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Bien que l’on puisse observer depuis l’après-guerre de nombreux phénomènes de récupération de noms de marques pour en faire des noms communs (un Bic, un Kleenex, le Ping Pong, etc.), la réutilisation des noms de marques dans le langage contemporain a pris une toute autre dimension depuis les années 2000. Aujourd’hui « on parle la marque » : on ne peut plus rendre compte de notre activité quotidienne sans utiliser des verbes de marques comme « googler », « skyper », « twitter ». Ce faisant, les marques qui sont ainsi « brandverbisées » prennent des positions dominantes dans le marché comme dans la société. Ceci n’a pas été sans inspirer toute une génération de publicitaires qui, dans la lignée historique d’un Flunch, poussent les grandes marques à privilégier un tel langage avec des campagnes comme « Do you Vespa ? » ou « Will you Gopro ? ». Reste qu’au-delà de l’effet de mode, on ne connaît pas bien les clés du succès d’un processus de « brandverbing », comme on ne mesure pas exactement les effets bénéfiques d’un tel processus sur la marque en question.

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Il faut différencier deux processus de brandverbing : un émergent et l’autre délibéré.

En effet, nombre de verbes de marques utilisés aujourd’hui proviennent d’un emploi dit antonomasique du nom de marque : les individus utilisent spontanément le nom de marque pour décrire l’action qu’ils entreprennent grâce au produit ou au service d’une marque. Cette action ne pouvant pas dans un premier temps être réalisée sans le produit ou le service de ladite marque. Il en est ainsi pour « photoshoper », « skyper », « shazammer », « snapchater » et bien d’autres verbes de marques issues d’Internet.

Avant Internet, on ne trouve que quelques rares traces de réemplois spontanés avec, au premier chef, « xéroxer » (pour photocopier). Xérox a d’ailleurs lutté contre un tel emploi de son nom de marque de peur de la voir victime de « généricide », c’est-à-dire de voir tomber son nom de marque dans le langage courant et ainsi en perdre la propriété commerciale. Plus récemment, un autre problème est venu s’ajouter à cela : l’emploi de manière péjorative de la marque en verbe pour signifier une action négative comme « volkswageniser » pour dire « tromper le consommateur ». D’autres usages péjoratifs : « uberiser » pour signifier « détruire tout un secteur économique » ou « zlataner » (de Zlatan Ibrahimovic, un individu devenu une marque) pour dire « donner une correction sévère à son adversaire ».

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Mais les entreprises et leurs agences de communication multiplient aussi aujourd’hui les campagnes de brandverbing. Certaines tentatives ont été faites par le passé avec « fluncher » en français ou « vesper » (pour Vespa) en italien, mais c’est la campagne de Thomas Cook en 1984 avec son slogan « Don’t just book it. Thomas Cook it ! » qui fait réellement figure de pionnier. La récente vague des verbes de marques issus de la mouvance Internet a provoqué une explosion de campagnes publicitaires telles « Do you Vespa ? » de Piaggio, « Will you Tanqueray tonight ? » de Diaego (pour son gin), « Do you Note ? » de Samsung et bien sûr le concours « Will you GoPro ? ». Le leitmotiv de ces campagnes est le mode interrogatif qui pousse le consommateur à répondre « Yes I… », utilisant mentalement ou oralement le brandverb ainsi proposé. Souvent, le consommateur est amené à le faire en racontant sur un site propriétaire son expérience avec le produit ou le service de la marque, documentant ainsi sa façon personnelle de « vesper » ou de « goproiser ».

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Pas de garantie de succès

Le succès d’une recherche délibérée de brandverbing n’est pas garanti par le montant du budget de communication, comme le montre le cas de Bing. En 2009, Microsoft relance ses moteurs de recherche Live Search et MSN Search sous le nom de Bing avec, comme objectif déclaré, de concurrencer la suprématie de Google. Pour ce faire, Microsoft met sur la table un budget de communication de 100 millions de dollars à même de développer l’usage générique du verbe « binguer » comme il existe déjà « googler ». Dans son discours de lancement, Steve Ballmer, le PDG de Microsoft, dit espérer que bientôt on « binguera un nouveau restaurant » (chercher un nouveau restaurant grâce au moteur de recherche Bing de Microsoft) quand on voudra sortir le soir.

Cette ambition a rapidement été tournée en dérision par les consommateurs qui ont bien marqué la différence entre Google et Bing par le raccourci « On ne peut pas binguer Googler, mais on peut googler Bing ! », soulignant ainsi que « binguer » n’a pas de sens contrairement à « googler ». Comme, par ailleurs, la tentative tardive de Yahoo d’imposer son « Do you Yahoo ? » a aussi été un échec patent, Google reste de très loin le leader des moteurs de recherche avec 64,5% du marché nord-américain en 2015 ,contre 32,6% pour Bing et Yahoo réunis. En fait, on ne peut pas installer deux verbes différents pour la même action. Avantage au premier brandverb installé qui devient le référent cognitif du marché et présente toutes les apparences d’un grand succès.

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Il est à noter que les récentes campagnes de communication mobilisant le nom de marque comme un verbe ne recherchent pas toutes au premier chef l’utilisation courante du brandverb ainsi promu. Le slogan « Will you Tanqueray tonight ? » est utilisé par Diaego comme un moyen de dynamiser la campagne pour son gin Tanqueray au même titre que certains noms communs sont utilisés comme des verbes dans les signatures publicitaires « Millionisez vos cils ! » pour L’Oréal Mascara Volume ou « Prenons le temps de biscuiter ensemble » pour la nouvelle gamme de biscuits Milka. C’est une tendance à la mode qui traduit le rôle actif du consommateur dans sa consommation. Dans le cadre de ce type de campagnes, le verbe de marque est alors plus un moyen publicitaire qu’une fin en soi.

Quatre facteurs de réussite

En dehors du fait qu’il n’y a pas de place pour deux verbes de marque sur le même marché, et qu’il vaut donc mieux être le pionnier dans son activité, les autres facteurs de réussite d’un brandverbing délibéré sont les suivants.

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1. Vérifier, d’abord, que sa marque est compatible avec le brandverbing. L’idéal – et il vaut mieux si possible y penser avant de créer sa marque- est d’avoir une marque qui peut se transformer en verbe dans de nombreux pays. Alors qu’une certaine mode penche vers l’usage massif de sigles TLA (Three Letter Acronyms – sigles en trois lettres) de type CNN ou LCL, la récente vague de brandverbing sur Internet semble facilitée par le choix d’un nom lexicalisé (lire aussi l’article : « En Chine, attention à votre nom de marque »). L’utilisation de noms lexicalisés de marques (Photoshop, Shazam, Skype, etc.) aisément transformables en verbes, par opposition aux noms à base de sigles sous forme TLA (msn, IBM, etc.) ou de combinaisons alphanumériques (118 712, PS2, etc.), est un premier facteur de succès.

2. Promouvoir l’utilisation du brandverb en interne. L’utilisation du verbe « googler » s’est au début appuyée sur le détournement fait en interne par les employés de Google quand ils se sont qualifiés de « googlistes » ou de « googlers ». De même, les collaborateurs comme les étudiants de Kedge Business School (la grande école de management résultant de la fusion des écoles de Bordeaux et Marseille) ont initié l’utilisation des dénominations « kedgien » et « kedgienne » et du verbe « kedger » avant que l’institution essaie de les propager en externe. Le lancement du brandverbing peut ainsi s’appuyer sur les distributeurs, les vendeurs et autres intermédiaires commerciaux.

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3. Rendre clair par la communication externe que l’activité désignée par le brandverb (ex : « googler ») ne peut être réalisée sans utiliser le produit ou le service offert par la marque. On ne peut pas « vesper » avec un scooter Peugeot ! Il est aussi recommandé de circonscrire clairement l’activité correspondant au brandverb pour éviter une dilution du sens. Enfin, il faut communiquer en posant une question du type « Do you Vespa ? », qui amène le consommateur à réfléchir à la réponse. La campagne doit aussi fournir des premiers exemples de réponses sous la forme de témoignages de consommateurs.

4. Faire attention à bien surveiller l’utilisation publique du verbe et son évolution pour pouvoir adapter le discours marketing au vécu des utilisateurs. Les forums et blogs recèlent de discours sur la marque et sont un bon indicateur de l’utilisation du nouveau verbe. La partie est gagnée quand le verbe dérivé de marque entre au dictionnaire comme « googling » dans l’éminent Merriam-Webster (« googliser » et « googler » apparaîssent aussi dans le Larousse) ou est reconnu comme un néologisme usuel par le Wiktionnaire comme « airbnbiser ». Peu à peu, il se propage pour faire partie du langage courant et est utilisé par les relais médiatiques (presse, télévision, Internet). Dans tous les cas, il faut se rappeler que l’on ne peut forcer l’adoption d’un brandverb, on peut seulement en faciliter l’appropriation.

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Ces clés de réussite marketing doivent s’accompagner de précautions juridiques, comme d’un suivi rigoureux de toute réutilisation potentielle par des opérateurs concurrents ou non. Google lutte ainsi contre les tentatives d’utilisation du brandverb « googling » de la part d’acteurs (très souvent des sites web) qui portent à croire que Google les soutient, ou qu’ils sont affiliés à Google d’une quelconque manière.

Il fut un temps où les entreprises avaient envahi nos torses et nos têtes sous la forme de t-shirts et de casquettes arborant fièrement un nom de marque. Nous sommes passés aujourd’hui à un stade supérieur de la société de consommation avec des marques sortant de nos bouches sous la forme de verbes décrivant nos activités les plus quotidiennes. Bien que certaines marques traditionnelles s’essaient au brandverbing, ce sont surtout les entreprises aux nouveaux modèles économiques, fondés sur le partage et qui permettent aux consommateurs d’être aussi producteurs sur leurs plateformes, comme Airbnb ou couchsurfing, qui sont les mieux placées pour en profiter. Quand la marque est verbalisée, elle bénéficie alors d’une aura dans la société qui a un impact direct sur ses performances. Comme l’a dit Meg Whitman, ancienne P-DG d’eBay : « Quand les gens utilisent votre nom de marque comme un verbe, c’est extraordinaire. »

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