Louis Stettner, virtuose méconnu de la photographie, est mort

Le photographe américain s'est éteint à l’âge de 93 ans, le 13 octobre 2016. Le Centre Pompidou lui avait consacré une rétrospective cet été. L'occasion pour “Télérama” de revenir sur le parcours magnifique d'un artiste qui s'est longtemps cherché, avant de se révéler pleinement à 92 ans.

Par Luc Desbenoit

Publié le 27 août 2016 à 13h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h57

Cette image, réalisée en 1954, est un moment de grâce absolue : assis sur un banc les bras en croix l’homme a basculé sa tête en arrière pour prendre le soleil. Il semble en apesanteur. Sa position évoque un plongeon: un saut de l’ange. Les gratte-ciels de Manhattan se découpent en arrière fond avec la puissance rassurante d’une chaîne montagneuse. On pourrait épiloguer des heures sur la perfection de ce cliché baignant dans une lumière idyllique et qui répond parfaitement à la définition de l’icône, l’image immédiatement reconnaissable, tombée dans le domaine public sans que l’on en connaisse forcément l’auteur.

Ami de Brassaï

Celle-ci fut prise par Louis Stettner à Brooklyn, le quartier où il naquit en 1922. Le photographe reste peu connu. Après la seconde guerre mondiale, l'homme a partagé sa vie entre l’Amérique et la France, qui est devenue sa seconde patrie. Lorsqu’on a découvert son oeuvre au musée d’art moderne de Paris, à travers la donation d’une centaine de tirages qu’il venait d’effectuer, couvrant presque les huit décennies de son activité photographique, on était bien en peine de lui coller une étiquette, ou des obsessions, ou définir un style personnel. Une exposition est une rencontre avec un auteur, l’ouverture à un dialogue. Louis Stettner a une conversation brillante mais un peu décousue.

Ami de Brassaï (1899-1984), l’Américain a pratiqué la photographie de rue à Paris ou à New York. Tout comme son compatriote Lee Friedlander (né en 1934), mais lorsque celui-ci appuie sur le déclencheur, il décrit sa vision du monde - un chaos humain ou urbain qu’il organise de façon magistrale dans son cadre. Avec lui, la beauté jaillit du désordre.
Stettner lui ne semble construire ses clichés que sur le hasard des anecdotes visuelles se présentant à lui. Il ne rate pas la composition merveilleusement graphique de cette femme noire au gant blanc dans le métro new-yorkais, ou la scène de ce vieillard qui semble pris au piège dans les filets de l’ombre du grillage d’un chantier. La chorégraphie des corps de ces étudiantes en tenue de collège qui discutent debout un jour de remise des diplômes évoque aussitôt les «Trois Grâces» de Raphaël.

Aubervilliers, Louis Stettner, France, 1947. Le photographe joua avec un style très caractéristique de Robert Doisneau.

Aubervilliers, Louis Stettner, France, 1947. Le photographe joua avec un style très caractéristique de Robert Doisneau. © Centre Pompidou/Dist. RMN-GP/Louis Stettner

Le style Robert Doisneau

Stettner connaissaît admirablement ses classiques. C’était un érudit de la photographie qu’il a longtemps enseignée. Il en avait assimilé tous les codes, tous les styles, qu’il utilisait selon les époques avec une dextérité parfois époustouflante. Dans le Paris des années 1950, son portrait de gosses de banlieue coiffées de bérets dans une ambiance de pavés luisants pourrait être confondu avec un Robert Doisneau (1912-1994). Coiffées d’une «choucroute» franchement grotesques ces deux «Texanes» faisant le pied de grue sur un trottoir de New York semblent avoir été épinglées par le regard implacable d’une Diane Arbus (1923-1971), toujours en quête d’êtres étranges.

La virtuosité technique de Stettner culmine dans son projet de livre de 1956 sur les pêcheurs espagnols «Pépé et Tony» présenté ici en fac-similé. Il y applique les préceptes de la Nouvelle vision de l’entre deux-guerres en quête de points de vues nouveaux, surprenants sur le corps. L’Américain photographie ainsi, les mains, les pieds, et les jambes de ces deux travailleurs de la mer comme si leurs membres détachés du corps étaient animés d’une vie propre. C’est absolument fascinant.

Il se dévoile à 92 ans

Mais qui est Stettner? Ce n’est que sur le tard, en 2014, à 92 ans, qu’il donne l’impression de se livrer, de se dévoiler, d’exprimer ses émotions personnelles, avec ces trois clichés d’arbres aux branches tordues, ayant poussées sous la contrainte du Mistral dans les Alpilles. On y sent une force de caractère peu commune, une forme de sagesse sur la vanité des choses et la dureté des combats que la vie impose à tout être humain. La beauté de ces images est hypnotique. On a enfin l’impression de dialoguer avec quelqu’un.

N°15, de la série « Les Alpilles », France, 2014

N°15, de la série « Les Alpilles », France, 2014 © Centre Pompidou/Dist. RMN-GP/Louis Stettner

A voir jusqu’au 12 septembre à la «Galerie de photographies» du Centre Pompidou à Paris (4e) (entrée libre). Rens : 01-44-78-12-33

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