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L’électro entre en gare à Saint-Lazare

5 000 personnes ont envahi l’espace, le temps d’une nuit de concert, le trafic étant interrompu pour travaux.

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Publié le 05 septembre 2016 à 06h31, modifié le 05 septembre 2016 à 10h40

Temps de Lecture 5 min.

Gare Saint-Lazare. Soirée « Hors les murs » organisée par les producteurs du Weather Festival, le 3 septembre 2016.

L’Intercités 3132 du Havre est arrivé à 21 h 40 à Paris-Saint-Lazare. Le dernier train pour Rouen l’a quittée à 22 heures tapantes, donnant le signal du départ. Dans la vie des chemins de fer, tout est affaire de timing. Particulièrement ici, à la deuxième gare d’Europe par son trafic, 450 000 voyageurs par jour, une rame toutes les 28 secondes aux heures de pointe. Ce samedi 3 septembre, il n’a fallu qu’un quart d’heure aux équipes de la SNCF pour la fermer. Puis les troupes d’Aurélien Dubois (l’organisateur des soirées électro Concrete et du Weather Festival) ont installé les deux scènes, les bars, les sunlights, et à 23 h 30 – avec une petite demi-heure de retard sur le planning –, le terminus parisien s’est transformé en boîte de nuit.

Tapies dans l’ombre comme des baleines échouées, les locomotives regardent la foule qui grossit sous la grande halle de fer et d’acier, et les ombres mouvantes qui commencent à danser. « Ça fait trop bizarre, regarde c’est mon quai… », éclate de rire une petite Versaillaise en passant le rideau de fumée blanche insufflé dans le sas qui sépare la galerie marchande des quais.

Gare Saint-Lazare. Soirée « Hors les murs » organisée par les producteurs du Weather Festival, le 3 septembre 2016.

Maelström organique

Le prochain train partira pour Cherbourg dimanche à 9 h 45. Un entracte exceptionnel de douze heures pour cette immense machinerie qui, en temps normal, charrie du passager jusqu’à 1 heure du matin et reprend du service à peine quatre heures plus tard.

C’est que cette nuit, plus loin vers le Nord, des équipes d’ingénieurs et de maçons mettent en place un pont routier et une passerelle piétons pour enjamber le fossé de 120 mètres de voies qui jusqu’ici coupait le 17e arrondissement de Paris en deux. Arrêt du trafic obligé.

Gare Saint-Lazare. Soirée « Hors les murs » organisée par les producteurs du Weather Festival, le 3 septembre 2016.

« C’est quelque chose qui n’arrive jamais, et du coup, l’occasion unique d’exploiter la gare de manière différente » : Benjamin Huteau, 33 ans, est chef de gare. Il n’a ni sifflet ni casquette, mais dans la main gauche un talkie-walkie qui crachote. « J’avais envie de faire un événement qui donne de Saint-Lazare une autre image. »

A l’heure où la transformation des lieux de transit (gares, aéroports, stations de métro…) en centres commerciaux est devenue le sésame des politiques d’urbanisme, ce fils de musiciens – son père était percussionniste à l’orchestre de l’Opéra – a l’idée de privatiser les quais pour un grand concert électro.

Gare Saint-Lazare. Soirée « Hors les murs » organisée par les producteurs du Weather Festival, le 3 septembre 2016.

Programmation 100 % house française. Pas de véritable tête d’affiche si ce n’est la gare, justement. On est venu pour elle et pour 38 euros la place. 5 000 corps – jauge maximale autorisée, toutes les places ont été vendues – qui chaloupent et qui tanguent, qui se frôlent et s’éloignent, force centripète contre force centrifuge, dans un maelström organique.

Voie 6 – toilettes pour hommes. Voie 7 – toilettes pour femmes. Voie 8 – coin fumeur, même si ça fume de partout, et ça boit jusqu’à plus soif. Avec la nuit qui avance, on est passé du demi au cruchon d’un litre que l’on sirote comme une limonade. Ils ont de 20 à 30 ans – enfin, à 30 ans déjà, ils se sentent vieux malgré leurs tatouages… La soirée est une ivresse joyeuse et sans heurts qui se moque de la densité de coudes rencontrés au mètre carré.

Aurélien Dubois, organisateur : « Surprendre les gens, les faire voyager… Se réapproprier l’espace public, ce n’est pas génial ? »

« Depuis un an que l’on travaille sur le projet, tout a été millimétré. On a l’habitude des événements de crise », rassure Aurélien Dubois, l’organisateur, tee-shirt Fred Perry bleu, les cheveux longs tombant sur son visage rond. Et puis, sans transition, le voici qui se marre : « Si un jour on m’avait dit que je ferai ça dans une gare de cette dimension ! J’avais l’impression qu’on organisait un départ pour la Lune. »

Gare Saint-Lazare. Soirée « Hors les murs » organisée par les producteurs du Weather Festival, le 3 septembre 2016.

Le jeune homme, qui a commencé en transbahutant son sound system sur les routes d’Europe, voudrait faire de la soirée le premier épisode d’un programme qu’il a baptisé Hors série : « Surprendre les gens, les faire voyager, comme ici, en ouvrant les portes du patrimoine culturel. Se réapproprier l’espace public, ce n’est pas génial ? Mais on ne se donne aucun calendrier, ce n’est pas une série, c’est “hors série”. »

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Derrière les barrières qui protègent les voies, Dorian, 25 ans, une carrure d’athlète, danse d’un pied sur l’autre avec sa patrouille de la police ferroviaire. Devant la voie 3, dans leur stand bien mis en avant, trois bénévoles s’agitent en vain pour distribuer des boules Quiès et des messages d’avertissement contre l’abus d’alcool ou de stupéfiants, moines soldats d’une électro sans paradis artificiels. Déjà autour d’eux, le plancher vacille.

Gare Saint-Lazare. Soirée « Hors les murs » organisée par les producteurs du Weather Festival, le 3 septembre 2016.

« Rendre les gens heureux »

« Dans mon métier, l’inquiétude c’est tous les jours », raconte Benjamin Huteau, le chef de gare. « Je peux avoir jusqu’à 15 000 personnes parfois sur les quais, et pas toujours très contentes. Ici, c’est calme…, sourit-il en poussant sa voix pour échapper aux décibels. Dehors il y a 150 policiers. Il faut bien comprendre : un lieu aussi stratégique dans le contexte d’état d’urgence, ce n’est pas simple. Mais si elle n’a donné son feu vert que ce matin, la préfecture a toujours cherché des solutions. Je crois qu’on devait prouver qu’on peut continuer à rendre les gens heureux. »

Jusqu’à 7 heures du matin, et même après, alors que les néons ont été rallumés, ramenant la gare à ses fonctionnalités, la transe de ces enfants de Lazare, bien décidés comme lui à ne pas se laisser enterrer, va se poursuivre − leurs traces s’échappant tranquillement avec le jour qui vient.

Gare Saint-Lazare. Soirée « Hors les murs » organisée par les producteurs du Weather Festival, le 3 septembre 2016.

Et tandis que les premiers voyageurs attendent à l’extérieur qu’on vienne leur ouvrir les routes de la Normandie, une nouvelle armée, celles des agents d’entretien, les remplacera pour décrasser avec ardeur le sol encore collant des fêtes sans lendemain.

En repassant dans l’autre sens le sas de fumée blanche, on repense aux toiles impressionnistes que Claude Monet consacra en 1877 à cette pionnière des gares parisiennes, dont la vapeur des locomotives constituait justement alors le symbole de la modernité. Le plus célèbre de cette série de douze tableaux est au Musée d’Orsay. Une autre gare. Désaffectée. Je me demande comment Monet aurait peint cette modernité-ci. Ce matin, plus au Nord, Paris possède un nouveau pont. Et moi je suis sourd de l’oreille droite.

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