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AMÉRIQUE LATINE – ÉTATS-UNIS

Des Caraïbes aux États-Unis, via l’Amérique latine : l’interminable périple des migrants haïtiens et cubains (1/2)

Des migrants bloqués dans la ville colombienne de Turbo, à la frontière avec le Panama. Photo publiée dans le groupe public "Cubanos de Turbo" sur Facebook.
Des migrants bloqués dans la ville colombienne de Turbo, à la frontière avec le Panama. Photo publiée dans le groupe public "Cubanos de Turbo" sur Facebook.
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Depuis des années, de nombreux Cubains et Haïtiens tentent de rejoindre les États-Unis, afin de fuir la pauvreté ou les problèmes politiques. Mais ce mouvement migratoire s’est intensifié et complexifié ces derniers mois : certains traversent désormais une dizaine de pays latino-américains – dont le Brésil – avant d’arriver à la terre promise, bien que Cuba et Haïti se trouvent à proximité des côtes américaines. Nos Observateurs racontent, étape par étape, leur voyage coûteux et risqué.

Les Cubains et les Haïtiens n’ont jamais été aussi nombreux à entrer aux États-Unis, selon les chiffres du Service des douanes et de la protection des frontières du pays. S’ils ne quittent pas forcément leur pays pour les mêmes raisons, nombre d’entre eux empruntent désormais le même chemin tortueux.

Source : Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Les chiffres concernant les arrivées des Haïtiens avant 2014 n’ont pas été transmis à France 24.

QUITTER SON PAYS : UNE NÉCESSITÉ POUR DE NOMBREUX MIGRANTS

Des Cubains craignant l’abrogation du "Cuban Adjustement Act"

Historiquement, de nombreux Cubains ont rejoint le pays de l’oncle Sam afin de fuir le régime castriste ou la pauvreté. Depuis 1966, ils bénéficient là-bas d’une loi qui leur est particulièrement favorable, appelée "Cuban Adjustement Act" : ils peuvent rester sur place dès lors qu’ils foulent le sol américain et obtenir la carte de résident permanent un an seulement après leur arrivée.

Les Cubains craignent toutefois que cette loi ne soit bientôt abrogée, en raison du rapprochement diplomatique entre les deux pays, amorcé en décembre 2014. C’est pourquoi ils sont de plus en plus nombreux à tenter de se rendre aux États-Unis actuellement, à l’image d’Anita (pseudonyme). Cette Cubaine de 28 ans explique pourquoi elle a quitté l’île en juin dernier :

Il n’y a pas de liberté d’expression à Cuba : si on critique le gouvernement, on risque d’aller en prison. Par ailleurs, le salaire mensuel moyen est de 20 euros environ : il n’est pas possible de vivre avec ça. Avec mon mari, on a donc vendu notre maison pour que je puisse partir, seule dans un premier temps.

À l’image d’Anita, de nombreux migrants sont contraints de vendre leurs biens pour financer leur voyage (transports, passeurs, etc.). D’autres puisent également dans leurs économies ou font appel à la solidarité familiale.

Des travailleurs haïtiens refroidis par la crise économique brésilienne

Du côté des Haïtiens, la donne est sensiblement différente. La quasi-totalité de ceux qui remontent l’Amérique latine vers les États-Unis actuellement ont d’abord séjourné au Brésil : c’est là qu’ils étaient allés chercher du travail après avoir fui leur île à la suite au tremblement de terre de 2010. C’est le cas de Johnny, âgé de 28 ans :

Durant quatre ans, j’ai travaillé au Brésil comme maçon sur les chantiers de la Coupe du monde de football et des Jeux olympiques. Mais la situation économique du pays s’est dégradée et le chômage a augmenté. Des Brésiliens nous ont même accusés de leur voler leur travail. C’est pourquoi j’ai quitté le pays début avril, avec ma femme et notre bébé.

À l’instar de Johnny, de nombreux Haïtiens ayant déménagé au Brésil ont donc plié bagage ces derniers mois, afin de rejoindre les États-Unis dans l’espoir d’une vie meilleure, d’où l’intensification du flux migratoire entre les deux pays.

Carte montrant les différentes routes empruntées par les Cubains et les Haïtiens afin de rejoindre les États-Unis :

Exemples de trajets réalisés par les Cubains (en bleu) et les Haïtiens (en rouge). À partir de la Colombie, tous empruntent un chemin relativement similaire, à travers l'Amérique centrale (en vert).

ÉTAPE 1

DES CARAÏBES AU BRÉSIL : CAP AU SUD AVANT LA REMONTÉE

Les Haïtiens ne sont pas les seuls à voyager à partir du Brésil, puisque ce pays est également un point de passage "classique" pour les Cubains souhaitant aller aux États-Unis. Anita explique pourquoi :

Prendre le bateau pour rejoindre directement la Floride est risqué : on peut chavirer ou se faire renvoyer à Cuba si on est arrêtés en mer par les garde-côtes américains. De plus, cette traversée de 150 kilomètres coûte 10 000 dollars [8830 euros] : c’est deux fois plus cher que de passer par le Brésil et d’autres pays latino-américains.

Par ailleurs, il est très facile d’obtenir des papiers au Brésil. En ce qui me concerne, j’ai d’abord pris l’avion à La Havane, avec une amie, pour aller en Guyana, où les Cubains peuvent entrer sans visa. Puis nous avons voyagé en minibus jusqu’à la frontière brésilienne. Pour la traverser, nous avons dû verser 600 dollars à des passeurs cubains, mais une fois au Brésil, nous avons obtenu des papiers nous autorisant à travailler au bout d’une journée.

Cette étape brésilienne est néanmoins relativement nouvelle pour les Cubains. Durant des années, ils se sont plutôt rendus en Équateur – où ils pouvaient entrer sans visa – avant de poursuivre leur voyage vers le nord. Mais l’Équateur a durci sa politique à l’égard des Cubains en décembre 2015, afin de freiner l’afflux de migrants sur son territoire. C’est pourquoi ces derniers préfèrent désormais passer par le Brésil, avant de traverser d’autres pays.

ÉTAPE 2

DU BRÉSIL VERS LA COLOMBIE : LA VILLE DE TURBO, GOULET D’ÉTRANGLEMENT POUR LES MIGRANTS

Notre Observatrice cubaine poursuit :

Au Brésil, nous avons voyagé en voiture jusqu’à la frontière vénézuélienne. Nous l’avons passée illégalement, mais ça a été facile : nous avons simplement versé 800 dollars [705 euros] aux garde-frontières. Ensuite, nous avons poursuivi notre voyage à travers le pays, jusqu’à la frontière colombienne. Elle était fermée, donc nous l’avons traversée illégalement en moto, à travers la forêt. [La frontière a rouvert il y a quelques jours, après avoir été fermée pendant un an, NDLR.] Puis, nous avons poursuivi en bus jusqu’à Turbo, une ville frontalière du Panama.

C’est également dans la ville colombienne de Turbo que notre Observateur haïtien et sa famille sont arrivés, après être partis du Brésil :

Nous avons quitté le Brésil en remontant le fleuve Amazone en bateau, durant deux semaines, pour rejoindre le Pérou. Là-bas, on nous a donné des papiers nous permettant de continuer notre voyage. Nous avons ensuite pris l’avion jusqu’à Lima, la capitale, avant de poursuivre le trajet en bus jusqu’en Équateur, où nous avons également pu entrer facilement. Nous avons traversé ce pays en bus, puis ça s’est compliqué lorsque nous avons voulu traverser la frontière colombienne.

Pour y parvenir, nous avons donné 200 dollars [177 euros] à un passeur colombien. Il nous a cherchés pendant la nuit, en voiture, et nous avons roulé quelques heures avant d’arriver à la frontière. Puis un deuxième passeur colombien – travaillant avec le premier – a pris le relais. Avec lui, nous avons marché en forêt durant plusieurs jours, puis continué jusqu’à Turbo.

C’est là que de nombreux Haïtiens et Cubains, à l’image d’Anita (pseudonyme), sont restés bloqués durant des semaines, à la suite de la décision du président du Panama de fermer la frontière entre son pays et la Colombie, pour freiner l’immigration illégale, le 9 mai dernier.

Durant des semaines, jusqu'à 800 migrants – pour la plupart cubains – ont été hébergés dans cette auberge à Turbo, avant qu'elle ne soit évacuée par les autorités, il y a quinze jours environ. Vidéo publiée sur Facebook par Odeiky Hernandez Orozco.

À Turbo, de nombreux migrants ont également dormi dans des abris de fortune, en attendant que la situation ne se débloque pour eux. Photo publiée dans le groupe public "Cubanos de Turbo" sur Facebook.

Débordées par la situation – qualifiée de "crise humanitaire" par les ONG – les autorités colombiennes ont alors expulsé de nombreux migrants, les renvoyant vers les pays voisins ou vers leur pays d’origine.

De nombreux migrants ont toutefois réussi à traverser la frontière panaméenne clandestinement, comme Anita, Johnny et sa famille, échappant ainsi aux expulsions. Ils ont donc pu poursuivre leur voyage à travers l’Amérique centrale.

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>> Lire la suite du récit de nos Observateurs : Des Caraïbes aux États-Unis, via l’Amérique latine : l’interminable périple des migrants haïtiens et cubains (2/2)

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