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Analyse

Arrêtés anti-burkini : désaccords au sein même du gouvernement

Burkini, une polémique françaisedossier
La ministre de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, s'est déclarée en opposition à la ligne Valls qui soutient toujours les interdictions prises par certains maires.
par Lilian Alemagna
publié le 25 août 2016 à 13h21

Lundi 29 août à Colomiers (Haute-Garonne), ils ont prévu de faire leur rentrée unis sur «l'essentiel», «la République». Plus d'un mois après l'attentat de Nice, gouvernement et Parti socialiste avaient prévu leur contre-offensive à la rentrée en campagne des candidats à la primaire de droite – Nicolas Sarkozy en tête – en démontrant que les propositions de Les Républicains «mettent en cause l'Etat de droit» et que ce sont eux les «vrais» républicains. A condition d'être raccord sur la ligne…

Mais voilà que cette histoire d'arrêtés anti-burkini sur quelques plages de la Côte d'Azur et du Nord de la France vient brouiller cette tentative d'unité. Et piéger les dirigeants de la majorité. Voilà que la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, se permet ce jeudi matin sur Europe 1, de contredire la position du Premier ministre Manuel Valls sur le sujet. Tout en rappelant qu'elle est «contre le burkini», par «convictions féministes», elle a estimé que ces interdictions marquaient une «dérive» : «Je pense à la prolifération des arrêtés anti-burkini […] Moi j'estime que cette prolifération n'est pas bienvenue. Je pense que ça pose un problème parce que cela pose la question de nos libertés individuelles : jusqu'où va-t-on pour vérifier qu'une tenue est conforme aux bonnes mœurs ? Et cela, par ailleurs, libère la parole raciste : on l'a remarqué dans les verbalisations, dans les incidents qui se sont déroulés.»

Valls : «Pas une dérive»

Un écart avec la ligne fixée par Valls dès le 17 août dans une interview à La Provence. «Je comprends les maires qui, dans ce moment de tension, ont le réflexe de chercher des solutions, d'éviter des troubles à l'ordre public, avait-il affirmé. Je soutiens donc ceux qui ont pris des arrêtés, s'ils sont motivés par la volonté d'encourager le vivre ensemble, sans arrière-pensée politique.» Une position – oui aux arrêtés, non à une loi – rappelée dans une autre interview cette semaine dans L'Express : «Concernant le burkini, les arrêtés des maires apportent une réponse.» Deux entretiens accordés, certes, avant les témoignages ou les images de policiers verbalisant une femme portant un foulard et des vêtements longs sur une plage de Nice et lui demandant d'enlever son voile.

Ce jeudi matin sur RMC-BFM-TV, Valls a ainsi appelé au «discernement» dans l'application de ces arrêtés et rappelé que le Conseil d'Etat se prononcera cet après-midi sur le sujet. Mais alors que le présentateur de l'émission, Jean-Jacques Bourdin, lui lisait à l'antenne la phrase prononcée par sa ministre quelques minutes plus tôt, le Premier ministre, visiblement surpris de cette déclaration, s'est montré gêné, actant le désaccord avec sa ministre : «Non, je pense que ces arrêtés ne sont pas une dérive».

Ils «libèrent la parole raciste ?» relance le journaliste.  «Non, non, non… C'est une mauvaise interprétation des choses. Ces arrêtés ont été pris au nom même de l'ordre public, répond Valls. Ils ont été pris à un moment donné, dans des plages du sud de la France, quelques jours après l'attentat de Nice dans un contexte particulier. Et le burkini, oui, c'est, encore une fois, l'asservissement de la femme. Et les hommes et les femmes de progrès doivent le dire avec beaucoup de force.»

Un ministre : «Valls va trop loin»

Depuis quelques jours, sans condamner les arrêtés, d'autres ministres mettaient, eux, en garde contre les risques de «stigmatisation». Après avoir reçu les représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM), le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a souligné mercredi que «la mise en œuvre de la laïcité et la possibilité de prendre ces arrêtés ne doivent pas conduire à des stigmatisations ou à l'antagonisation de Français». Comme le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll, appelant à faire «attention au risque de dérapage, de dérive et de stigmatisation». Au sein de la majorité, beaucoup ne goûtent guère le soutien de Valls à des maires qui prennent souvent ces arrêtés pour s'adresser à une population qui se radicalise sur les questions d'islam.

«Le Premier ministre va trop loin dans sa défense des arrêtés et les soutiens à ces maires dont les arrières-pensées racistes et électoralistes ont motivé leur décision», estime un membre du gouvernement pour qui «le débat juridique est le plus vain pour combattre» la «prolifération» du burkini. Cependant, poursuit ce ministre, «ce serait bien de redire que les hommes et leur regard sexiste ont une grande responsabilité sur le fait que les corps des femmes se couvrent de plus en plus». Les dirigeants de la majorité ont encore quelques jours pour accorder leur position s'ils ne veulent pas, lundi, risquer d'offrir une nouvelle cacophonie.

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