Le journal Tintin fête ses 70 ans et revient (presque) à la vie

Les éditions du Lombard célèbrent cette année leur anniversaire et tentent de donner une seconde jeunesse à certains héros emblématiques.

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"Le Journal de Tintin" fête ses 70 ans. © Le Lombard

Temps de lecture : 7 min

En attendant que l'exposition consacrée à Hergé au Grand Palais à la fin du mois n'envahisse tout l'espace médiatique, les éditions du Lombard profitent de cette rentrée littéraire pour célébrer un double anniversaire : les soixante-dix ans du journal Tintin, lancé par Raymond Leblanc le 26 septembre 1946, date qui coïncide avec la fondation des éditions elles-mêmes, destinées à diffuser le journal en kiosques. Si Tintin cesse de paraître en novembre 1988, lorsque la Fondation Hergé retire au Lombard le droit d'utiliser le nom du héros à la houppe, les éditions poursuivent encore leur existence, bien visible pour quiconque arrive à la gare de Bruxelles-Midi. Au sommet d'un immeuble anonyme de l'avenue Paul-Henri Spaak, trônent en effet les visages géants de Tintin et Milou.

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Lorsque l'on monte au 8e étage de l'immeuble, on trouve d'abord une petite mine aux deux complices, sémaphores égarés qui n'ont plus le droit de tourner sur eux-mêmes (« Les voisins se plaignaient du bruit de la rotation »). Mais en s'approchant un peu, on distingue, pendouillant aux lèvres, aux oreilles et au nez de Tintin, quelques filaments qui évoquent lointainement des épingles à nourrice, et qui donnent au très sérieux personnage un petit air punk malicieux et provocateur. Le Lombard évolue ainsi entre deux mondes, parfois difficilement conciliables : un patrimoine glorieux, fait de grands noms (Hergé, Jacobs, Martin, Franquin, Macherot, Tibet, Hermann, Greg, Dany…) et de non moins glorieux héros (Blake et Mortimer, Alix, Michel Vaillant, Ric Hochet, Comanche…) issus du journal Tintin, mais qui peut s'avérer aussi quelque peu encombrant lorsqu'il s'agit de parler à la nouvelle génération smartphone et Internet, et de lancer de nouvelles séries ou personnages.

Immeuble des éditions Le Lombard à Bruxelles. © Le Lombard


Un écrin pour Tintin

Le dernier tome du Journal de Tintin. © Editions Le Lombard

C'est à Gauthier Van Meerbeeck qu'échoit aujourd'hui la lourde tâche de présider à la direction éditoriale du Lombard. Ce quadragénaire, à qui l'on donnerait facilement dix ans de moins, est assis dans le fauteuil historique de Raymond Leblanc, dont le bureau est toujours orné d'une carte mondiale datant… des années 1950 – symbole éloquent du poids de l'histoire : « Je me revendique du journal Tintin, dont j'étais un fervent lecteur. C'est pour cette raison qu'il était indispensable de célébrer ce soixante-dixième anniversaire comme il se doit. »

En collaboration avec la Fondation Moulinsart, que dirige le toujours controversé Nick Rodwell et qui s'occupe exclusivement de l'image de Tintin, le Lombard a donc publié un magnifique ouvrage de… 777 pages, en hommage à l'hebdomadaire qui s'adressait « aux jeunes de 7 à 77 ans ». On y trouve bien sûr les figures les plus emblématiques du journal, mais aussi d'autres auteurs ou personnages oubliés depuis (qui se souvient encore de l'aventurier Alain Landier ou du Lieutenant Burton ?). Parmi les rares survivants de l'époque quasi originelle, on a pu croiser lors de ces célébrations Dino Attanasio, l'auteur du Signor Spaghetti (scénarisé à l'époque par René Goscinny), ou André-Paul Duchâteau, l'auteur avec Tibet de l'immarcescible Ric Hochet.

"Le Journal de Tintin" fête ses 70 ans.


Ric Hochet a connu bien plus d'aventures (78 albums au compteur entre 1964 et 2010) qu'il n'a écrit d'articles pour son journal La Rafale, dont il était supposément le journaliste vedette, suivant sur ce point les traces de Tintin, dont les chances de remporter le Pulitzer disparurent après son unique reportage (chez les Soviets). Duchâteau, plutôt fringant du haut de ses 91 ans, se souvient avec émotion de ses compagnons de l'époque, dont Hergé : « C'était un monsieur extrêmement flegmatique et très élégant. Il avait un humour finalement assez distancié, très british. »


La couverture du premier Journal de Tintin. © Le Lombard

Par courtoisie sans doute, il préfère ne pas évoquer les formidables colères du créateur de Tintin, en particulier lorsque l'on s'écartait dans les pages du journal de la ligne édictée par le maestro. En témoigne la fameuse anecdote mettant en scène Tibet, Jacques Martin (l'auteur de Alix) et Hergé au cours d'un déjeuner. Tibet avait dessiné Tintin assis sur des toilettes, et l'avait glissé à son voisin de table avec la légende : « Même Tintin fait caca. » Martin avait éclaté de rire, et Hergé, en bon maître d'école, avait réclamé de voir le dessin, avant d'exploser de rage et de sermonner les deux malheureux sur les dangers de tels écarts de conduite.

Le dessinateur Dany, l'auteur du délicat et pastoral Olivier Rameau, considère que le véritable âge d'or du journal est plutôt à chercher au moment où Greg, le créateur d'Achille Talon, arriva comme rédacteur en chef en 1965 : « Les années 1960-1970 ont été formidables de créativité, car Greg était arrivé avec des auteurs comme Hermann (qui a obtenu le Grand Prix du dernier Festival d'Angoulême), Vance (futur dessinateur de XIII) ou Dupa (l'auteur de Cubitus). Il s'est détaché du caractère bien-pensant du journal originel pour proposer des œuvres plus audacieuses. »

Les héros ne veulent pas mourir

Cet héritage, Gauthier Van Meerbeeck n'entend surtout pas le nier : « Le véritable modernisme, c'est peut-être aussi de revenir de façon intelligente à ce qui faisait l'identité du journal Tintin. Nous avons ainsi créé La Petite Bédéthèque des savoirs , où un dessinateur s'associe à un intellectuel, un savant ou un journaliste, pour parler en images de sujets très différents (le droit d'auteur, l'univers, l'intelligence artificielle, le nouvel Hollywood…), selon une approche pédagogique qui était aussi celle du journal à ses débuts. »

Bob Morane. © Le Lombard

Mais d'autres héros du catalogue, plus ou moins tombés en disgrâce, sont aussi revenus à la vie au cours de l'année écoulée, comme Bob Morane et Ric Hochet : « On l'oublie peut-être, mais Bob Morane était une figure importante du Lombard, qui avait connu de très grands dessinateurs comme William Vance », rappelle Van Meerbeeck. « Bon, les ventes des derniers albums, dans les années 2000, avaient été très décevantes. Il fallait donc reprendre le personnage, qui a une notoriété extraordinaire, en le plongeant dans notre monde contemporain, de façon plus réaliste et plus sombre. Il fallait sortir du cadre de la madeleine. Bob Morane, c'est un peu, toutes proportions gardées, notre Batman. Mais un Batman qui serait resté à l'époque de la série télévisée un peu ringarde des années 1960, et qu'il faudrait faire rentrer dans son ère Christopher Nolan. »

Après un premier album inégal paru en 2015, conçu par le scénariste Luc Brunschwig, un deuxième titre est attendu pour le mois prochain. Un autre reboot a indiscutablement profité à son personnage – et à l'éditeur. Ric Hochet a en effet eu droit à un joli coup de jeune, sous la plume de Zidrou, aujourd'hui l'un des scénaristes les plus bankables de la bande dessinée franco-belge (on lui doit notamment L'Élève Ducobu et il vient aussi de reprendre Léonard le génie). Comme nombre d'auteurs de sa génération, le quinquagénaire a été bercé par le journal Tintin : « Je suis né avec ce journal, et je parle bien du Tintin belge, et non de celui français passé à la moulinette Georges Dargaud. Quand le Lombard m'a proposé de reprendre Ric Hochet, la difficulté était de trouver un environnement qui permette de repenser la série, tout en lui restant fidèle. J'ai donc choisi l'année 1968-1969, qui offre de multiples possibilités pour faire évoluer les personnages et les intrigues. »

Les nouvelles aventures de Ricochet. © Le Lombard


C'est ainsi que Nadine, la très sage complice de Ric Hochet, s'émancipe à la faveur de la révolution sexuelle de l'époque, alors que le journaliste est confronté à l'un de ses pires ennemis, Caméléon. Et ce n'est qu'un début : Thorgal, le héros de Rosinski et Van Hamme, quelque peu en souffrance depuis le départ du scénariste, aura droit lui aussi à un nouveau cycle avec Xavier Dorison, le créateur du Troisième Testament, aux commandes. En attendant Yakari le petit Indien, et d'autres encore peut-être…

La Grande Aventure du journal Tintin, Le Lombard/éditions Moulinsart, 777 pages, 49 euros

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