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Analyse

En Allemagne, les premiers signes d'usure de « Mutti »

¤ Le revers électoral subi dimanche dernier par Angela Merkel marque une vraie rupture : pour la première fois en onze ans de pouvoir, la chancelière allemande apparaît fragile, au point que sa fin de règne ¤ est ouvertement évoquée.

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Par Thibaut Madelin

Publié le 9 sept. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Le 4 septembre est décidément une date maudite pour Angela Merkel. La nuit du 4 septembre 2015, la chancelière allemande s'est sentie contrainte d'accueillir dans l'urgence les milliers de réfugiés bloqués par Viktor Orban en Hongrie. Bien que le flux de demandeurs d'asile eût commencé bien avant, cette nuit est aujourd'hui perçue comme celle où elle a ouvert grand les bras aux réfugiés du monde entier. Le 4 septembre 2016, la « femme la plus puissante du monde », selon le magazine « Forbes », a essuyé la plus amère défaite de son histoire : dans son propre fief, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) a été battue pour la première fois par le parti populiste Alternative pour l'Allemagne (AfD), dont la campagne reposait sur un thème, l'immigration, et un slogan, « Merkel doit partir ».

Une semaine plus tard, la formation née en 2013 pour protester contre une politique de sauvetage de l'euro que la chancelière jugeait alors « sans alternative » semble avoir franchi un pas décisif vers son objectif. Pour la première fois, la presse allemande discute ouvertement d'une fin du règne Merkel et du crépuscule de celle qu'elle traitait globalement jusqu'ici avec les égards qu'on réserve à une souveraine. Après onze ans de pouvoir, « Mutti » n'a jamais été aussi fragile. Son parti a chuté à 19 % dans le petit Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, deux points derrière l'AfD, et risque de tomber au même niveau le 18 septembre aux élections de la capitale, Berlin. Ces scrutins ne reflètent pas le niveau national de la CDU, où elle est créditée d'environ 33 % des votes, mais ils laissent présager une dynamique.

Angela Merkel, qui était parvenue jusqu'ici à neutraliser ses adversaires en reprenant leurs idées (sortie du nucléaire, arrêt du service militaire...), apparaît démunie face à la concurrence nouvelle de l'AfD, qui n'est autre que sa créature. Comme le chancelier social-démocrate (SPD) Gerhard Schröder, accusé au début des années 2000 d'avoir contribué à l'essor du parti de la gauche radicale Die Linke avec un programme de réformes rejeté par une partie de son parti, Angela Merkel se voit accusée par ses troupes d'avoir fait naître l'AfD avec une politique d'asile de gauche. La chancelière, qui n'a pas de rivaux évidents mais des frondeurs, va-t-elle imiter Schröder, qui avait annoncé des élections anticipées le 22 mai 2005, au soir de la défaite de son parti aux élections régionales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie sur fond de protestations contre les lois Hartz du marché du travail ? A court terme, rien ne permet d'envisager un tel scénario. Malgré les vives tensions avec la CSU, son alliée bavaroise, qui lui réclame un tournant dans sa politique d'asile, ou les provocations du SPD, qui tente de profiter de sa faiblesse nouvelle, les trois partis qui composent le gouvernement sont (encore) capables de travailler ensemble. Reste la question clef : Angela Merkel voudra-t-elle être candidate à sa succession en septembre 2017 ? Et pourra-t-elle « regagner la confiance perdue », comme elle l'assure ?

Pressée de se prononcer sur sa candidature pour un quatrième mandat, Angela Merkel répète depuis plusieurs semaines qu'elle annoncera sa décision « le moment venu ». Pourquoi une telle prudence, alors qu'elle n'a pas de rival apparent ? Est-elle prisonnière d'une CSU qui veut monnayer son soutien contre la fixation d'un plafond de réfugiés que l'Allemagne serait prête à accueillir chaque année ? Si elle n'est pas du genre à quitter le navire, la chancelière se prépare-t-elle secrètement à céder la place à un ministre, comme Wolfgang Schäuble, qui se tient prêt ? Logiquement, elle devrait prendre sa décision d'ici au congrès du parti, en décembre. Les résultats des élections communales en Basse-Saxe, ce dimanche, tout comme le scrutin régional de Berlin, une semaine plus tard, devraient peser dans sa décision.

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Tilman Mayer, professeur de sciences politiques à l'université de Bonn, estime à « plus de 50 % » la probabilité qu'elle se représente. Reste à savoir avec quelle campagne. Le tournant que lui demande la CSU (et l'AfD) paraît compliqué à opérer étant donné qu'elle a déjà fait un virage à 180 degrés. La chancelière a, en effet, négocié en mars un accord controversé entre l'Union européenne et la Turquie qui a permis - avec la fermeture de la route des Balkans - de tarir le flot de réfugiés. Si 1 million d'entre eux sont venus outre-Rhin l'an dernier, ils ne sont que 240.000 jusqu'ici cette année. L'administration a repris le contrôle de la situation. Par ailleurs, le gouvernement a durci les conditions d'asile et d'intégration, et veut multiplier les reconductions de réfugiés dont la demande d'asile a été refusée.

Même si 45 % des Allemands seulement se disent satisfaits de son travail - le plus bas niveau depuis 2011 -, le défi d'Angela Merkel n'est pas de changer de politique. Mais d'assumer à la fois la décision humanitaire de l'an passé et la correction de 2016, sa solidarité pour des réfugiés qui fuient la guerre et son empathie pour des Allemands déboussolés. Sonnée mais combative, elle adapte son discours. Après avoir reconnu sa « responsabilité » dans la récente débâcle électorale, elle a évité, mercredi au Bundestag, de prononcer la formule désormais célèbre « Wir schaffen das » (« nous y arriverons »), qui était censée être un encouragement mais a été interprétée par une partie des Allemands comme l'ordre de marche d'une impératrice. Malgré les réfugiés, « l'Allemagne restera l'Allemagne que nous aimons et que nous chérissons », a-t-elle conclu. Il n'est pas certain que cela suffise à rassurer ses électeurs déçus.

Les points à retenir

Angela Merkel a essuyé dimanche la plus amère défaite de son histoire : pour la première fois, la CDU a été battue dans son propre fief par le parti populiste AfD.

La chancelière allemande est fragilisée : seuls 45 % des Allemands se disent satisfaits de son travail - le plus bas niveau depuis 2011.

D'ores et déjà, la question se pose : voudra-t-elle être candidate à sa succession en septembre 2017 ?

Correspondant à Berlin Thibaut Madelin

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