Menu
Libération
Analyse

Impôts, pari perdu

Quelles sont les conséquences politiques et économiques des choix du Président en matière fiscale ? «Libération» fait le bilan alors que, ce jeudi, François Hollande et Manuel Valls doivent ficeler la dernière mesure de réduction d’impôts du quinquennat.
par Luc Peillon et BIG, Infographie
publié le 7 septembre 2016 à 21h11

Un dernier geste pour les plus modestes. Réuni ce jeudi matin à l'Elysée, le couple exécutif doit trancher sur une ultime baisse de la fiscalité pour les ménages. Selon les Echos, celle-ci devrait prendre, comme en 2014, la forme d'une réduction forfaitaire de l'impôt sur le revenu. Reste à déterminer le public concerné : le bas du barème (jusqu'à 1,1 Smic pour une personne seule) ou le début de la classe moyenne (entre 1,1 et 1,3 Smic). La mesure, quoi qu'il en soit, ne devrait pas dépasser le milliard d'euros. Et sera loin de compenser la hausse massive des prélèvements (plus de 30 milliards d'euros) subie par les Français depuis le début du quinquennat. Trop peu, trop tard, cette troisième baisse de l'impôt sur le revenu, surtout, parviendra difficilement à effacer dans les esprits le sentiment de «ras-le-bol fiscal», qui aura irrigué le mandat de Hollande. Et qui, à l'heure du bilan, pourrait peser fortement sur la réélection, ou non, du président sortant.

La fiscalité, matière fétiche - et maudite - du président de la République ? Rarement, en effet, un chef de l’Etat n’aura autant usé, voire abusé, de cet outil. Au point d’en avoir fait la principale source de financement de sa politique de l’offre, dans l’espoir de sortir le pays de la crise. Sans grand succès, pour l’instant. Bilan d’un quinquennat de vases communicants entre entreprises et ménages, mais aussi entre ménages, pour un résultat qui a fini par prendre l’eau.

Un choix qui a donné de l’air aux entreprises

Le grand arbitrage fiscal est arrêté dès le début du mandat, fin 2012. Avec un nouvel objectif, non évoqué pendant la campagne électorale : redonner de la compétitivité aux entreprises en abaissant massivement leurs prélèvements obligatoires. Dans la foulée du rapport Gallois, le gouvernement Ayrault met alors en place le CICE (crédit d'impôt compétitivité emploi), qui conduit à accorder aux entreprises une baisse d'impôt sur les sociétés, indexé sur leur masse salariale (l'équivalent de 4 % des salaires compris jusqu'à 2,5 Smic, puis 7 % en 2017). Ce qui correspond, à terme et en rythme annuel, à une baisse de 20 milliards d'euros. S'ensuivra, un an plus tard, le pacte de responsabilité, qui mêle réductions de cotisations patronales (10 milliards) et diminutions d'impôts (10 milliards). Soit, en fin de mandat, quelque 40 milliards d'euros par an de baisse des prélèvements pour les entreprises, dans le cadre de cette politique de l'offre. Compte tenu des hausses intervenues en 2012 et 2013, et de certains impôts difficiles à classer entre ménages et entreprises, l'Observatoire français des conjonctures économiques (l'OFCE) estime, qu'en définitive, les ponctions fiscales et sociales sur les entreprises auront baissé, en fin de quinquennat, de 20 milliards d'euros par an par rapport à 2012. Résultat : leur taux de prélèvements obligatoires atteindra, en 2017, moins de 16 % du PIB. Soit un plus bas depuis au moins dix-sept ans ! Avec cette conséquence, qui était l'objectif - réussi - du gouvernement : le taux de marge des entreprises françaises aura augmenté de 2 points (en pourcentage de la valeur ajoutée). Même si un point est aussi lié à la baisse des prix du pétrole. «Un redressement particulièrement spectaculaire dans le secteur industriel», relève l'OFCE.

Un choix qui a pesé sur les ménages

Cette politique de l'offre, que le gouvernement a voulu mener de front avec la réduction des déficits publics, a néanmoins un coût. Une facture massivement supportée par les ménages, en plus des économies réalisées sur les dépenses publiques. Ces derniers payeront ainsi 35 milliards d'euros d'impôts de plus en 2017 qu'au début du quinquennat. Un taux de prélèvements obligatoires supérieur à 28 %, le plus haut depuis 2000. Cette hausse, cependant, n'a pas été totalement aveugle, et a concerné, avant tout, les plus aisés. Dès son arrivée au pouvoir, Hollande instaure en effet des impôts généralistes, comme le relèvement de la TVA, mais aussi une fiscalité qui va toucher les plus hauts revenus : restauration du barème de l'ISF, hausse des droits de succession, création d'une tranche de l'impôt sur le revenu à 45 %… S'ensuivront l'abaissement du plafond du quotient familial ou encore la limitation des niches fiscales. A partir de 2014, les ménages modestes bénéficieront, eux, de baisses successives d'impôt qui, mises bout à bout, devraient alléger leur impôt sur le revenu de 6 milliards par an en 2017. Avec cette politique fiscale massive mais différenciée sur les ménages, Hollande parviendra même, en 2013, à réduire fortement les écarts de niveaux de vie. Le rapport entre le plancher des 10 % les plus riches et le plafond des 10 % les plus pauvres passe, cette année-là, de 3,6 à 3,5. Plus significatif : le rapport entre la masse des niveaux de vie détenus par les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres diminue de 4,6 à 4,3. L'indice de Gini (un peu plus technique), qui mesure lui aussi le degré d'inégalité, marque une vraie baisse. Un «repli d'une ampleur inobservée depuis 1996, qui efface […] l'augmentation enregistrée depuis le début de la crise», souligne l'Insee. Et si le mouvement stagne l'année d'après en raison d'un recul des revenus d'activité, les nouvelles mesures fiscales concerneront, là encore, et de manière progressive, les ménages les plus aisés. Reste que pour l'ensemble des ménages, la note est salée, et alimentera le fameux sentiment de «ras-le-bol fiscal». Un ressenti que le gouvernement entretiendra lui-même, dès l'été 2013, par la voix du ministre de l'Economie de l'époque, Pierre Moscovici.

Un choix qui a plombé la croissance

Cette forte hausse de la fiscalité des ménages, couplée aux économies sur les dépenses publiques, a permis d’abaisser les déficits publics, de façon continue. Même si c’est avec plusieurs années de retard sur le calendrier initial, la barre des 3 % de déficit sur PIB devrait être atteinte en fin de mandat. Soit une baisse de 2,4 points sur l’ensemble du quinquennat. Quant à la politique de l’offre, elle a commencé à produire des effets, avec un redressement des investissements des entreprises. Même si, dans le secteur industriel, cette embellie serait davantage liée, selon l’OFCE, à une petite mesure (celle du suramortissement fiscal instaurée en 2015, soit 2,5 milliards d’euros sur cinq ans) qu’à la baisse massive de prélèvements.

Mais cette politique de consolidation budgétaire et de baisse des coûts pour les entreprises (menée de façon concomitante en Europe) a surtout produit un terrible effet boomerang sur l’activité. Selon l’OFCE, elle aurait ainsi coûté, sur l’ensemble du quinquennat, la moitié de sa croissance à la France. Entre début 2012 et début 2016, le PIB n’a ainsi progressé que de 3,8 %, alors que cette hausse aurait été deux fois plus importante avec une politique budgétaire dite «neutre». Bref, la voiture a été nettoyée, mais elle tourne toujours au ralenti.

Hollande, cependant, aurait-il pu faire autrement ? Sur la réduction du déficit, «il est probable que le même résultat ait pu être atteint avec une évolution plus graduelle de la fiscalité», estime l'OFCE. En clair, en tapant moins fort sur les ménages en début de mandat, le gouvernement aurait pu préserver un peu de croissance et donc de rentrées fiscales. Quant à la politique de l'offre, ce fut un choix économique, et donc politique. Un choix massif en faveur des entreprises, bien mal payé en retour. Le successeur de Hollande en profitera sûrement, mais en attendant, le chômage n'aura cessé de progresser sur la quasi-totalité du quinquennat. De moindre ampleur, et donc moins gourmande en impôts et/ou en économies sur les dépenses, cette politique aurait sûrement, là aussi, moins obéré la croissance. Croissance qui, du coup, aurait généré plus d'emplois… Pourtant fan de fiscalité, Hollande, en secret, doit parfois s'en mordre les doigts.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique