A Berlin, la bibliothèque retourne à l’état sauvage

Dans la capitale allemande, des cabines téléphoniques customisées qui permettent d’échanger gratuitement des livres rencontrent un beau succès.

Par Gilles Bouvaist

Publié le 04 septembre 2016 à 10h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h58

En cette caniculaire fin d’été berlinois, les rails rouillés restent silencieux sous le soleil de plomb. Rien ne distinguerait le quai 17 de la gare de Grunewald des autres sites ferroviaires désaffectés qui parsèment la capitale allemande, si ce n’est sa sinistre portée historique : de ce point sont partis, entre 1941 et 1945, plus de 50 000 Juifs à destination des camps de la mort. Sur le quai, une macabre chronologie est gravée dans le métal : « 12.11.1943 / 1 190 Juifs / Auschwitz », « 29.11.1943 / 1 000 Juifs / Auschwitz »…

Un lieu à la symbolique puissante pour installer une bibliothèque sauvage. En face de la gare – dont les autres voies sont toujours en activité et transportent les voyageurs en direction de la ville de Potsdam –, une cabine téléphonique fatiguée attend patiemment la visite de lecteurs vagabonds. Repeinte en jaune poussin et baptisée BücherboXX (« boîte à livres »), celle-ci est dotée d’une étagère croulant sous le poids des volumes. S’y serrent des éditions de poche aux couvertures fatiguées, où quelques vieux John Grisham côtoient Le Premier Cercle d’Alexandre Soljenitsyne et Vie et Destin de Vassili Grossman, tandis qu’un exemplaire d’Autant en emporte le vent voisine avec une série d’ouvrages sur le nazisme. Un panneau solaire sur son toit permet de l’éclairer la nuit.

Chez les bibliothécaires, on parle parfois de « tiers-réseau », ou de bibliothèques « hors les murs ». Cette expression va comme un gant à ces cabines, vestiges urbains d’un univers des communications quasi englouti avec le dernier millénaire. Le concept, au carrefour du do it yourself, de l'économie solidaire et de la micro-bibliothèque, n’a pas de mal à trouver sa place dans une capitale qui se pique de préserver ses élans utopiques et ses valeurs libertaires… Chacun peut y déposer et y prendre plusieurs livres. On compterait une quinzaine de ces BücherboXX à Berlin. Le concept a essaimé en France, avec quelques répliques du côté de Versailles et de Grenoble (appelées cette fois-ci BiblioboXX). A Berlin, certaines sont également spécialisées : l’une accueille des livres en français, une autre des titres anglophones…

La capitale allemande compte une quinzaine de ces cabines transformées en mini-bilbiothèques.

La capitale allemande compte une quinzaine de ces cabines transformées en mini-bilbiothèques. https://buecherboxx.wordpress.com/

Konrad Kutt est à l'origine de cette initiative lancée en 2010. Venu du monde de la formation professionnelle, il explique avoir cherché « un projet avec lequel on pourrait développer des compétences en matière de développement durable, embrassant à la fois des aspects écologiques, sociaux, économiques et culturels, dans lequel plusieurs corps de métiers pourraient être engagés ». Avouant avoir pioché son inspiration du côté de penseurs de la décroissance (comme Serge Latouche) ou de Jeremy Rifkin et de sa réflexion sur un nouvelle économie du partage, il a travaillé avec plusieurs établissements professionnels, de menuiserie ou de production industrielle, pour concevoir et retaper ces bibliothèques de rue. L’idée croise d'autres pratiques, comme le « Bookcrossing », un réseau qui permet de faire voyager les livres que l’on donne au moyen d’une étiquette à imprimer, et que ses membres (près de 7 000 à Berlin !) se font un plaisir de faire transiter via les BücherboXX.

D’autres initiatives, comme Berliner Büchertisch, un groupement de librairies à vocation sociale, s’en servent également pour mettre les dons qu’on leur fait à disposition « des personnes à faible revenus et des rats de bibliothèque », selon une porte-parole du réseau, Cornelia Temesvári. « Les Berlinois sont de gros lecteurs et ils aiment les idées non-conventionnelles », conclut-elle.

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