A la barre

Cahuzac persiste et balance de nouveau

L'affaire Cahuzacdossier
Mercredi matin, l'ex-ministre du Budget a détaillé un peu plus comment son compte suisse aurait servi, selon lui, de trésor de guerre au courant rocardien. Avant de rendre les armes sur d'autres petites combines plus personnelles.
par Renaud Lecadre
publié le 7 septembre 2016 à 17h59

«J'ai créé une certaine émotion, le mot est faible.» Jérome Cahuzac est conscient que sa ligne de défense, modifiée au premier jour de son procès, consistant à imputer désormais son compte en Suisse au financement de feu Michel Rocard, a du mal à passer. Mais comme le tribunal correctionnel est curieux, il n'a encore été question que de cela mercredi matin. Avec toutes les pincettes d'usage : «Quand vous parlez de vérité, on vous entend mais on doit vous tester. Vous comprenez, monsieur Cahuzac ? Nous devons sonder le vrai du faux.» Mais comme le ministre déchu du Budget refuse de donner le nom de son «interlocuteur» de la rocardie l'ayant chargé de récolter des fonds occultes auprès des laboratoires pharmaceutiques – même si le microcosme pense l'avoir identifié – aucune vérité judiciaire ne sortira de ce grand déballage à la barre.

Le procureur l'attaque sur la crédibilité des versements concentrés au printemps 1993 (1 million de francs, sur les 3 millions qui seront versés par les labos). «Quelques jours après la défaite historique du PS aux législatives, Michel Rocard étant lui-même battu, il est surprenant que les labos parient sur lui alors qu'il n'est plus rien.» Jérôme Cahuzac le renvoie facilement dans les cordes : dans la foulée de la déroute, Rocard a remplacé Fabius à la tête du parti et «devient candidat naturel du PS pour la présidentielle». Ce n'est qu'après le très mauvais score réalisé par la liste qu'il conduisait aux élections européennes de 1994 qu'il renoncera à la politique. 1-0 pour Cahuzac. Le proc contre-attaque : «Quand sa candidature présidentielle devient crédible, bizarrement, le financement par les labos s'arrête.» Cahuzac, droit dans ses bottes : «J'y vois de la cohérence. Quand Rocard devient premier secrétaire, entretenir son courant minoritaire devient inutile.»  2-0, mais pas pour longtemps.

«Je n’étais pas le seul à le faire»

Manifestement convaincu que la générosité des labos relèverait plus de son intérêt personnel que d'un financement politique, le parquet enchaîne :«En janvier 1993 est votée la loi Sapin sur le financement de la vie politique. Et quelques semaines après, vous organisez un financement occulte… Puis vous partez en vacances sur le voilier du directeur général d'Innothera.»  Le missi dominici de l'industrie pharmaceutique marmonne que «le financement parallèle des partis ne s'est pas arrêté du jour au lendemain». Avant de se sentir obligé de multiplier les perfidies pour camper vaille que vaille sa ligne de défense. «D'autres sources de financement ont été trouvées. Je n'étais pas le seul à le faire, les labos n'étaient pas le seul secteur finançant les partis.» Le proc ironise : «Pour le BTP, on a choisi un autre spécialiste.»

Emporté par son élan, Cahuzac défouraille : «Je ne jugerais pas que la campagne de 1995 du PS ait été financée de façon parfaitement régulière.» Le président le coupe : «Vous parlez de Lionel Jospin ?» Cahuzac doit s'excuser : «S'il y a une ambiguïté, je la lève. Je n'ai jamais eu son nom à l'esprit.» On en reste là, sur cette protestation de bonne foi : «Cet argent n'est pas à moi, je ne m'en suis donc jamais servi. Je ne l'ai pas déclaré, c'est une fraude fiscale. Mais quand la justice l'a saisi, il ne manquait pas un franc. C'est très important pour moi.» Le président doit l'interrompre poliment : «Ce n'est pas tout à fait exact.»

«Cette vérité m’accable»

Nous sommes en 2003 et Jérôme Cahuzac fait virer 100 000 euros du compte suisse pour financer l'achat d'un appartement familial à Paris. On n'est plus dans le dévouement à la rocardie, mais faute de nouvelle de son «interlocuteur», il se sert au cul du camion. Un «ami» se dévoue pour lui dénicher un intermédiaire acceptant de faire transiter les fonds, la société PMT System, spécialisée dans le matériel pharmaceutique – toujours le même tropisme. «Cette vérité m'accable, confesse Cahuzac. Si j'utilise une société écran, c'est bien que c'est inacceptable.» Le président du tribunal croit découvrir une «caisse noire» dans la caisse noire, en listant plusieurs virements estampillés PMT. Un responsable de la banque Reyl, également poursuivi, lui indique courtoisement que ces trois lettres signifient aussi «paiement» en jargon bancaire. «On ne voit pas de différence entre PMT System et PMT, vous ne savez pas tenir vos comptes, c'est une mauvaise publicité bancaire pour vous !» s'emporte le président, manifestement en surchauffe. Avant de concéder qu'il suffisait en fait de lire un peu plus attentivement les relevés, et de suggérer une pause de l'audience.

Mais avant d'en finir, cette ultime épreuve pour Cahuzac : l'évocation de ses activités de chirurgien capillaire, en parallèle de son mandat de député. Au printemps 2000, il s'envole pour le Moyen-Orient, histoire de remplumer une dizaine de clients dégarnis, aussi riches que soucieux de discrétion : 110 000 euros encaissés en trois jours, cash. «C'est beaucoup d'argent, je n'allais pas rentrer en France avec.» A l'entendre, il aurait remis les billets en sac à un convoyeur de sa banque suisse dépêché in extremis à l'aéroport. «Impossible en un temps si court», glisse en coulisse un banquier, pointant un bobard de Cahuzac, «il les a forcément prévenus à l'avance». L'ancien député-chirurgien jure avoir découvert au dernier moment le mode de paiement. Mais Cahuzac finit par renoncer à se défendre sur ce point : «Ce que j'ai fait là est accablant. Circonstance aggravante, je recommence l'année suivante.» Avant de baisser les armes pour l'ensemble de son œuvre offshore : «Une part de moi, quelqu'un, a fait ça. Il est coupable. Ce n'est pas que moi mais c'est une partie de moi.»

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