où il côtoya Harvey Kurtzman, le génial fondateur de Mad Magazine, ainsi que… René Goscinny, qui le rejoignit dans les aventures de Lucky Luke dès 1955.

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Les chiffres du pauvre cow-boy solitaire n'ont presque rien à envier à ceux des mastodontes d'outre-Atlantique, ce qui réjouirait là aussi Morris, pour qui la réussite sociale et professionnelle n'était pas un vain mot : 80 albums parus en 70 ans, 300 millions d'albums vendus, une traduction dans une vingtaine de langues, 3 films live, 4 films d'animation, 5 séries télévisées, 16 jeux vidéo, n'en jetez plus ! Pourtant, l'homme qui tire plus vite que son ombre a aujourd'hui du mal à retrouver une identité en rapport avec sa fabuleuse notoriété. Depuis la mort de Goscinny, en 1977, plusieurs scénaristes se sont succédé aux côtés de Morris, puis de Achdé, le dessinateur qui remplaça aux pinceaux le maestro en 2003 (sur Le Cuisinier français) : le casting, souvent prestigieux ― ou baroque (Laurent Gerra, Daniel Pennac, Tonino Benacquista…), n'a cependant jamais permis d'égaler les plus belles réussites du duo Morris-Goscinny comme La Diligence, Calamity Jane ou Le Pied-Tendre.

Quand Lucky Luke rencontre Rabbi Jacob !

Pour Stéphane Beaujean, commissaire de la récente exposition autour des 70 ans de Lucky Luke au musée de la Bande dessinée à Angoulême, il n'est pas facile de succéder à ces deux artistes, en raison des visages changeants et multiples du personnage au cours de son existence : « Lucky Luke a mis du temps à se fixer, car Morris a cherché son style. Il débarque dans la bande dessinée alors que ce n'est pas son projet initial ― il veut faire de l'animation. Il comprend, après quelques années, alors qu'il est aux États-Unis, que son futur va se concrétiser dans la bande dessinée. Ce qui lui plaît, c'est la mise en scène, le jeu des acteurs. Et, avec Mad Magazine, il comprend qu'il doit faire une série comique, avec des outils de caricaturistes et des appels du pied à la culture populaire de l'époque. »

La transmutation comique opère définitivement avec la complicité de Goscinny, dont Lucky Luke constitue, avec Astérix bien sûr, le sommet de la carrière. Précisément, alors que le petit Gaulois a eu droit en 2013 à des célébrations quasi nationales lors de sa reprise en main par le duo Ferri-Conrad, Lucky Luke poursuit depuis trop longtemps ses aventures dans une indifférence polie. Comme pour Astérix, il lui fallait avant tout un tandem pérenne, et complice pour présider à ses destinées. C'est au brillant Jul, auteur multiprimé de Silex and the City et La Planète des sages, d'assumer l'héritage goscinnien sur le long terme.

La couverture (encore provisoire) du prochain Lucky Luke ©  Dargaud
La couverture (encore provisoire) du prochain Lucky Luke © Dargaud

Lucky Luke est toujours extrêmement entouré, La Terre promise n'échappe pas à cette règle.

En exclusivité, Le Point Pop vous dévoile donc la couverture et le thème choisi par Jul pour La Terre promise, titre de cet album du renouveau : Lucky Luke doit escorter une famille de Juifs d'Europe de l'Est jusqu'au Grand Ouest. Son ami Jack-la-Poisse lui a en effet demandé de s'occuper de ses parents, auxquels il n'a pas osé avouer qu'il était cow-boy et qui le croient avocat à New York ! Un grand-père religieux obsédé du shabbat, une mamma décidée à gaver Lucky Luke de carpe farcie, une jeune fille prude qui cherche le mari idéal, un petit garçon turbulent plus intéressé par le Far West que par sa bar-mitsvah, sans compter les hors-la-loi, les joueurs de poker…

Le scénariste Jul. ©  Dargaud
Le scénariste Jul. © Dargaud

Un ensemble alléchant et prometteur, façon Rabbi Jacob, pour un héros qui a bercé l'enfance de Jul : « Lucky Luke est un personnage très plastique, en creux, qui permet d'aborder les histoires les plus diverses avec une grande élégance... et bizarrement, c'est le contraire du cow-boy solitaire qu'il prétend être ! D'abord, il forme un couple indissociable avec Jolly Jumper, avec qui il est en perpétuelle conversation. À eux deux ils forment une figure de centaure, le Moi et le Surmoi version Far West ! Et puis Lucky Luke est toujours extrêmement entouré : ses sempiternels adversaires, Dalton et autres, ses amis fidèles, Calamity Jane, le Pied-Tendre et consort, et bien sûr toutes les veuves et tous les orphelins qu'il défend à longueur d'albums sont une famille pléthorique pour un gentleman garçon vacher, loin du modèle de l'ermite de la montagne. La Terre promise n'échappe pas à cette règle. »

Renouer avec l'âge d'or de Lucky Luke

Avec un tirage XXL de 500 000 exemplaires, Lucky Luke marche sur les traces d'Astérix, et il sera en effet, à n'en pas douter, autrement plus examiné et scruté que les derniers titres de la série. Jul en est parfaitement conscient, mais précise : « Reprendre officiellement les rênes de la série Lucky Luke, ce n'est pas exactement succéder à Goscinny : ce héros a connu d'autres scénaristes par la suite, et tout l'enjeu de cette renaissance, tandis que la série fête ses 70 ans, est justement de renouer avec l'esprit du plus grand d'entre eux ! Il ne s'agissait pas non plus de faire du vintage, mais bien un album d'aujourd'hui : comment être à la fois fidèle à des codes établis, et entamer un nouveau départ... sans avoir à rougir devant ce totem indépassable ! »

Lucky Luke et les Juifs, c'est un thème qui a tout de suite fait bondir tout le monde au plafond.

Le choix de confronter le cow-boy à des émigrants juifs n'est sans doute pas étranger à la propre judéité de Goscinny, dont une partie de la famille a péri dans les camps de la mort. Et c'est aussi un sujet osé, ce que confirme Jul : « Lucky Luke et les Juifs, c'est un thème qui a tout de suite fait bondir tout le monde au plafond, mais qui, dès qu'on y réfléchit, apparaît comme une évidence. Oser s'attaquer à cette histoire, c'est ouvrir un chapitre important de l'histoire des États-Unis, qui avait très étrangement été entièrement occulté par Goscinny. Les Italiens, les Irlandais, les Chinois, toutes ces communautés emblématiques ont été mises en scène dans d'autres albums... mais jamais les Juifs ! Était-ce par peur de choquer, par pudeur alors que l'histoire de cette migration des Juifs d'Europe de l'Est vers le Nouveau Monde résonnait avec son histoire personnelle ? Aujourd'hui, justement parce que nous sommes en une période de crispation des identités, il m'a paru important de choisir une histoire qui racontait un choc des cultures, sans l'édulcorer, mais en pariant sur la gaieté, et sur l'intelligence du lecteur. »

La Terre promise de Achdé et Jul (Lucky Comics), 48 p., 10,60 euros. Sortie le 4 novembre.

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Commentaires (3)

  • guy bernard

    Le melting pot américain est un vrai mélange qui a abouti à une culture : des anglo-saxons, bien sur, mais une musique de russes (Dimitri Tiomkin, les 7 mercenaires) ou d’élèves de Gustav Mahler (Max Steiner), à la mise en scène, on peut y retrouver, par exemple, un authentique aristocrate belge devenu Henri Hattaway, les acteurs pouvaient etre des juifs européens (Kirk Douglas, Jeff Chandler) et les histoires issues de la Bible.
    le western, c'est tout ça, et chacun y a apporté sa contribution : Lucky Luke, comme tous les autres, l'est un peu.

  • Vieux taxi

    De M. Cimino traitait le sujet avec élégance et humanité. Le film a fait un flop aux USA (1980), jugé trop long, trop européen... Isabelle Huppert pas assez "star"... En fait, un film trop intelligent pour un public trop formaté. Presque 40 ans après, on le revoit avec d'autant plus de plaisir qu'il échappe aux crispations identitaires et aux schématismes contemporains.

  • jackknight

    Privé de fumer !