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Au Niger, les femmes s’organisent pour survivre à la saison des pluies sans leurs hommes

Série : Un combat pour la vie (20). Dans l’Ouest nigérien, alors que les travaux des champs sont achevés, les hommes s’exilent pour continuer à faire vivre leurs familles restées au village.

Par  (Gataraoua, Niger, envoyé spécial)

Publié le 25 août 2016 à 11h59, modifié le 26 août 2016 à 12h27

Temps de Lecture 6 min.

A Gararoua, au Niger, Hadiza est le relais de sa communauté. Elle explique aux femmes de son village comment composer des menus pour résister à la longue saison des pluies.

Gataraoua est une île en plein désert. Un village abandonné des hommes lorsque le ciel leur tombe sur la tête, une fois par année. Chaque hivernage, la saison des pluies se précipite en torrents, gonfle la terre argileuse et noie les champs formant des marécages qui enclavent ce confetti perdu de l’Ouest nigérien. Toutes les routes qui mènent à cette butte de 1 134 âmes sont coupées. Dans le village, il ne reste presque que les femmes et leurs enfants. Elles doivent se nourrir, se soigner, survivre, sans l’aide des hommes, partis travailler durant plusieurs mois comme débardeurs, cantonniers ou bouchers sous des climats moins hostiles.

Dans de belles venelles ensablées, les enfants rieurs se réfugient derrière des murets en bonko, ce pisé local qui matérialise toutes les habitations. Dans leur poing serré, on aperçoit parfois une fronde en bois. Elle leur sert à chasser les passereaux sur les branches, seule nourriture abondante que donnent ici les arbres. Il n’y a presque pas de fruits dans ce paysage pelé, contrit, peu disposé aux générosités de la nature. Alors ceux que l’on parvient à disputer aux oiseaux, il faut savoir en faire bon usage. C’est ce qu’enseigne aujourd’hui Hadiza Abibou à ses voisines. Mangue, banane, arachide, carotte, épinard, courge et œuf sont les ingrédients de base qu’elle utilise pour ses recettes nourrissantes qui protègent enfants et mères de la malnutrition.

Hadiza, personne relais de son village, Gataraoua, dans l’ouest du Niger, explique les bases d’une alimentation équilibrée à ses voisines.

Relais communautaires

Hadiza est une jeune femme de 27 ans formée par l’ONG irlandaise Concern et l’Unicef pour être relais communautaire dans son village. Ce qui signifie qu’elle s’occupe d’un groupe de seize femmes, ses voisines, à qui elle transmet des connaissances de base en nutrition et en santé. Ce matin, elle les a réunies dans la cour de sa maison pour leur montrer comment cuisiner les ressources alimentaires à la disposition du village. Il faut s’assurer qu’en cas d’isolement prolongé, personne ne meurt de faim. La recette du jour n’est pas très compliquée. Une bouillie de mil qui servira aux enfants sevrés à changer d’alimentation après six mois d’allaitement. Allongées sur des nattes, les pieds décorés de tatouages au henné, les femmes haoussa écoutent attentivement ses conseils. Elles savent qu’ils pourront leur éviter une catastrophe semblable à celle survenue en 2005.

Cette année-là, le Niger avait connu une grave crise alimentaire. Des nuées de sauterelles avaient dévoré l’intégralité des maigres cultures qu’une saison des pluies trop courte avait fournies : 3,3 millions de personnes furent touchées, dont 800 000 enfants de moins de 5 ans. A Gataraoua, près des trois quarts des enfants souffrirent de malnutrition. Chaque semaine, cinq d’entre eux décédaient.

« C’est la raison qui m’a donné envie d’aider ma communauté », raconte Hadiza. Seule femme du voisinage ayant reçu une éducation, Hadiza a été désignée pas les autres pour devenir leur relais. Dans le village, il y en a douze comme elle, afin de couvrir toute la population. Chaque semaine, elles organisent des réunions de sensibilisation à l’hygiène alimentaire et se tiennent disponibles pour soigner les mères ou leurs enfants malades.

Quatre heures de charrette

Après la bouillie de mil, Hadiza rend visite à Ramotou l’une de ses « patientes ». Elle les visite au moins deux fois par mois pour s’assurer que les conseils de santé et d’hygiène sont appliqués. Dans la cour, elle vérifie que l’eau et le savon sont là et que Ramotou, 30 ans, se lave les mains correctement. Frotter les paumes, les doigts et sous les ongles. Puis elle tire un peu sur la moustiquaire, vérifie qu’elle est bien accrochée. L’un des trois enfants de Ramotou joue dessous. Elle s’en occupe seule, car son mari est parti depuis quatre mois en exode au Nigeria. Il est débardeur pour une compagnie de transport. Elle espère qu’il reviendra dans quelques jours, quand il aura amassé assez d’argent pour la famille.

En partant, le mari de Ramotou ne lui a laissé qu’un petit stock de mil qu’elle a épuisé rapidement. Mais, grâce à ses activités, il a pu lui envoyer 30 000 francs CFA (45 euros) pour vivre durant trois mois. « Nous n’avons bientôt plus rien à manger, alors, s’il ne revient pas vite, je vais devoir aller battre le mil dans les champs avec mes enfants », explique Ramotou. Les voisins ne peuvent pas avancer des vivres ? « Non, car tout le monde est dans cette situation ! » Ramotou sait que se rendre dans les champs en périphérie du village est dangereux quand la saison des pluies approche. L’année passée, une femme s’est noyée avec son fils en tentant de traverser le gué qui mène à l’extérieur du village. Un écoulement soudain les a renversés. Le courant les a emportés. Personne n’a rien pu faire.

A Gataraoua, la personne relais de la communauté réapprend aux villageoises des gestes simples mais essentiels pour préserver la santé de tous : se laver les mains soigneusement.

« Elle essayait de rejoindre à pied la case de santé située à quelques kilomètres de là, car son enfant était malade, se désole Yahyha Koroua Al-Hadj, le chef du village. Cela arrive chaque année, car nous n’avons pas de structure médicale ici. Les autorités sont au courant, mais tardent à répondre à notre projet de case de santé qui éviterait aux habitants de sortir pour se soigner. Heureusement, depuis 2010, les relais communautaires peuvent déjà apporter les premiers soins. Mais ce n’est pas suffisant pour les cas plus graves. Sans véhicule, nous ne pouvons pas aller bien loin. Nous sommes à quatre heures de charrette de la première route goudronnée. » Pour Yahya Koroua, si les autorités manquent de réactivité, c’est pour des raisons politiques. « Notre village est trop petit et trop éloigné pour intéresser un représentant communal… sans doute trop pauvre aussi. »

Yahyha Koroua Al-Hadj, le chef du village.

Exil à plusieurs

Une situation qui s’ajoute à la rudesse du climat et a poussé Youssouf Chaibou, depuis ses 15 ans, à choisir l’exode plutôt que l’isolement, comme de nombreux hommes du village. « lci il n’y a pas assez de travail, explique-t-il. Les travaux champêtres ne durent que trois mois et l’on engrange à peine de quoi manger. On ne peut pas économiser. Et la terre est dure à creuser. »

Le jeune homme de 34 ans aux muscles dessinés revient d’un voyage de six mois. A Abidjan, il chargeait et déchargeait les camions de fruits. « Cette année, il n’y en avait pas beaucoup donc je suis revenu plus tôt. » A côté, il vendait l’attiéké, un plat ivoirien à base de farine de manioc. « Mais la récolte de manioc n’était pas bonne en Côte d’Ivoire », ajoute-t-il. Une pénurie qui l’a empêché de payer les 5 000 francs CFA du loyer de son « entré-couché », une pièce juste assez grande pour s’allonger sur des matelas qu’il partageait avec trois autres jeunes hommes du village.

A Gataraoua, on s’exile en groupe. Les bus se remplissent plus facilement et ça permet d’effacer la solitude et le danger de la route. Une tradition qui remonte les générations. « Mon père et le sien avant lui allaient déjà en Côte d’Ivoire chercher du travail et une vie meilleure, confie-t-il. Même à Niamey il n’y a pas de place pour nous. Alors nous changeons de pays. Certains vont au Bénin ou en Libye, mais de moins en moins au Nigeria. Là-bas, si Boko Haram ne te poursuit pas, c’est la police qui te bat en t’accusant d’être l’un des leurs. »

Rentré presque bredouille cette fois, il ne pourra pas mettre sa femme et ses cinq enfants à l’abri du besoin. « Je vais essayer d’emprunter en ville pour passer la saison », lâche-t-il sans trop y croire. Dans ce cas, pourquoi ne pas quitter le village et s’installer ailleurs avec la famille ? Ses sourcils se froncent : « Ce n’est pas parce que c’est dur au pays que tu dois t’installer ailleurs. Abandonner les tiens, tes parents ? Non ! Ton village a besoin de toi. Et qui sait, la situation s’améliorera peut-être un jour. »

C’est la grave crise alimentaire de 2005 qui a convaincu Hadiza, seule femme de son village a avoir reçu de l’éducation, à devenir personne relais de sa communauté.

Hadiza en doute. Rentrée chez elle après s’être occupée de Ramotou, elle s’assied auprès de son mari. Si elle est restée pour aider la communauté, ce qu’elle espère par-dessus tout est que sa fille trouve un travail ailleurs : « Je ne veux pas qu’elle souffre comme moi dans les champs. Pour s’épanouir, elle doit partir loin d’ici. » Elle passe sa main sur son foulard vert, « Tout ce que je demande, c’est qu’elle revienne me voir de temps en temps », glisse-t-elle, le regard affaissé par la certitude. L’avenir est dans l’exode.

Cet article est un épisode de la série d’été du Monde Afrique, « Un combat pour la vie », qui va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad, 4 000 km que notre reporter Matteo Maillard a parcourus entre avril et juin 2016.

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