
En place depuis plus de trente ans, le dispositif du crédit d’impôt recherche (CIR) a vu son importance démultipliée dans les dernières années. Selon le projet de loi de finance (PLF) 2016, ce sont 5,5 milliards d’euros qui lui sont désormais consacrés contre moins d’un milliard jusqu’en 2005.
Le CIR est, comme son nom l’indique, un crédit d’impôt, c’est-à-dire que les entreprises ne touchent pas directement de l’argent à investir dans la recherche, c’est plutôt de l’argent qu’elles économisent puisque ces sommes sont à déduire de leurs impôts. Quand elles n’en payent pas, elles reçoivent directement une aide.
« Un euro économisé au titre du CIR, c’est un euro qui est généralement réinvesti dans la recherche et le développement », décrivait Christine Lagarde, ministre de l’économie au moment de la réforme du dispositif en 2007 (en particulier, les dépenses externalisées auprès d’un sous-traitant privé devenaient éligibles).
Manque de transparence
En dépit des montants importants auxquels l’Etat renonce (en tant que rentrées fiscales), le dispositif est soumis à une transparence plus que lacunaire, comme en témoigne l’impossibilité de publier les travaux de la commission d’enquête menée par la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin.
En effet, plusieurs membres de la commission ont finalement estimé en juin que le rapport était « globalement à charge contre le dispositif », selon les termes du président de la commission, Francis Delattre (Les Républicains). C’est la première fois depuis dix-sept ans que le travail d’une commission d’enquête sénatoriale est rejeté.
Pour y voir plus clair et en l’absence de données publiques, nous avons donc épluché les rapports des quarante entreprises cotées à l’indice CAC de la Bourse de Paris. Surprise : aucune ne donne de montant précis concernant cette aide.
« Nous ne publions pas nos impôts de manière détaillée », se justifie le groupe de cosmétiques L’Oréal. « Ce chiffre n’est pas public », répond BNP Paribas.
[edit : Schneider Electric publie ce chiffre dans son document de référence ; le groupe a bénéficié de 47 millions d’euros de crédit d’impôt recherche en 2015]
De fait, le crédit d’impôt que représente le CIR est couvert par le secret fiscal. Il est tellement bien couvert que même la base de données Gecir, qui rassemble les chiffres du CIR entreprise par entreprise, n’y a pas accès.
Des PME moins aidées
Certes, il n’existe pas de données consultables entreprise par entreprise, mais le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche publie chaque année un bilan de l’utilisation du CIR par les sociétés. Le dernier bilan disponible (publié en avril) s’appuie sur les déclarations fiscales des entreprises relatives à leurs dépenses réalisées en 2013.
Il permet notamment d’observer la répartition par taille d’entreprise. Les grands groupes ne sont pas les seuls à obtenir les subsides publics du CIR ; parmi les quelque 20 000 entreprises élues, de nombreuses PME en bénéficient également. Reste qu’ils sont, en volume, les premiers bénéficiaires du dispositif.
Certes, les petites et moyennes entreprises dépensent moins dans la recherche, mais cette aide se révèle précieuse car, outre le fait qu’elles disposent généralement d’une trésorerie et d’un taux de marge inférieur aux grandes entreprises, elles sont aussi souvent confrontées à des difficultés à se financer auprès des banques.
Pharmacie et informatique, les grands gagnants
Toutes tailles d’entreprises confondues, quels sont les secteurs les plus aidés ? « Vu son volume, il encourage les secteurs intensifs en R&D [recherche et développement], comme l’industrie », reconnaissait Laurent Martel, coauteur du rapport de l’Inspection générale des finances de 2010, et audité dans le cadre de la commission sénatoriale en mars 2015.
De fait, avec près de deux tiers des créances fiscales du CIR, l’industrie est la grande gagnante des bienfaits du crédit d’impôt recherche, en particulier les secteurs de l’informatique et de la pharmacie (catégorie liée aux secteurs de la parfumerie et de l’entretien).
La pharmacie est par ailleurs l’un des secteurs qui détruit des emplois de R&D en France, rappelait l’association Sciences en marche, alors que le CIR est censé aider à la création d’emplois de chercheurs.
Les entreprises du secteur financier profitent aussi des aides du CIR. Seulement 1,5 % de l’enveloppe globale leur est consacré, mais le sujet est sensible. Les banques l’utilisent notamment dans des cas de mathématiques appliquées, par exemple pour le trading haute fréquence. Ces échanges réalisant de petits gains de façon extrêmement rapide sont très controversés, car ils peuvent déstabiliser les marchés ; le secrétaire d’Etat chargé du budget, Christian Eckert, avait même déposé un amendement visant à le taxer suffisamment pour décourager les spéculateurs.
Quels résultats ?
Alors que les grandes entreprises dénoncent souvent la cherté des chercheurs français, en partie à cause d’un taux d’imposition du travail en France jugé trop lourd, la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin affirme, dans ses notes personnelles, que « parmi les principaux bénéficiaires du CIR, nombre d’entre eux ne supportaient aucune charge d’impôt sur les sociétés. Pour ces entreprises, le CIR leur est versé, à défaut de pouvoir être imputé sur une dette fiscale nulle. »
Une critique autrement formulée par l’association Sciences en marche : « Un simple chèque en blanc supposé éviter les délocalisations. » Un pari pas toujours gagnant puisque certaines entreprises bénéficiant d’aides publiques mettent en œuvre, de fait, des plans sociaux, comme dans le cas des multinationales Intel ou STMicroelectronics.
L’association appelle à un rééquilibrage des moyens, soulignant « la nécessité d’augmenter les budgets de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce dont une réforme du CIR donnerait les moyens ».
La question du choix de l’évolution du crédit d’impôt recherche se pose avec d’autant plus d’acuité que la France est le pays le plus généreux en termes d’aides indirectes comme les crédits d’impôt dans le domaine de la recherche.
En revanche, si l’on mesure la performance de l’innovation en termes de nombre des brevets déposés, la France occupe une position intermédiaire parmi les pays industrialisés, derrière les Etats-Unis et l’Allemagne.
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