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Billet de blog 31 août 2016

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Lettre d'une beurette des années 80 à sa génération et aux autres, par She Ouarem

« La sécularisation vaut aussi pour tous et surtout pour les pauvres ! Il y a urgence (...) à faire œuvre de pédagogie plutôt que de communication sur fond d’élection ou par souci d’autorité et de relancer un plan pour les banlieues en milliards », par Sherazade Ouarem, ex-membre de de SOS racisme, ex-membre de « Ni putes, ni soumises ». Contrôleur de Travaux Publics

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lettre d’une beurette des années 80 à sa génération et aux autres.

Par Sherazade OUAREM

Ex membre de de SOS racisme, ex membre de « Ni putes, ni soumises ».

Contrôleur de Travaux Publics

Je fis partie à 20 ans de ce que nous appelions « les beurettes ». Terme sympathique à l’époque, il désignait une génération de jeunes femmes issues de l’immigration désireuses d’entrée de plein pied et d’intégrer la vie moderne et républicaine. Bien avant que ce terme ne finisse tristement en intitulant un site pornographique, nous nous battions alors contre le racisme des uns et les mariages forcés des autres. J’ai dû, moi-même, affronter les exigences de ma famille, fuguer, imposer et gagner ma liberté. J’ai, dans le même temps, affronté le discours sur la race de Le Pen, celui des odeurs de Chirac, celui de la délinquance de Zemmour.   Mon combat ne fût ni unique, ni individuel. Il était, au contraire, porté par une génération d’hommes et de femmes libres plutôt de gauche mais pas seulement. Porteurs et porteuses d’une promesse émancipatrice pour les jeunes filles et intégratrice pour toutes les enfants issus de l’immigration. Je fus de tous ces combats et ils furent en partie gagnés.

En haut de la pile, la France compte des scientifiques, des intellectuels, des journalistes, des politiques acteurs et actrices, musiciens, médecins, avocats… issus de l’immigration. Elle compte aussi des plombiers, des boulangers et boulangères, des conductrices des bus, des enseignants et des institutrices. J’exerce moi-même, aujourd’hui,  un métier plutôt réservé aux hommes. Tout cela paraîtrait presque normal s’il ne convenait de rappeler, qu’il y a 40 ans, aucun de ces métiers ne nous étaient accessibles. Aujourd’hui, les Starts Up et les nouveaux métiers liés aux nouvelles technologies sont remplis des talents de nos enfants. Ce mouvement ne s’arrêtera pas, sauf à ce qu’un gouvernement ne décide demain que les enfants et petits-enfants issus de l’immigration n’y aient plus leurs places. L’histoire a montré qu’une telle ignominie reste toujours  possible.

Un combat gagné certes, mais  en partie seulement parce qu’il est resté le bas de la pile : ceux qui sont restés dans les ghettos et que la crise a collé aux murs et au chômage, ceux qui ont versé dans le trafic en lien avec la puissante mafia de la drogue et … de la prostitution qui y importe ses méthodes violentes anéantissant la vie de centaine de milliers de gens. Ceux qui s’adonnaient à la pratique dite des « tournantes » sur des jeunes filles qui avaient, à l’exemple de leurs aînées, adopté les modes et les codes de la vie moderne.  Il serait malhonnête de dire que tout cela ne fût pas un choc. Je pensais que notre génération avait ouvert la voie et que le flambeau passerait ainsi les générations futures afin d’accomplir pleinement la promesse des années 80 ouverte aussi bien par la Marche des beurs que SOS racisme.   

D’autres générations se sont levées pourtant. Ils ont exigé des milliards pour les banlieues à diriger d’urgence vers l’éducation (nationale et populaire). Des millions ont été versés pour la rénovation des quartiers, c’est vrai. Sans dire qu’ils furent inutiles, ils firent plus les beaux jours du BTP que de l’Education. D’autres enfants issus de l’immigration ont demandé les moyens de poursuivre les processus d’intégration (Droit de vote, fin du contrôle au faciès), vingt plus tard nous y sommes encore. Ils ont  demandé plus de sécurité dans les quartiers de notre pays afin d’assurer la tranquillité et la sécurité des habitants. Je ne rappelle pas ici le nombre de policiers supprimés par les gouvernements précédents.

Ils ont exigé une attention particulière pour les femmes et jeunes filles des quartiers qui, faibles parmi les faibles, subissaient de multiples façons les agressions de la pauvreté, de l’ignorance et des trafics en tout genre. «  Ni putes, ni soumises » fût un cri et un espoir. S’il trouva des symboles avec la mise au premier plan politique de femmes issues non seulement de l’immigration, mais des couches populaires et pauvres des quartiers, il ne déboucha sur rien d’autre pour l’immense majorité des femmes.

Les quartiers ont vu débarquer les mosquées. Pour les plus croyants des musulmans, obligés de pratiquer leur foi dans les caves, ce fut une libération. Pour les autres, c’était justice de permettre à leurs pères, mères ou ami(e)s de pratiquer dignement leur religion. 

Avec les mosquées, ont débarqué les imams. Venue de l’étranger, cette nouvelle autorité morale était à contre-courant de tout et ignare des mentalités et de leurs évolutions en France. Les imams ont ravivé les différences entre l’Islam venus d’Algérie, de Tunisie ou du Maroc. Ils ont réinjecté les traditions du bled dont celles de la tenue correcte exigée musulmane. Les blédards religieux ont réorganisé la hiérarchie sociale de certains quartiers et jusque dans certaines familles. Le tout avec la bénédiction d’un CFCM (dans lequel au passage aucune femme ne siège), concocté à la hâte et dans laquelle la majorité des musulmans ne se reconnaissent pas. Le voile est devenu le symbole de légitimation d’une morale plus puissante encore puisqu’il était accepté.

Les voyous « fondamentalisés » ou radicalisés en prison se sont chargés de faire régner l’ordre dans certains quartiers.  

Ici s’est arrêté le lent processus de sécularisation des mentalités qui était pourtant à l’œuvre, y compris dans les quartiers. Je dis sécularisation, c’est-à-dire, le passage du religieux vers le non religieux que je ne confonds pas avec la laïcité. Cette dernière concerne nos institutions. La sécularisation concerne les mentalités et s’entend comme la baisse de l’influence de la religion et du pouvoir de la religion sur les individus. Le débat qui fait rage mélange ces deux notions, on y comprend plus rien. Je clarifie.

Qu’on le veuille ou non, avec des poches de résistances (le voile en 89), les populations issues de l’immigration étaient à l’image de la société française dans un processus historique de sécularisation. Nous n’avons pas manifesté pour avoir des mosquées, nous n’avons pas revendiqué la prêche des imams, nous n’avons pas pétitionné pour prendre le voile ou la djellaba (oui parce que ces messieurs aussi sont concernés). Pour les plus actifs d’entre nous, nous demandions un plan Marshall pour les banlieues et l’égalité pour tous au travail, à l’embauche et jusque dans les boîtes de nuit.  Nous demandions d’entrer nous aussi avec l’aide de l’Etat et de ses services, dans la modernité. Beaucoup d’entre nous ont démontré mille fois que cela était possible et réussissait. Au lieu de quoi, on a fermé les services, affaiblit les associations et mit les mosquées, avec les dealers, en bas des escaliers. A l’instant où le religieux a pu remplacer l’instituteur ou l’animateur de quartier, avec la validation de l’Etat et du Président de la République de l’époque, ne vous étonnez pas que le premier est pris le pas sur les seconds.

La société française a regardé, inconséquente, ce processus à l’œuvre. Les uns et les autres, compris ceux qui s’invectivent aujourd’hui ont été incapables de le caractériser et mènent aujourd’hui, sur fond d’attentats, une bataille d’arrière-garde sur l’interprétation du burkini ou du voile (en oubliant la djellaba d’ailleurs … mais j’y tiens !).

Les responsables politiques sont peu nombreux à avoir compris le niveau et la taille de l’enjeu. Et s’ils le comprennent à le formuler posément : reprendre le cours, jadis à l’œuvre, de la sécularisation des mentalités. Ce processus ne passera pas par des interdits mais par notre capacité à reposer une promesse de modernité où chacun et chacune est le bienvenu(e) quelle que soit sa foi.  Une modernité qui choisit entre le sentiment concret d’une vie commune (chaque mot est ici pesé) ou celui de l’individualisme où chacun se définit par sa norme et notamment religieuse.  La France est un beau et grand pays. Elle est, à elle seule, une promesse sans cesse renouvelée. En faire partie suppose des obligations mais surtout une furieuse envie et la possibilité concrète et ouverte à tous d’en être.

Sa relation avec les religions est une exception dans le monde et doit être à ce titre préservée, y compris par les croyants. Les intellectuels français humanistes et progressistes (je ne compte pas sur les autres) doivent aider à la reprise de ce processus de sécularisation plutôt que d’organiser des battues sans queue ni tête entre eux et par post interposés.  Ils doivent aussi comprendre que ce débat se mène entre eux et la société française. Qu’ils nous épargnent, alors, d’être les spectateurs hagards d’un débat avec ceux qui, venus de Genève ou de Londres, nous vendent le modèle anglo-saxon où les différences rendues ainsi visibles ont vocation à devenir des marchés juteux d’un côté et de nous séparer les uns des autres.

Que la sécularisation vaut aussi pour tous et surtout pour les pauvres !

Quant aux politiques, il y a urgence pour eux à faire œuvre de pédagogie plutôt que de communication sur fond d’élection ou par souci d’autorité et de relancer un plan pour les banlieues en milliards, à la hauteur de celui que vous avez été capables de trouver pour le système bancaire. L’Europe ferait bien elle aussi de se pencher sur cette réalité qui est loin de n’être que française et de dégager les moyens pour relancer la modernité dans l’ensemble des quartiers de nos pays. A la fin du 19ème, il a fallu la peste et la diphtérie pour que la bonne société de l’époque comprenne qu’elle ne serait pas épargnée et que ces maladies ne s’arrêteraient pas  aux pauvres. Elle a mis en place le tout premier système de santé publique.

A bons entendeurs ( euses).

P.S : Merci à Patou Phil pour son aide précieuse à la rédaction du combat d’une vie.

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