Société
Témoin - Pérégrinations chez les Tang

La Chine moderne, pays de l’harmonie sans foi ?

photo de fidèles
Fidèles brûlant de l'encens et priant au Temple des Lamas à Pékin pour le premier jour du Nouvel An chinois le 15 février 2015. (Crédits :Greg BAKER / AFP)
Quand le facteur religieux a souvent joué le rôle d’encadrant social dans de nombreuses sociétés humaines, en Chine, ce facteur est beaucoup plus diffus, d’apparence moins présent. Pour autant, si la plupart des Chinois que j’ai pu rencontrer se définissent comme n’ayant pas de foi, cela ne signifie pas une absence de spiritualité.
L’absence d’une religion uniforme et communément partagée par l’ethnie majoritaire Han (汉) brouille aisément le système d’analyse de nos sociétés occidentales. A un professeur de français issu de l’ethnie musulmane Hui (回民), je demandais un brin provocateur :
« Mais finalement, les Hui ne sont-ils pas des Han convertis à l’Islam ? – Pas du tout ! me répondit-il du tac au tac. Nous sommes une ethnie à part entière, issue des peuplades turques du Xinjiang (新疆), avec notre propre langue, notre culture et nos traditions. »

L’islam comme trait d’union, mais qu’en est-il des autres religions ? D’une manière générale, les Chinois se définissent rarement par une foi exclusive. Ils me posent régulièrement la question, subodorant mon affiliation chrétienne en tant qu’Occidental. Mais quand vient leur tour, la réponse n’est jamais claire : la plupart croient sans vraiment croire, reproduisant un schéma mélangé, entre bouddhisme et taoïsme, le tout nimbé de confucianisme. Quelques-uns se revendiquent clairement du bouddhisme dans sa version tantrique (vajrayana), mais dépouillé de sa face politique, ce courant étant celui qui se retrouve en majorité au Tibet.

En Chine, où le paraître donne souvent l’impression de prendre le pas sur l’être (ce qui est pourtant faux), les preuves d’appartenance à l’obédience bouddhique semblent se multiplier d’année en année, comme un soudain regain de spiritualité : qui de son chapelet pendentif ou mala autour du cou, qui de ses multiples bracelets en pierres plus ou moins précieuses, etc. La messagerie Wechat (微信, weixin) sert souvent de vitrine ostentatoire de sa foi… sans réellement la pratiquer :

capture d'écran de messagerie wechat
Sur la messagerie instantanée Wechat : "M’as-tu vu croire ?" (Copies d'écran : Wechat)
capture écran de messagerie wechat
Sur la messagerie instantanée Wechat, on s'échange souvent des photos de ces "malas", chapelets bouddhique en forme de bracelets. (Copies d'écran : Wechat)

Vraie foi ou faux dévots ?

Cette question m’est venue à l’esprit un très grand nombre de fois. Comment expliquer une telle affluence dans les temples d’apparents fidèles prompts à une prière expéditive, alors qu’à l’évidence, nombre d’entre eux ne sont souvent pas de réels croyants ? Combien de fois ai-je vu des punks ou des fans de heavy metal procéder aux trois prosternations rituelles devant un grand bouddha sans pour autant faire acte d’une foi sincère ? Lors d’un récent séjour à Shaoxing, ville natale du fameux écrivain Lu Xun (鲁迅), j’ai eu l’occasion de visiter un grand temple bouddhique. Accompagné d’un de mes meilleurs amis chinois, je le vois soudainement se prosterner devant une des nombreuses salles contenant une représentation tantrique :
« J’étais persuadé que tu n’étais pas bouddhiste…, » lui dis-je. – Je ne le suis pas, je n’y crois pas, m’assure-t-il. – Mais alors, pourquoi te prosterner devant cette statue, cela ne signifie rien ?! – Je montre juste mon respect. »

Je venais enfin de comprendre une partie du phénomène. C’est véritablement le regain confucéen, fil rouge des traditions chinoises, qui assemble et rend harmonieux tout cet entrelacs. Le respect des anciens, de la tradition, du lien hiérarchique… autant de règles ancestrales encore bien présentes chez une jeunesse prise dans l’évolution au pas de course de la société chinoise. La reproduction sociale diffuse est bien réelle et la dimension confessionnelle chinoise semble gagner du terrain à mesure que les idéaux maoïstes s’estompent avec les années.

L’harmonie comme éternel fil d’Ariane : le gouvernement actuel ne peut que s’en satisfaire, surfant sur une logique de renouveau patriotique et traditionnel tout en essayant de ménager l’idéal socialiste. Le vecteur de la foi « à la chinoise » ne saurait donc être écarté s’il prend toute sa part dans la préservation de la société harmonieuse tant souhaitée par les gouvernants… Et tant pis pour les éventuelles incohérences idéologiques !

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A propos de l'auteur
Diplômé d'un master en droit social à Paris II, Philippe de Gonzague a travaillé comme juriste en droit du travail pendant 4 ans avant de décider de partir pour Xi'an afin d'y apprendre le chinois à temps plein. Premier voyage en Chine en 2010 et premier coup de foudre pour l'Empire du Milieu ; depuis 2012 Xi'an est devenu sa "base" pour analyser les us et coutumes tant quotidiens qu'ancestraux d'une Chine encore bien mystérieuse pour beaucoup.
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