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Sur Internet, il est temps d’en finir avec les « trolls »

Le terme, qui désignait hier des farceurs remettant en cause l’ordre social par jeu, est devenu un mot fourre-tout justifiant tous les comportements nocifs en ligne.

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Publié le 08 septembre 2016 à 11h23, modifié le 11 septembre 2016 à 07h43

Temps de Lecture 3 min.

Le jour où Donald Trump annonce à grand fracas sa candidature à l’investiture républicaine, en juin 2015, le site américain Buzzfeed l’interroge : sait-il ce que le verbe « troller » signifie ? Le journaliste s’explique : troller, c’est agir ou tenir des propos dans le seul but de provoquer les autres. « Ce n’est pas mon seul objectif ! » rétorque Trump. Avant de concéder : « C’est vrai que j’aime provoquer les autres. C’est dans ma nature. »

Buzzfeed n’a pas totalement tort de qualifier Trump de « troll de l’Amérique ». Le terme, qui est apparu dans le dictionnaire spécialisé Net Lingo dès 1995, désignait à l’origine cette personne qui va intervenir dans une discussion en ligne pour remettre en cause soit la légitimité d’un internaute soit la légitimité de la conversation elle-même. « Le troll est le négatif dialectique, (…) celui qui met les pieds dans le plat, casse les codes, conteste l’autorité », explique le sociologue des réseaux Antonio Casilli. Et Donald Trump, avec ses déclarations fracassantes sur les Mexicains (« Ils apportent la criminalité et la drogue aux Etats-Unis ») ou ses louanges sur l’action de Saddam Hussein en Irak, semble bien entrer dans cette catégorie.

Milo Yiannopoulos (au centre, avec le chapeau), l’un des plus célèbres trolls d’Internet.

Il faut pourtant rappeler que le sens du mot « troll » a beaucoup évolué et que, sur Internet, désormais, tout le monde trolle. Farceur, déviant, mauvais et rusé, le troll est devenu une menace inhérente au Web, omniprésente et inévitable, dont chacun peut être la victime. Le hackeur du groupe Lulzsec, qui pirate les serveurs de la CIA « pour rire » ? Un troll. L’internaute qui tient des discours haineux sous les articles de presse ? Un troll. Milo Yiannopoulos, gourou ultraconservateur américain connu pour la violence de ses propos, banni de Twitter le 20 juillet pour avoir martyrisé l’actrice noire Leslie Jones ? « Le plus grand troll de Twitter », selon une journaliste britannique qui l’a côtoyé.

Confusion sémantique

Mais voilà : Milo Yiannopoulos ou Donald Trump ne sont pas que de simples trolls. Le candidat républicain capitalise sur ses outrances en dehors d’Internet, et son discours clivant a bouleversé les thèmes de la campagne américaine. De la même façon, les discours misogynes, racistes et homophobes de Milo Yiannopoulos ne remettent pas seulement en cause un cadre formel de discussion en ligne, ils appauvrissent la conversation, attisent la haine, déclenchent des campagnes de harcèlement, quand ils ne sont pas illégaux.

Pourtant, ces deux personnalités profitent de l’image positive du troll. Une figure qui trouve ses sources dans le Web originel, ou plutôt dans son image mythifiée, celle d’un espace dont les intérêts commerciaux étaient absents et où tout n’était que partage des idées et de la connaissance. On prêtait alors aux trolls la vertu de bouleverser l’ordre établi, de questionner la normativité des conversations et les préjugés de certaines communautés.

Or, il y a bien longtemps que les actions des trolls ont des conséquences en dehors du Net. Après avoir été trollée, l’actrice Leslie Jones a vu son site Internet piraté et ses photos intimes publiées. Partout, les discours de détestation foisonnent, profitant des difficultés des réseaux sociaux à se doter d’une modération efficace, mais aussi de cette idée latente que, sur Internet, tout est un peu pour rire, surtout le pire…

Un état d’esprit qui a deux conséquences. Puisque le criminel et le farceur sont tous les deux désignés comme des trolls, le premier agit impunément, ses victimes ne sont pas écoutées, et les condamnations sont trop rares. Le second, lui, finira par pâtir de la multiplication de ces comportements lorsque les réseaux grand public prendront des mesures techniques radicales pour éradiquer les contenus problématiques, en bannissant les utilisateurs les plus gênants, ou en confiant leur modération à des algorithmes efficaces et sans nuance.

Dans son livre The Internet of Garbage (« l’Internet poubelle », Forbes Media, 2015), la journaliste Sarah Jeong envisage, elle, une solution différente. Le harcèlement en ligne, affirme-t-elle, est un « nouveau spam ». Or, le problème des e-mails non sollicités n’a pas été réglé en détruisant la source de ces derniers, mais plutôt en dotant chaque boîte mail de filtres : le problème n’est pas réglé, mais il est devenu invisible. Pour contrer le troll, un adage conseille de ne pas le nourrir, c’est-à-dire de l’ignorer. Et s’il fallait désormais le rendre inaudible ?

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