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Billet de blog 31 août 2016

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Délinquance des jeunes des quartiers: «Une logique de compensation sociale»

Suite de notre série prison et quartiers. Lundi, nous décryptions les mécanismes discriminatoires à l’œuvre dans la chaine pénale, qui expliquent en partie la surreprésentation des jeunes de quartiers dans les maisons d'arrêt. Aujourd'hui, le sociologue Marwan Mohammed nous explique les moteurs de la délinquance de désoeuvrement, qui a mené ces jeunes derrière les barreaux.

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Propos recueillis par Laure ANELLI, Observatoire international des prisons - Section française

Illustration 1
© DR

La délinquance en col blanc est par définition surtout le fait des classes supérieures. Certaines formes de délinquance s’observent-elles à l’inverse particulièrement dans les quartiers populaires ?
Marwan Mohammed : On trouve dans les quartiers populaires des formes de délinquance liées à leur histoire et à leur composition sociale : une délinquance de voie publique, d’appropriation et une délinquance expressive et honorifique comme les affrontements entre bandes. Plus visibles que d’autres, ces formes de délinquance sont particulièrement ciblées par les forces de police, qui en font le coeur de leur activité. En outre, il y a parfois une sorte de tradition et d’ancrage de certaines conduites transgressives dans l’ordre normatif des quartiers. Autrement dit, certaines conduites déviantes sont localement banalisées, parce qu’elles font partie de l’ordre des choses, qu’elles se reproduisent de génération en génération, jusqu’à faire parfois partie de l’identité d’un quartier.

Comment expliquer la prévalence de ces formes de délinquance dans les quartiers ?
Elles reposent, pour leurs auteurs, sur une logique de compensation sociale : ces comportements transgressifs peuvent en effet être lus comme des formes déviantes d’adaptation aux normes dominantes, ce que Merton avait appelé, dans sa théorie de la frustration relative, le « conformisme déviant ». Tous les milieux et classes sociales partagent les mêmes fins, les mêmes objectifs sociaux : consommer, s’affirmer, être reconnu socialement. Seuls les moyens d’y accéder diffèrent, selon les positions sociales. Pour ces jeunes comme pour tous, l’urgence est de devenir quelqu’un et, dans un contexte de pression matérialiste, de consommer un peu. Quelles sont les voies possibles pour y parvenir, dans des territoires où le décrochage scolaire et le taux de chômage sont particulièrement importants ? Quelques-uns vont être doués pour le sport, les arts. Sans que ce soit mécanique, d’autres vont compenser par des moyens transgressifs et entrer en délinquance. Mais, contrairement à ce que l’on croit, là aussi, les places sont limitées : s’engager et durer dans ce milieu demande un certain nombre de compétences, de motivations et de ressources.

Quel(s) rôle(s) joue la prison dans ces carrières délinquantes ?
Dans le microcosme des bandes, les premières peines, généralement courtes, apportent des bénéfices à l’intérieur et à l’extérieur. C’est un peu comme avoir ses premiers galons. Même s’ils en souffrent, même si c’est dur – et après disent « la première peine c’était dur, je déprimais », etc. –, ils vont pouvoir capitaliser dessus, en termes de réputation mais également de connexions. Car la prison est un magnifique espace de mise en relation et de transfert de compétences ou d’opportunités. Dans beaucoup de récits recueillis, le passage en prison a coïncidé avec une forme de promotion, avec le passage d’un seuil, d’une délinquance de voie publique – embrouilles, vols, violences, petits trafics –, à une délinquance de niveau supérieur plus professionnalisée. L’enfermement participe de la reproduction de l’espace de la criminalité en France, de la petite et grande délinquance. Ceci dit, la prison peut aussi, au bout d’un moment, devenir usante. Ce n’est alors plus un tremplin mais un frein, une lourdeur, une contrainte, remettant en question un engagement délinquant. La sortie de délinquance est un équilibre entre une ouverture sociale – la capacité à se projeter, à trouver une place conforme et acceptable – et l’usure. La prison peut participer de ce sentiment d’usure. Donc questionner l’impact de la prison implique de se questionner sur la situation personnelle de l’incarcéré.

L’éloignement du quartier est-il la solution d’après vous ?
Qu’il soit prononcé par un juge ou décidé par des proches, il est la plupart du temps temporaire. En outre, on se soucie rarement de savoir si l’éloigné peut être accueilli ailleurs ou s’il a quelque chose à faire. On éloigne pour quoi faire ? Est-ce que c’est pour se former, se construire, se projeter sur autre chose ? C’est rarement le cas, même si on peut comprendre que la mise à distance réponde à une forme d’urgence. Plutôt que de penser enfermement ou éloignement, il faudrait travailler à réduire le vivier, en amont des parcours de délinquance.

Comment ?
Entre cent-vingt et cent-cinquante-mille personnes sortent du système scolaire chaque année sans qualification. C’est là-dessus qu’il faudrait agir. Des propositions existent, mais se heurtent à l’inertie des politiques. A l’autre bout de la chaîne, il faut investir dans une vraie politique de réinsertion et de désistance. La question de la sortie de la délinquance doit faire l’objet d’une véritable politique publique, pas d’un agrégat de dispositifs à la fois dispersés et limités.

Cet article est issu du n°92 de la revue trimestrielle Dedans-Dehors, éditée par l'Observatoire intertional des prisons. Pour consulter l'intégralité du dossier et vous abonner à la revue papier, c'est ici.

Nos précédents articles sur le sujet :

Prison et quartier : un destin collectif

La prison, "une cité avec des barreaux"

"La prison, je connaissais avant même d'y entrer"

Prison et quartiers : dissection d'un engrenage pénal

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