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"Une histoire faite pour tuer": l'épouse de Dominique Baudis parle pour la première fois

Dans "La République des rumeurs" (Flammarion), Ysabel Baudis, la veuve de l'ancien maire de Toulouse, révèle la façon dont le couple a traversé les "rumeurs" de la participation de Dominique Baudis à des parties fines, sur fond de pratiques criminelles, avec des prostituées toulousaines en 2003. Un témoignage poignant.
Dominique Baudis
AFP

"Une histoire faite pour tuer": pour la première fois, Ysabel Baudis parle. L'épouse de Dominique Baudis, emporté par un cancer le 10 avril 2014, a choisi un livre au titre particulièrement parlant pour évoquer le calvaire enduré par son époux et l'ensemble de sa famille: La République des rumeurs, écrit par le journaliste indépendant Alexandre Duyck.

Rarement une affaire aura mieux incarné ce fléau de la rumeur. Et dire qu'à l'époque où les faits ont commencé, début 2003, les réseaux sociaux étaient balbutiants.....10 février 2003: Patricia, une prostituée, affirme dans un bureau de la gendarmerie de Toulouse qu'il lui est arrivé de "monter" avec Dominique Baudis et Patrice Alègre. Ce dernier a été condamné un an plus tôt à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de cinq femmes et six viols. Mais les gendarmes, persuadés que l'homme est coupable d'autres meurtres, pousuivent l'enquête après le verdict. Et tombent sur cette "révélation" de Patricia. Une bombe potentielle.

Le maire de Toulouse entend dire que son nom circule dans l'affaire Alègre, qui devient bientôt l'affaire Baudis: "La rumeur", balaie-t-il. Un autre bruit circule dans la ville rose, qui voudrait que Baudis soit homosexuel. "Nous avons pris conscience de la portée que pouvait avoir de type de bruits. Aussi avons-nous posé ensemble dans Paris-Match", explique aujourd'hui Ysabel Baudis. Mais le pire est à venir.

En mai 2003, La Dépêche du Midi, qui sera particulèrement "à la pointe" dans cette affaire, et Marianne, publient des articles disant que le nom du maire de Toulouse "est évoqué" dans des procès-verbaux de l'affaire Alègre. "C'est la première secousse tellurique, a confié Ysabel Baudis à Alexandre Duyck. Nous sommes au Festival de Cannes. Dominique me demande: "Tu as compris ce qui est en train de nous arriver?" Je réponds: "Oui, mais tu dois d'abord vérifier".

Ce à quoi s'emploie immédiatement le maire de Toulouse. Un coup de fil au correspodant du Monde lui confirme que son nom apparaît, accolé à des accusations très graves portées par des prostituées, sur des PV. Ce 16 mai, les Baudis reçoivent des invités pour les 15 ans de leur fils aîné. "J'ai dit aux invités: "On va rentrer dans une grande tourmente", et j'ai expliqué à mon fils, comme je l'ai pu, que son père était accusé à tort d'une chose terrible. Ce fut une soirée horrible".

La machine infernale est lancée. Et plus rien ne l'arrêtera, malgré la défense de Dominique Baudis, le dimanche 18 mai, dans le JT de Claire Chazal. "J'ai suivi sa prestation depuis les loges en compagnie de François Hollande, alors premier secréaire du Parti socialiste, et de Ségolène Royal. Tous deux ont eu des mots bienveillants à mon égard et pour Dominique. Hollande m'a dit: "C'est horrible, ça peut arriver à tout le monde", se souvient Ysabel Baudis.

Rien n'y fait: "Dominique et moi avions alors compris que nous changions d'époque, TF1 donnait le signal du déchaînement médiatique". Les 'révélations' se succèdent. Et les soutiens se font prudents, voire rares. Un homme est particulièrement, et encore aujourd'hui, dans le viseur de l'épouse de Dominique Baudis: Philippe Douste-Blazy, lui aussi cité par les prostituées. Le couple Baudis ne lui a jamais pardonné de ne pas les avoir avertis de la rumeur, alors qu'il en avait été informé avant eux. "J'aurais évidemment aimé que lui, plus qu'un autre, nous prévienne, nous avertisse du danger et de l'horreur. Il ne l'a pas fait. On lui avait tellement donné et lui ne nous a rien rendu".

Dans une lettre publiée dans La République des rumeurs, Philippe Douste-Blazy se défend: "C'est la première fois que je m'exprime sur ce que j'estime avoir été l'une de pires épreuves que j'ai traversées durant ma vie politique nationale". L'ancien ministre se souvient qu'alors qu'un de ses collaborateurs lui avait demandé s'il fallait prévenir "Dominique" de la rumeur, il lui avait répondu: "Surtout, ne l'ennuie pas avec ça. C'est tellement nimporte quoi que le mieux est de traiter tout cela par le mépris". Quelle erreur avais-je commise! (..) Aujourd'hui, avec le recul, je conseillerais à toute personne mise au courant de rumeurs sur ses propres amis, y compris des personnages publics, de les prévenir im-mé-dia-te-ment".

Le 1er juin, la lecture à l'antenne d'une lettre écrite envoyée par Patrice Alègre à Karl Zéro fait encore monter de plusieurs crans l'horreur. De même avec des interviewes de Patricia, encore, puis de Fanny, une autre prostituée.

Enfin, plusieurs articles commencent à émettre des doutes sur ce scénario trop improbable pour être vrai. Mais il faut encore des éléments de preuve. Un élément attire l'attention d'Ysabel Baudis: dans une déposition Patricia a affirmé que Dominique Baudis l'avait "essayée" le soir de son anniversaire, le 20 novembre 1990. Ysabel Baudis raconte à Alexandre Duyck: "J'ai fouillé tous les cartons. J'ai retrouvé tous ses agendas (ceux de Dominique Baudis, ndlr) et je suis tombé sur celui de l'année 1990 à la mi-juin. J'ai poussé un tel cri de joie! Le 20 novembre 1990, Dominique recevait une délégation de maronites libanais à l'Assemblée nationale à 18 heures". Peu après, Alègre revient sur ses accusations et disculpe Dominique Baudis.

Quelques semaines plus tard, plusieurs confrontations finissent de tuer la rumeur. En mars 2005, une ordonnance de non-lieu est rendue. "C'est terriblement long, deux ans, entre les premières rumeurs et non-lieu. C'est interminable, six mois entre les premiers articles de La Dépêche (qu'Ysabel Baudis n'épargne pas, c'est peu de le dire, ndlr) et d'autres et les accusations qui s'écroulent enfin", regrette Ysabel Baudis.

Dominique Baudis est mort d'un cancer le 10 avril 2014. Lors des obsèques aux Invalides, François Hollande lui rend hommage. Ysabel Baudis: "On me dit que des gens sont venus me parler le jour de la cérémonie aux Invalides mais je m'en souviens pas. Je ne me souviens que des mots empreints d'humanité que François Hollande a prononcés puis est venu me dire à la fin de la cérémonie. Je me dis aujourd'hui que cette histoire était faite pour tuer un homme. Un homme politique, un homme tout court. Tuer aussi son couple, sa famille. Une histoire faite pour tuer".