Arrêtés "anti-burkini" : que va changer la décision du Conseil d'Etat?
DECRYPTAGE - Saisi par la Ligue des droits de l'homme (LDH) et le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), le Conseil d'Etat doit statuer sur la légalité des arrêtés anti-burkini. La décision sera rendue vendredi à 15 heures.
Le Conseil d'Etat mettra-t-il fin à la polémique? La plus haute juridiction administrative française a commencé à débattre en présence de trois juges, ce jeudi après-midi, de la légalité des arrêtés "anti-burkini" . Saisi à l'origine par la Ligue des droits de l'homme (LDH) et le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) pour suspendre en urgence l'arrêté pris par la commune de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), il se prononcera en réalité sur la légalité des arrêtés pris par une trentaine de villes côtières en France. Des textes qui visent à bannir le burkini, en exigeant "une tenue respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité" sur leurs plages. Le Conseil d'Etat rendra sa décision ce vendredi à 15 heures.
Créé en 1799, le Conseil d'Etat est le descendant direct du Conseil du Roi. Depuis, il exerce deux missions historiques. La première, conseiller le gouvernement, en donnant son avis sur la légalité et l'opportunité des projets de loi et de certains décrets. La seconde, occuper en France la fonction du juge administratif suprême, ce qui lui donne "toujours le dernier mot en ce qui concerne le règlement des litiges entre l'administration et les administrés", souligne le site vie-publique. Autrefois présidé par le chef de l'Etat ou son Premier ministre, il est depuis 2000 dirigé par le vice-président. Les 300 conseillers d'Etat sont tous des magistrats, recrutés à l'issue de leur scolarité à l'ENA, d'une nomination par le gouvernement, ou sur proposition du Conseil d'Etat.
"Le Conseil d'État protège contre les erreurs et contre les errements de l'administration, les services de l'État, les communes, les régions et les hôpitaux publics, explique Jean-Marc Sauvé, vice-président de la plus haute juridiction administrative depuis 2006 sur France Info . Le Conseil d' État est là pour garantir que les droits soient respectés par l'administration."
Ces deux associations avaient été les premières à faire un recours en justice, après la médiatisation de l'arrêté pris à Cannes, le 28 juillet dernier. Le tribunal administratif de Nice les avait déboutées , en validant cet arrêté, puis quelques jours plus tard celui, similaire, de Villeneuve-Loubet. Le tribunal estimait que, "dans le contexte" de l'attentat de Nice le 14 juillet et plus récemment de l'assassinat du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray, "qui a directement visé la religion chrétienne", cette mesure d’interdiction du port du "burkini" est "nécessaire, adaptée et proportionnée" pour éviter des troubles à l’ordre public. Le Conseil d'Etat s'est donc imposé comme le dernier recours possible pour contester cette décision.
Si le Conseil d'Etat valide : l'arrêté devient légalLa décision prise par le Conseil d'Etat fera jurisprudence. L'arrêté de Villeneuve-Loubet et par conséquent tous ceux qui ont été pris ces deux dernières semaines seront donc légaux. Ils pourront être exécutés, les personnes visées pourront être verbalisées pendant toute la durée d'application des arrêtés, soit jusqu'à la fin du mois d'août pour la majorité d'entre eux. Pour les associations, il ne sera plus possible de déposer un recours devant une juridiction nationale, le Conseil d'Etat étant la plus haute d'entre elles. "Mais je pense que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) serai saisie par l'une des associations", estime Jean-Michel Ducomte, avocat spécialisé en droit public et maître de conférence à l'IEP de Toulouse. La juridiction européenne devrait alors être saisie dans les six mois à compter de la décision du Conseil d'Etat. "Elle a déjà statué sur des cas similaires, en Turquie par exemple. La CEDH a validé en 2005 l'interdiction du voile à l'université, en considérant que le principe de laïcité était l'une des composantes de l'ordre public turque", précise l'avocat.
Si l'arrêté interdisant les tenues "non-laïques" et notamment le burkini sur les plages était validé, cela pourrait remettre sur la table le débat autour du port du voile dans l'espace public. " C'est le risque, avec ce genre de polémique. C'est dangereux, parce que ça ne concerne qu'une infime minorité de personnes, et ça risque, contrairement à l'intention première de l'arrêté, de créer du communautarisme", s'inquiète Jean-Michel Ducomte.
Si le Conseil d'Etat ne valide pas : l'arrêté est annuléSelon le maître de conférence, en cas d'avis défavorable du Conseil d'Etat, les arrêtés seraient annulés : "ils cesseraient de s'appliquer immédiatement. Donc il ne pourrait plus y avoir de verbalisations et on pourrait considérer que les verbalisations qui ont été prononcées sur la base de l'arrêté lorsqu'il s'appliquait seraient remises en cause." Les maires n'auraient probablement aucun recours. "Je les vois mal saisir la CEDH puisqu'ils ne pourraient pas prouver qu'on a porté atteinte à une de leurs libertés fondamentales", explique Jean-Michel Ducomte.
"Le Conseil d'Etat doit être le garant des libertés. Dans une démocratie, le principe est la liberté, et l'exception doit demeurer la restriction de police [mesure qui restreint une ou plusieurs libertés publiques dans le souci de respecter l'ordre public, Ndlr]", conclut le spécialiste.
Source: leJDD.fr
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