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France Télévisions : Michel Field fait toujours l'objet de soupçons

Le directeur de l'information du groupe a reporté la diffusion intégrale d'une enquête consacrée à Bygmalion et au financement de la campagne de Nicolas Sarkozy après la primaire de la droite.
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 7 septembre 2016 à 17h34

C'est le genre de polémique dont France Télévisions a le secret. Surtout depuis que l'information du groupe audiovisuel public est dirigée par Michel Field : les équipes rédactionnelles semblent n'avoir jamais cru en son indépendance. L'épisode de la semaine, autour d'une enquête d'Envoyé spécial sur l'affaire Bygmalion et le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy de 2012, offre un nouvel exemple de cette tension, quelques mois après le vote d'une motion de défiance contre l'ancien journaliste. Le sujet contient une interview exclusive de Franck Attal, l'ex-patron d'Event & Cie, filiale de Bygmalion, qui organisait les meetings de Sarkozy. C'est la première fois qu'il s'explique publiquement. La nouvelle patronne de l'émission de France 2, Elise Lucet, souhaitait diffuser le documentaire lors de son numéro de rentrée, le 29 septembre, afin de marquer le coup et montrer qu'il y a un nouveau shérif en ville.

Réunions orageuses

Iln'en est pas question, lui a indiqué Field : cette date tombe quelques jours après l'ouverture officielle de la campagne pour la primaire de la droite et du centre, à laquelle l'ex-président de la République participe. Or passer le documentaire «au moment où la primaire bat son plein fait courir le risque d'instrumentaliser France Télévisions», a justifié le directeur de l'info du groupe auprès de l'AFP. En clair, il craint d'être accusé par le camp Sarkozy de rouler pour ses adversaires. Pour éviter cette embûche, Field, qui a validé le lancement de l'enquête avant l'été, explique avoir demandé «fin juin, début juillet» à l'équipe d'Elise Lucet d'être prête à «dégainer» «début septembre ou début décembre». La journaliste n'était visiblement pas décidée à respecter l'instruction de son supérieur hiérarchique – ce qui montre à quel point l'autorité de ce dernier est fragilisée.

Surtout, elle le soupçonne d'avoir cédé aux pressions de l'entourage de Nicolas Sarkozy, qui n'a aucune envie de voir le film à l'antenne. L'ex-chef de l'Etat doit être le premier invité de la nouvelle grande émission politique de France 2, le 15 septembre. Ce n'est pas le moment de se le mettre à dos. Dans son édition du 7 septembre, le Canard enchaîné raconte que les réunions orageuses entre Lucet et Field se sont multipliées ces derniers jours. «Tu vas encore te retrouver cloué au mur», a dit la première au second, selon l'hebdomadaire. «Je démens formellement toute intervention de Nicolas Sarkozy», a été contraint d'affirmer Field à l'AFP. Dans un effort de compromis, le directeur de l'information a proposé en début de semaine de casser l'antenne jeudi soir pour diffuser une version raccourcie de l'enquête (vingt-six minutes au lieu de quarante-cinq) après le journal de 20 heures. Il entendait rebondir sur l'actualité, le parquet de Paris ayant demandé lundi le renvoi de Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel sur ce dossier. Refus sec d'Elise Lucet, pour qui cela reviendrait à bâcler le travail.

«Très contestable»

Finalement, il a été décidé de diffuser un extrait du témoignage d'Attal dans le 20 heures de David Pujadas ce jeudi, à l'intérieur d'un «gros sujet de six à dix minutes», fait valoir France Télévisions. Quant au documentaire dans son intégralité, on pourra le voir sur France 2 «d'ici la fin de l'année». C'est-à-dire après la primaire de Les Républicains. Field a donc réussi à imposer son calendrier, mais au prix d'un nouveau psychodrame avec ses troupes, qui se demandent une nouvelle fois s'il est taillé pour le job de directeur de l'information. Estimer que l'on ne doit pas passer de sujets gênants pour l'un ou l'autre des candidats à la primaire pendant la campagne, «c'est journalistiquement très contestable», soupire Manuel Tissier, le directeur de la société des journalistes de France 2. Le service public va-t-il s'employer, tout au long de cette année présidentielle, à faire le moins de vagues possible ? «Le pire, souffle une personne proche du dossier, c'est que le documentaire d'Envoyé spécial ne contient même pas de révélations fracassantes.»

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