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Interview

Emmanuel Macron : «Je ne renoncerai à rien»

INTERVIEW - Deux ans après son arrivée à Bercy, le ministre de l’Economie fait le bilan de son action. Et promet des propositions «fortes» pour 2017.

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Le ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, fondateur du mouvement En marche.

Par Grégoire Poussielgue, David Barroux, Étienne Lefebvre, Dominique Seux, Nicolas Barré

Publié le 25 août 2016 à 18:29

Cela fait deux ans que vous êtes ministre de l’Economie. Que répondez-vous à ceux qui jugent votre bilan bien maigre ?

Qu’il faut arrêter avec l’hypocrisie : ce sont les mêmes qui ont fait défaut à chaque proposition ou réforme. Mon action au sein du gouvernement a été bâtie sur le diptyque de la réforme et du soutien à l’investissement, au niveau européen comme au niveau français. La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a déverrouillé des secteurs, levé des barrières, privilégié la concurrence plutôt que la rente. J’ajoute que j’ai veillé à ce que cette loi soit mise en œuvre dans des délais inédits. Je me suis battu à chaque instant. Et ce n’est pas fini.

Certains la résument aux « cars Macron » et à quelques ouvertures de magasins le dimanche…

C’est évidemment réducteur. Mais cette seule mesure a permis à 4 millions de personnes de voyager en car cette année, soit 40 fois plus qu’en 2014. Je suis fier de toutes les mesures concrètes que nous avons mises en œuvre parce qu’elles redonnent de la crédibilité à la parole publique : c’est exactement pour ça que je suis venu à Bercy.

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La réforme des prud’hommes qui raccourcit les procédures est fondamentale. Celle des professions réglementées aussi : avec la baisse des tarifs des notaires et la création à venir de plus de 1.600 postes ou offices, elle va bénéficier aux particuliers comme aux entreprises. Les prêts interentreprises qui mettent fin au monopole bancaire, le « crowdfunding », le déverrouillage du logement intermédiaire… toutes ces actions ont permis de faire bouger les lignes et d’améliorer concrètement la vie de nos concitoyens.

Pour ce qui est de l’investissement, les baisses de charges du pacte de responsabilité ont remis les entreprises françaises sur les bons rails en commençant à rétablir leurs marges. La loi croissance a créé un suramortissement fiscal pour les entreprises qui investissent. Et le cœur de la politique industrielle que nous avons mise en œuvre, c’est l’investissement dans la modernisation et la numérisation des entreprises et dans la formation des salariés. C’est cela l’industrie du futur dont nous avons besoin.

Mais vous n’avez pu mener à bien la loi sur les nouvelles opportunités économiques…

Pour aller plus loin que la loi croissance, il fallait établir un diagnostic des changements à opérer, mais aussi des opportunités à saisir avec le développement du numérique dans un cadre de mondialisation croissante. Ce travail a été mené en profondeur, mais ses implications n’ont pas été tirées pour des raisons politiques à l’automne dernier.

Des mesures ont été prises dans la loi travail dont j’ai soutenu la démarche, mais la pédagogie initiale a manqué sur ce texte, qui s’est heurté à des blocages partisans. Nous avons alors pu constater la stérilité de beaucoup de clivages politiques. C’est pour cela que j’ai fondé En marche : il est temps de faire travailler ensemble tous les progressistes de ce pays.

Comment peut-on réformer en France ?

En faisant suffisamment confiance aux Français pour leur dire sans filtre l’état dans lequel se trouve le pays. Ce n’est ni « tout va bien » ni « tout va mal ». Je vois à gauche ceux qui veulent tout revisiter et à droite ceux qui publient des livres remplis de propositions qu’on connaît par cœur. Je réfute cette chorégraphie du tic-tac, où l’alternance politique est une fatalité politique écrite d’avance. Il faut nommer le mal, expliquer les choses sinon on ne fait pas les bonnes réformes. Je n’ai pas fait tout ce que nous aurions voulu dans la loi croissance, car je n’ai pas assez expliqué ce qui allait mal, ni pourquoi sur certains sujets.

Il faut reconnaître la complexité du monde : c’est la condition de la refondation dont notre pays a besoin. Je ne me retrouve ni dans un souverainisme coupé du monde, ni dans un ultralibéralisme béat. La mondialisation est là et la France y est tout entière. Elle y sera encore plus demain avec le numérique. La condition de notre souveraineté est de mener à bien les transformations qui nous permettront d’être performants. Cela ne se fera ni en fermant les frontières ni en pensant que le « Made in France» – qui est une très bonne chose partout où cela est possible – est la seule solution.

Si on veut défendre l’économie française, il faut des entreprises fortes qui investissent dans le capital humain et l’appareil productif et il faut aussi du capital français, et donc permettre aux Français d’investir dans les entreprises et dans l’innovation en France.

Donc baisser la fiscalité de l’épargne comme le propose Nicolas Sarkozy…

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Notre fiscalité ne permet pas suffisamment de récompenser le risque et marque une préférence pour la rente, vieux travers français. Le problème de Nicolas Sarkozy, c’est qu’il veut, comme en 2007, baisser les impôts des plus favorisés et laisser filer les déficits en espérant que l’Europe approuvera parce que c’est lui. D’où la défiance de nos partenaires et la divergence franco-allemande.

On doit poursuivre la baisse des prélèvements mais à condition de le faire de manière juste, ce que le gouvernement fait depuis 2014, et de mener des réformes en parallèle, or ce n’est pas ce qu’il propose. Dans la dynamique de campagne qui s’ouvre, le sujet des réformes pour rendre notre système plus juste et plus efficace est la clef. C’est la seule voie, en France comme en Europe, d’autant que nous avons mangé notre pain blanc : la politique monétaire de la BCE est déjà pleinement utilisée. Nous devons proposer des idées neuves, avoir de l’audace et rassembler sur des projets refondateurs.

N’est-ce pas ambigu de voir un ministre faire ce travail ?

Ce serait quand même paradoxal de devoir s’autocensurer sur le constat de l’état du pays parce qu’on est ministre, alors que c’est justement une position privilégiée pour l’établir ! Ce diagnostic sera également nourri du travail des militants d’En marche qui ont frappé à plusieurs centaines de milliers de portes dans tous les coins de la France, ainsi que de celui de tous les experts que j’ai sollicités. Ce travail d’intérêt général doit être fait, et il doit être fait de manière libre et exigeante, afin d’appréhender tous les sujets importants.

Donc vous laissez la main au président de la République...

J’ai toujours pris mes responsabilités : le 6 avril quand j’ai créé En marche, le 12 juillet quand j’ai organisé mon premier meeting. Et je les prendrai aussi quand j’établirai le diagnostic du pays fin septembre.

Mais je respecte simplement le bon fonctionnement de nos institutions, la solidarité gouvernementale et l’autorité du président de la République.

Donc vous n’allez pas démissionner ?

J’ai déjà eu l’occasion de dire très clairement que je veux travailler au service de mon pays. Je ne renoncerai en rien à ma capacité à faire un diagnostic, des propositions et à la mise en action sur tous les champs que j’ai évoqués le 12 juillet.

Et ensuite ?

Sur la base du diagnostic qui sera établi, nous proposerons un plan de transformation du pays : à la différence d’un programme, qui comprend beaucoup de mesures et peu d’explications, il s’appuiera sur une vision étayée du pays, un nombre limité de propositions fortes avec le détail de leur mise en œuvre.

Mais où cela vous mène-t-il ?

Je serai pour ma part constant sur ma ligne. Je vais construire et faire avancer cette offre progressiste, pour qu’elle gagne en mai 2017.

Mais serez-vous audible en parlant essentiellement social et économie alors que le débat va tourner autour du sécuritaire et de l’identité ?

Ce qui rend une parole audible, ce n’est pas celui qui la porte, c’est ce qu’elle contient. Ma voix est colorée de pragmatisme et de réalisme. Je ne suis pas sectaire. Je nomme les problèmes tels que je les observe, dans tous les domaines importants. Aujourd’hui, les crispations sont effectivement sécuritaires et identitaires, mais la vérité oblige à reconnaître que l’économie et le social sont profondément intriqués à la situation que nous vivons. On ne peut donc pas traiter intelligemment le destin de notre société sans prendre en compte ces éléments.

Seriez-vous prêt à vous présenter contre François Hollande ?

Je ne fais jamais de politique-fiction. Pour ma part, j’ai déjà dit que la séparation droite-gauche ne se fait pas sur les bonnes thématiques. Sur tous les sujets structurants, comme le travail, les inégalités, l’Europe, la mondialisation, l’identité, il y a des fractures au sein des deux camps. Il y a donc des progressistes dans chacun des deux camps.

Depuis trente ans, le calendrier politique fait qu’on choisit d’abord les hommes avant de réfléchir aux idées, et c’est une des explications de l’état de notre pays. Ce système pousse les uns et les autres à se lancer dans une course pour essayer de se différencier. On le voit avec les primaires : chacun va gagner à l’extrême de son parti, avant de se recentrer. Le candidat désigné trahit donc le candidat aux primaires qu’il a été.

Mais François Hollande pourra-t-il incarner cette offre compte tenu de sa faible crédibilité ?

Le temps de l’incarnation de l’offre viendra en temps voulu. Je ne renierai rien de l’ambition de cette offre progressiste, pas plus que de la nécessité impérieuse de proposer, dans sa vérité la plus crue, le diagnostic.

Le Brexit va-t-il trop lentement ?

Il est normal qu’un petit délai soit nécessaire, mais prendre un vote au sérieux, c’est le mettre en œuvre sans tergiverser. A partir du moment où un pays a décidé de quitter le club, il doit en tirer toutes les conséquences et les 27 doivent de leur côté établir clairement leurs priorités.

Derrière la question du Brexit, il y a un enjeu de souveraineté. On a abandonné la souveraineté européenne. L’Europe ne protège pas assez face aux attaques injustes, comme sur l’acier chinois. C’est le combat que j’ai livré depuis près d’un an pour défendre notre sidérurgie et obtenir de premiers résultats. Nous avons honte de nous-mêmes, car nous avons confondu protection et protectionnisme. Le Brexit, c’est l’expression de ce besoin de protection. Ne pas l’entendre, ce serait condamner le projet européen. La zone euro doit aussi défendre sa souveraineté financière et monétaire, autrement dit être au clair sur les capitaux qui circulent et leur régulation. Cette régulation doit se faire dans la zone euro et pas depuis la place de Londres. Cela ne me semble pas négociable.

Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz prône la création de deux euros en arguant que la zone euro actuelle ne peut fonctionner. A-t-il raison ?

Il pose un vrai sujet, celui de la convergence. Aujourd’hui, l’euro, de fait, a accru les divergences au sein de la zone euro au lieu de rapprocher les économies : les pays peu compétitifs ont aggravé leur déficit de compétitivité et leur endettement. Et la réaction après la crise de 2008 a encore accru la divergence, car on a exigé de ces pays des ajustements brutaux sans politique de change adaptée et sans coordination européenne suffisante. Ces pays ont subi une dévaluation interne réelle avec une baisse des salaires et des retraites, ce qui n’a rien à voir avec une dévaluation monétaire beaucoup moins douloureuse. Résultat, nous avons la double peine : on a accru la divergence et accru le populisme.

Donc, il faut scinder la zone euro…

Non, il y a une autre voie possible, celle de la solidarité budgétaire et des réformes. L’Europe ne peut vivre qu’avec des mécanismes de solidarité et des transferts au sein de la zone euro entre les pays qui bénéficient pleinement de l’euro comme l’Allemagne et les autres. Si on ne le fait pas, alors en effet, il reste l’option décrite par Stiglitz qui permet aux pays les plus faibles de dévaluer pour retrouver de l’oxygène. Mais elle ne me semble pas souhaitable, car elle détricoterait la cohérence de la zone euro et fragiliserait tout le projet politique européen. C’est une erreur de traiter l’incomplétude de l’euro par sa fragmentation.

Le budget est en voie d’arbitrage. La prévision de croissance pour 2017 restera-t-elle fixée à 1,5%, comme en 2016 ?

Après la stagnation observée au deuxième trimestre, liée en partie aux conflits sociaux, la perspective d’une croissance à 1,5% pour cette année reste d’actualité, mais il sera difficile d’aller au-delà l’année prochaine, surtout avec l’ombre portée par le Brexit.

François Hollande avait conditionné la nouvelle baisse d’impôt pour les ménages à une croissance atteignant 1,7%...

Je ne pense pas que l’on pourra réviser à la hausse notre prévision, mais des choix peuvent être faits en réallouant des efforts fiscaux ou en réalisant davantage d’économies par ailleurs. La priorité en matière fiscale pour les ménages comme pour les entreprises est d’être lisible, stable dans le temps et crédible.

Le patronat juge la baisse d’impôt sur les sociétés envisagée trop limitée et trop complexe, avec un geste ciblé sur les seules entreprises réalisant moins de 7,6 millions de chiffre d’affaires…

Cette mesure est un premier pas en faveur des TPE et des PME. Il faudra l’inscrire dans une trajectoire pluriannuelle prévoyant d’abaisser le taux de l’impôt sur les sociétés à 28% pour toutes les entreprises. Il est fondamental de continuer à agir pour une convergence européenne sur ce point afin d’éviter les effets nuisibles de la concurrence fiscale.

Allez-vous défendre d’autres mesures dans ce dernier budget ?

Il comportera la réforme du compte entrepreneur investisseur, qui favorisera les entrepreneurs qui réinvestissent dans des start-up et des PME.

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