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Allemagne

Une claque en réponse à la main tendue de Merkel

Battue dans son propre fief par les populistes de l’AfD, dimanche, la chancelière paie le rejet massif de sa politique d’ouverture aux migrants, applaudie il y a encore un an. Un avertissement à quelques mois des élections générales.
par Nathalie Versieux, correspondante à Berlin
publié le 4 septembre 2016 à 20h41
(mis à jour le 4 septembre 2016 à 20h46)

Voici un an jour pour jour, Angela Merkel décidait d’ouvrir la frontière germano-autrichienne aux réfugiés bloqués en Hongrie dans des conditions humanitaires catastrophiques. Aujourd’hui, la question des réfugiés domine l’agenda politique allemand. C’est elle aussi qui décidera de l’avenir de la chancelière, alors que son parti vient de subir, dimanche, une nouvelle claque électorale dans le Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale, dans le nord-est de l’ancienne RDA, qui abrite sa circonscription. Selon les sondages de sortie des urnes, la CDU d’Angela Merkel a enregistré son plus mauvais score dans la région avec 19 % des voix, derrière les populistes de l’AfD (21 %) et le SPD (30,5 %). Les sociaux-démocrates devraient prolonger la coalition avec les conservateurs de la CDU déjà au pouvoir dans la région. Ce scrutin, comme celui à venir à Berlin dans deux semaines, faisait figure d’élection test, à un an des législatives.

La polémique sur les réfugiés et leur intégration commence avec les chiffres. Même le ministère de l’Intérieur ne sait pas précisément combien de candidats à l’asile sont entrés en Allemagne dans le cafouillage de l’automne 2015. L’administration chargée des migrations, le BafM, cherche toujours à démêler le casse-tête des doubles enregistrements et à retrouver la trace de ceux qui sont entrés dans le pays sans être enregistrés. Les critiques sont renforcées par les lenteurs administratives. Seuls 450 000 des 1,1 million de personnes arrivées l’an passé dans le pays sont fixées sur leur sort. La moitié d’entre elles ont obtenu le statut de réfugiés. 10 % ne peuvent être renvoyées pour raisons de santé ou parce qu’elles viennent de régions en guerre. Les 40 % restants devront être expulsées. A ce jour, 45 000 personnes ont demandé à bénéficier du programme d’aide au retour volontaire et, depuis le début de l’année, 35 000 personnes ont été expulsées.

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Cette approximation statistique, dans un pays habitué à un respect strict des procédures administratives, aurait suffi à mettre fin à la carrière de n'importe quel politique allemand. La chancelière n'a pu se maintenir qu'en raison de l'extrême popularité dont elle jouissait voici encore un an. «Angela Merkel a pris sa décision seule. Elle n'a pas consulté un seul des députés du Bundestag, peste l'un des cofondateurs du parti populiste, europhobe et anti-immigration AfD, Alexander Gauland. Elle a pris une décision qu'on pourrait qualifier de dictatoriale ! Certes, elle a été élue, mais les migrations ne figuraient pas du tout au programme des dernières élections. Les gens ne savaient pas ce qui les attendait ! Et ils ne veulent pas de tous ces migrants.» Le discours porte. Même au Mecklembourg-Poméranie, donc, qui n'a pourtant accueilli que quelques milliers de réfugiés. De régionale partielle en régionale partielle, l'AfD poursuit son implantation systématique au sein des Parlements régionaux du pays. Le parti est désormais représenté dans neuf des seize Länder et vise une entrée au Bundestag en 2017.

«Nous y arriverons»

A l'exception de l'AfD, l'ensemble de la classe politique s'accorde aujourd'hui pour dire que l'ouverture des frontières était inéluctable à l'été 2015. L'Allemagne, passé nazi oblige, ne peut se permettre d'attendre la mort de réfugiés syriens en Hongrie pour réagir. En septembre 2015, les Allemands semblent euphoriques. Chaque nouvel arrivant est alors reçu à la gare avec bouteille d'eau et sandwichs. Les bénévoles collectent des montagnes de vêtements, de couches pour bébés, des couvertures, ils organisent des permanences médicales, trouvent des traducteurs… C'est l'époque du «wir schaffen das», («nous y arriverons») que Merkel ne cesse depuis de répéter.

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«Des régions abandonnées»

«Angela Merkel n'a pas compris que l'opinion publique allait finir par se retourner, et elle ne s'y est pas préparée», note un parlementaire de la CDU. Et de rappeler que le «wir schaffen das» a longtemps été la seule réponse qu'elle apportait aux questions de plus en plus pressantes de ses administrés. La résistance s'organise d'abord dans les nouveaux Länder de l'ex-RDA. Le mouvement islamophobe Pegida et surtout l'AfD redressent la tête. Des bâtiments destinés à loger les réfugiés sont incendiés à plusieurs endroits dans le pays. Et les Allemands prennent leurs distances avec «Mutti» («maman»), cette figure rassurante à laquelle chacun pouvait jusqu'alors s'identifier. A Heidenau, en Saxe (ex-RDA), où Merkel vient visiter un foyer de réfugiés, la chancelière est accueillie par une horde menaçante. L'Allemagne est profondément divisée. «Les réfugiés, c'est un vrai problème, résume Samuel, 16 ans, en formation continue à Neustrelitz, dans le sud du Mecklebourg où on votait dimanche. Une poignée d'imbéciles qui s'en prennent aux filles de Cologne à la Saint-Sylvestre, et notre vie à nous devient très compliquée…» Né en Allemagne de parents réfugiés congolais, Samuel dénonce une poussée de racisme en moins d'un an.

«Certaines régions de l'Est ont été totalement abandonnées à l'extrême droite, dénonce Cem Özdemir, le numéro 2 des Verts, venu soutenir la candidate écologiste à Neustrelitz. Les gens d'ici rendent Merkel responsable de tous leurs problèmes, mais c'est absurde ! Elle n'est pas responsable du chômage, de la pauvreté, du niveau des retraites… Et tous ces problèmes ne sont, bien sûr, pas liés à l'arrivée d'un million de réfugiés. Mais Angela Merkel a commis une erreur capitale : elle n'a pas expliqué sa politique. Elle aurait dû dire dès le départ qu'intégrer tous ces gens serait difficile.» Au pouvoir depuis 2005, la chancelière a-t-elle encore une chance de sauver un quatrième mandat ? Seulement 44 % des Allemands le souhaitent aujourd'hui. Et son parti, la CDU, n'est plus crédité que de 33 % des intentions de vote au niveau fédéral.

Si Merkel ne remet pas en question son «nous y arriverons», elle en durcit de plus en plus souvent le ton : «La chose la plus importante dans les mois à venir, c'est l'expulsion, l'expulsion et encore une fois l'expulsion, a-t-elle martelé vendredi lors d'une réunion du groupe parlementaire CDU au Bundestag. Il faut mieux prendre en considération les préoccupations des gens.»

«Dix ans, ça suffit»

La cuisante défaite de la CDU, dimanche dans le Mecklenbourg, est d'autant plus symbolique que la Merkel y a sa circonscription de députée. «Pour un chancelier, c'est le début de la fin lorsqu'il commence à perdre les régionales les unes après les autres», rappelle le politologue Gero Neugebauer, de l'Université libre de Berlin. «Il existe une loi universelle en politique qui veut que dix ans, ça suffit, ajoute l'historien Timtohy Garton Ash. Quand les dirigeants restent plus longtemps, ils se mettent à faire des erreurs. Ça semble être le cas pour la prudente Merkel.» Une analyse que ne partage pas Manfred Güllner, qui dirige l'institut Forsa. «Ces élections n'auront qu'une faible signification à l'échelle du pays dans son ensemble. La CDU est généralement plus performante lors des législatives.» Pour remporter un quatrième mandat, il faudrait que le parti de Merkel arrive en tête des élections de 2017 et trouve un partenaire de coalition. L'option d'une coalition CDU-Verts est ouvertement à l'étude à Berlin.

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