“Les Petits Secrets des grands tableaux” : amours, délices et luxure à la mode Bosch

Parallèlement au riche documentaire sur “La Tentation de saint Antoine” de Jérôme Bosch, diffusé dimanche 4 septembre sur Arte, la chaîne propose sur son application Arte 360 et sur creative.arte.tv un film somptueux de Carlos Franklin. Un voyage saisissant dans l'imaginaire du peintre flamand.

Par Hélène Rochette

Publié le 03 septembre 2016 à 14h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h57

Qui n'a rêvé d'entrer incognito dans un tableau de Jérôme Bosch et de fricoter avec les démons ventripotents, les monstres velus et les créatures maléfiques surgis du pinceau virtuose ? Pour les 500 ans de la mort de l'artiste flamand, Arte inaugure un nouveau format, entièrement tourné en réalité virtuelle (VR) et en images de synthèse, qui permet de déambuler tous azimuts, à 360°, dans l'œuvre picturale. Déclinaison de la brillante série des Petits Secrets des grands tableaux, ce premier épisode (1) sur La Tentation de saint Antoine de Bosch nous propose d'éprouver les périls encourus par le saint guérisseur, taraudé toute sa vie (105 ans tout de même !) par les forces tentatrices du diable... On a enfilé notre casque de VR et vagabondé au cœur des délices et des hallucinations déployées sur le triptyque. Frissons garantis !

Vite sollicitée par les croassements et les crépitements qui résonnent dans le casque audio, la tête tourne tous azimuts et l'on découvre, sous nos pieds, un paysage de marécages, de ruines, de palais, de scènes guerrières et de ville incendiée... Vaincu et assommé, Antoine atterrit dans ce cloaque fumant et grouillant. Happé par les jeux de lumière, les animations du décor, et séduit par la vue stéréoscopique à couper le souffle, le spectateur bouge sa caboche en tout sens, pour capter en haut, en bas, à gauche, à droite, le moindre dandinement de lutins et de monstres chapeautés d'entonnoirs ou affublés de groins protubérants.

“Le monteur son a dû chercher assez loin le bruit que pouvait faire un poisson volant !” Le réalisateur Carlos Franklin

Artisan de ce remuant bestiaire, librement redessiné à partir de l'huile sur panneaux de chêne de Bosch, Carlos Franklin confie : « Pour préparer le documentaire, je suis allé au musée du Prado, à Madrid (où sont réunies jusqu'au 11 septembre, pour le 500e anniversaire de la mort du peintre, toutes les oeuvres attribuées à Bosch, ndlr) et je suis resté des heures devant ces chefs-d'œuvre... Tout est si méticuleux, avec tous ces animaux çà et là ! Il y a dans La Tentation moins d'éléments que dans Le Jardin des délices, mais on a quand même eu à recréer et à animer des tas de bestioles ! Et le monteur son a dû chercher assez loin le bruit que pouvait faire un poisson volant ! ».

Les petits secrets des grands tableaux - La Tentation de saint Antoine, 1501, Jérôme Bosch

Les petits secrets des grands tableaux - La Tentation de saint Antoine, 1501, Jérôme Bosch © Les Poissons volants

Très ouvragée, la bande-son spatialisée, conçue avec l'aide d'ingénieurs de l'IRCAM, nous oriente dans l'exaltant périple. Les tympans à l'affût, on sursaute au rythme des tintinnabulements des lances. Puis, peu à peu, le fracas des rixes et des duels s'amenuise. Les grondements et les halètements des bêtes s'apaisent. Soudain ballotté dans une pénombre fuligineuse, on pénètre dans la grotte de Jésus. Au centre du triptyque, cet édifice à demi éventré représente un havre réconfortant pour saint Antoine, assailli par les hordes tentatrices de démons ventrus. Arpenté à 360°, ô surprise !, le donjon dévoile tout son envers et exhibe sur ses murs noircis une série de tableaux horrifiques, consacrés au « feu de saint Antoine ».

Carlos Franklin précise avec délectation : « A l'époque, l'Europe est frappée par la propagation du mal des ardents, que l'on appelle aussi « feu de saint Antoine » ou ergotisme. Cette intoxication liée à la présence d'une moisissure dans l'ergot de seigle produisait de violents effets hallucinatoires. Dans les monastères des Antonins, qui sont les ancêtres de nos hôpitaux modernes, on abreuvait les malades de saint vinage, un élixir fabriqué avec des plantes macérées, mélangées à des reliques du saint ! On donnait aussi des breuvages issus du jus de mandragore... Mais comme la mandragore est également un puissant hallucinogène, les délires et les hallucinations augmentaient. Tout le monde était un peu sous l'effet du LSD, en quelque sorte, le LSD de la fin du Moyen Age ! Donc, les univers déments de Bosch, c'était la vision banale et quotidienne de presque toute la population aux alentours de 1500 ! »

Les petits secrets des grands tableaux - La Tentation de saint Antoine, 1501, Jérôme Bosch

Les petits secrets des grands tableaux - La Tentation de saint Antoine, 1501, Jérôme Bosch © Les Poissons volants

Restituées par la magie de la réalité virtuelle, les errances psychédéliques des malades et des pénitents de la Renaissance prennent la forme d'une épopée rocambolesque, où le grotesque et le surnaturel s'entrechoquent. A plusieurs reprises, le spectateur de 2016 frémit en traversant les ténèbres et les visions cauchemardesques, imaginées par le grand peintre de la bizarrerie. Escorté par les diablotins et les créatures licencieuses, il se soustrait aux attraits des tenants de la luxure et de la gourmandise. Emerillonné, son œil balaie l'espace tumultueux et s'aventure des collines étincelantes aux sombres bourbiers.

Saisis à 360°, ces incessants va-et-vient ne sont pas sans occasionner quelques désagréments nauséeux, dont le responsable, Carlos Franklin, n'est pas dupe : « En réalité virtuelle, il y a toujours un conflit entre l'esprit et le corps. Dans votre tête, vous pouvez voler, nager sous l'eau, mais le corps, lui, ne perçoit pas du tout les choses comme ça. Bon nombre de perceptions peuvent être dérangeantes. Il faut donc adapter les mouvements de caméra et faire en sorte que la réalisation soit équilibrée... Certaines personnes peuvent avoir le vertige : lors du passage où l'on sort de la tour par les airs, j'ai vu certains spectateurs s'accrocher violemment au siège ! ».
On n'excursionne pas impunément dans le panorama turbulent et onirique de La Tentation de saint Antoine de Jérôme Bosch. L'immersion via un casque de réalité virtuelle revient à plonger à son corps défendant dans les tourments et les angoisses de la fin du Moyen Age. Mais, même éreintante, la balade procure un transport des sens des plus réjouissants !

(1) La Tentation de Saint-Antoine en VR (France, 2016, 7mn) sera suivie par cinq autres immersions à 360 degrés, également réalisées par Carlos Franklin et écrites par Thomas Cheysson. Ces nouveaux films, dont les tournages débuteront dès cette rentrée, vont explorer les oeuvres de Velasquez, Véronèse, Kandinsky, Vermeer et Bellotto.

 Les petits secrets des grands tableaux - La Tentation de saint Antoine, 1501, Jérôme Bosch, dimanche 4 septembre à 11h20 sur Arte. 

Et sur creative.arte.tv

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus