Deuxième jour de procès : Jérôme Cahuzac avoue tout

Deuxième jour de procès : Jérôme Cahuzac avoue tout
Jérôme Cahuzac, le 5 septembre 2016. (PHILIPPE LOPEZ/AFP)

Au second jour de son procès, l'ancien ministre a été longuement interrogé sur son compte "Birdie". Il a détaillé les manœuvres qui "l'accablent".

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On ne peut pas faire de mauvais procès à Jérôme Cahuzac. L'ancien ministre du Budget parle, il "reconnaît ce qu'il a fait" et à aucun moment - jusqu'à présent - il ne revient sur les aveux circonstanciés qu'il avait livrés aux juges d'instruction Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke durant ses auditions de 2013 et 2014. Sa vérité dans le dossier était d'une précision chirurgicale.

Tout à l'heure, de sa propre bouche, sortiront les explications peu glorieuses de ses fraudes fiscales personnelles. "La vérité que j’ai à dire, ce n’est pas une stratégie. La vérité, c’est la vérité", déclare-t-il en préambule ce mercredi matin. Seulement, sans qu'il semble réellement s'en rendre compte, un fossé s'est ouvert entre ses différentes déclarations. D'un côté, ses incertaines révélations sur un financement politique des rocardiens. De l'autre côté, ses explications fort précises sur ses petits arrangements pour cacher une partie de ses gains de chirurgien.

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Cahuzac et la caisse noire de Rocard : soupçons et incohérences

Le contraste est saisissant. A propos de la prétendue caisse noire des rocardiens à compter de 1992, on sait comment les choses ont été dites et les doutes qui n'ont toujours pas été levés : l'ancien ministre s'est contenté de formules générales, refusant de donner les noms de ses interlocuteurs et soulignant que ni Michel Rocard ni Philippe Péninque – qui a ouvert le premier compte – n'étaient au courant de l'opération.

"Je choisis Birdie"

Rien de bien convaincant, semblent penser le président du tribunal Peimane Ghaleh-Marzban, qui invite à de nombreuses reprises Jérôme Cahuzac à "crédibiliser" ses propos, et le procureur du Parquet national financier Jean-Marc Toublanc, qui démontre ses incohérences en s'appuyant sur une étude extrêmement précise de la vie politique française de ces années-là.

La tonalité est totalement différente pour la description de sa fraude fiscale personnelle. Ici, le flou n'est plus de mise. Tout au plus Jérôme Cahuzac joue-t-il un peu les vierges effarouchées à l'évocation du nom de code qu'il avait choisi pour son compte en banque. "Birdie" est un terme de golf qui signifie grosso-modo "avoir un coup d'avance". A la barre, l'ancien ministre modère donc les effets dévastateurs possibles :

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"On me demande de prendre un nom de code, je choisis 'Birdie'. Ce n'est pas seulement un coup au golf, c'est aussi un jazzman [En réalité, les surnoms connus du jazzman Charlie Parker sont Bird ou Yardbird, NDLR]... mais tout cela est ridicule".

Pour le reste, en revanche, il accepte de dévoiler les aspects jusqu'aux plus minables de ses fraudes. Il s'agit, selon ses propres termes, de "la seconde période" de la vie du compte Birdie. Le chirurgien l'utilisait pour y verser ses honoraires touchés "au black", notamment lors d'opérations à l'étranger. L'ancien élu raconte par exemple de deux versements en 2000 et 2001 issus de paiements pour des actes de chirurgie esthétique pratiqués "quelque part au Moyen-Orient". Il avait opéré une dizaine de personnalités en trois jours. "Je me retrouve avec un sac de billets, je ne peux pas rentrer avec ça", détaille-t-il. Il appellera sa banque genevoise - les établissements Reyl - et "quelqu'un" viendra récupérer les espèces pour Birdie en "4 ou 5 heures".

"Je n'ai plus rien à perdre..."

Le président veut des détails, demande quel volume pouvaient donc prendre les 115.000 francs suisses concernés. Une valisette ? Une grosse enveloppe ? Quel était le passeur ? L'a-t-il appelé par son nom ou par son surnom, code Birdie ? A cela, Jérôme Cahuzac s'abstient de répondre. Le regard bas, il lâche :

"Je reconnais ce que j'ai fait, souhaitez-vous que je m'accable un peu plus ?".

Le tribunal sera privé de la connaissance des aspects accessoires des parties de cache-cash du prévenu. Mais désormais, il lui sera impossible de revenir sur les réalités crues de sa petite entreprise de fraude fiscale : ses mensonges inscrits noir sur blanc dans sa déclaration de patrimoine remplie à son entrée en gouvernement en 2012, le compte de sa propre mère utilisé comme compte-taxi, ses factures de vacances, ses frais de piscine... Impensable de revenir sur tout cela qui figure en bloc et en détail dans le dossier.  D'ailleurs, il serait faux de penser que Jérôme Cahuzac n'est pas dans une démarche d'aveux sincère. Et à bien l'écouter, on le comprend. "Vous comprenez le supplice que je suis en train de vivre ?", interroge-t-il gravement.

Il "assume". C'était "une part de [lui]-même, que dire d'autre ?" Et puis, sur une question portant sur la procuration signée en faveur de sa femme sur le compte ouvert en 1993, il fournit cette réponse qui est peut-être une clé à toute son existence : "J'ai des comportements à risque. Je fais de la plongée en bouteille, de la chasse sous-marine, des randonnées à ski de plusieurs jours en montagne. Je vais toujours plus loin, j'aime ça. S'il m'arrivait quelque chose..."

Le tribunal se souvient que lundi, lors de ses déclarations fracassantes sur Michel Rocard, il avait glissé, déjà : "Je n'ai plus rien à perdre, alors"…

Mathieu Delahousse

Un compte en Suisse pour financer Rocard : l'incroyable début du procès Cahuzac

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