Menu
Libération
Gabon

Libreville paralysée par la peur

Alors que la pénurie guette, la capitale gabonaise est quadrillée par les forces de sécurité, qui tentent d'empêcher les rassemblements.
par Célian Macé
publié le 2 septembre 2016 à 19h29

Quarante-huit heures après l'annonce des résultats donnant Ali Bongo vainqueur de l'élection présidentielle au Gagon, «Libreville est une ville morte», indique un habitant du quartier de Nzeng Ayong, joint par téléphone. «Personne ne circule, les routes sont bloquées, tout le monde se terre, décrit cet enseignant de 37 ans qui a voté samedi pour le principal opposant, Jean Ping. Depuis la marche réprimée de mercredi, à laquelle j'ai participé, il n'y a plus de grands rassemblements, c'est impossible.»

A la nuit tombée, cependant, des groupes de jeunes construisent des barricades à la hâte. «Ça ne dure pas longtemps car les forces de l'ordre, cagoulées, tirent à balles réelles, témoigne Bob Fernand Mengome Atome, 44 ans, membre de l'équipe de campagne de Jean Ping. Mon petit frère a été arrêté mercredi au siège de la télévision gabonaise [attaquée par les manifestants, ndlr]. On ne sait pas où il a été emmené. Comme une bête blessée, le pouvoir est devenu très dangereux.»

A lire aussi :Dans le Haut-Ogooué, le score de Bongo trop gros pour être vrai

La nuit dernière, deux hommes ont été tués dans le quartier de Nzeng Ayong au cours d'affrontements avec la police. «Au total, nous avons reçu 39 blessés par balles en provenance des zones d'émeute depuis mercredi. Huit d'entre eux sont passés par le bloc opératoire, surtout pour des plaies abdominales, explique à Libération le médecin chef de la clinique Chambrier. Deux jeunes sont décédés, l'un était mort en arrivant, l'autre a succombé après l'opération.» L'hôpital général de Libreville, refuse, lui, de communiquer ses chiffres.

«Ali est seul»

Au quartier général de Jean Ping, 27 leaders de l'opposition sont toujours retenus par les gendarmes. «Nous sommes parqués à l'extérieur comme du bétail et nourris de façon sommaire, écrivent-ils dans une lettre adressée à Ban Ki-moon, Barack Obama, François Hollande et la représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini. Nous considérons cette attaque frontale et ces humiliations comme une volonté du régime de masquer le hold-up électoral qui vient d'être commis.» Jean Ping, lui, a pu quitter son QG avant l'assaut des gendarmes.

A la différence des violences post-électorales de 2009, qui s'étaient concentrées à Port-Gentil, la deuxième ville du pays, la crise semble cette fois étendue à tout le Gabon, notamment dans les villes de Bitam, Oyem et Lambaréné. «C'est un petit pays, tout le monde se connaît, rappelle Mélanie Soiron-Fallut, anthropologue. Omar Bongo avait su asseoir son pouvoir au niveau de la famille, du clan, de sa région natale. Mais Ali est seul. Il s'est entouré de personnalités venues de l'extérieur [notamment son éminence grise, le Béninois Maxent Accrombessi, hospitalisé au Maroc]. Même sa famille le lâche.» Son frère, Christian Bongo Ondimba, a rallié Jean Ping, tout comme son cousin Léon Paul Ngoulakia, ex-chef des services de renseignement.

Bras de fer

«Il ne reste plus à Ali que la force militaire, poursuit la chercheuse. Mais sur ce plan-là, le déséquilibre est tellement énorme… Ali Bongo a été ministre de la Défense à l'époque du père. Il a tout verrouillé.» Jean Ping, vieux routier des circuits internationaux (il a été président de la commission de l'Union africaine, président de l'Assemblée générale des Nations unies, ministre des Affaires étrangères), va plutôt tenter d'activer ses réseaux pour déplacer le bras de fer électoral qui l'oppose à Ali Bongo vers un arbitrage extérieur.

A lire aussi : Jean Ping : «Je ne croyais pas qu'Ali Bongo oserait faire ça, c'est inimaginable»

La France jouera-t-elle un rôle ? «On pourrait à la limite recommander une médiation de l'Union africaine ou de la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale, juge le député PS François Loncle, membre du groupe d'amitié France-Gabon. Mais la France n'a pas à se mêler du processus électoral dans un pays africain ! Le communiqué du PS sur le scrutin trois jours avant les résultats, par exemple, c'est contre-productif. C'est une ingérence d'un autre âge, obsolète à mon avis.» Jusqu'à présent, le Quai d'Orsay a appelé les parties «à la plus grande retenue» et demande la publication des résultats de l'élection bureau de vote par bureau de vote dans un souci de transparence. C'est aussi la principale exigence de l'opposition.

Dans le quartier de Beau-Séjour, à Libreville, une retraitée de l'Education nationale de 63 ans a osé sortir de chez elle pour la première fois depuis trois jours. «Ce matin, j'ai fait un petit tour à pied. Des magasins avaient été pillés, il y avait des restes de barricades. La nuit, on entend des coups de feu, des détonations, raconte-t-elle au téléphone. On a peur mais je ne suis pas surprise : je sais qui est en face, je sais de quoi il est capable. Mais j'en ai marre, nous voulons vivre autre chose.» Elle avait 14 ans quand Omar Bongo, mis en selle par Jacques Foccart, le Monsieur Afrique du général de Gaulle, a pris les rênes du pays.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique