Manifestation de cadres à l'appel de la CFE-CGC et de la CGT le 24 novembre 1999 à Paris pour réclamer un décompte horaire de leur temps de travail dans le cadre de la loi sur les 35 heures

Les économistes français s'écharpent sur l'apport des 35 heures en matière de création d'emplois.

afp.com/Daniel Janin

L'orage gronde dans le ciel de l'économie (à la) française. C'est l'ouvrage de Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le Négationnisme économique et comment s'en débarrasser, paru mercredi, qui a tout déclenché. D'un côté, les économistes dits "orthodoxes" estiment que la régulation des marchés fonctionne plutôt bien. De l'autre, les économistes "hétérodoxes", prennent le contre-pied de cette idée et accusent leurs confrères d'avoir confisqué l'université.

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A quelques mois de la présidentielle, ils s'écharpent sur le débat relatif aux effets des 35 heures sur l'emploi.

Libéralisme ou intervention de l'Etat

Entre les deux camps, la tension était déjà montée en 2014 et 2015, autour de la création d'une nouvelle section à la fac, réclamée par les "hétérodoxes". "Parmi les 209 professeurs d'économie recrutés à la faculté entre 2000 et 2011, seuls 22 (10,5%) sont hétérodoxes, c'est-à-dire marxistes, keynésiens et institutionnalistes", justifiait André Orléan dans L'Expansion. Seulement voilà: face à la fronde des "orthodoxes", le Nobel d'économie Jean Tirole en tête, le projet était tombé à l'eau.

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En publiant leur livre, Pierre Cahuc et André Zylberberg ne font donc que raviver la vieille querelle entre les deux camps. Ces "orthodoxes" voient dans l'économie une science à part entière et accusent ceux qui remettraient en cause les résultats admis par la discipline d'être des négationnistes, à l'image de "ceux qui nient les dangers du tabac", expliquait André Zylberberg à L'Express.

En face, le sang des membres de l'Association française d'économie politique (Afep) n'a fait qu'un tour. "Voici donc la conception que ces économistes se font du débat scientifique: ils détiennent la vérité et leurs contradicteurs ne peuvent être qu'obscurantistes et négationnistes!" ont-ils dénoncé dans un communiqué.

Les Economistes atterrés ont aussi attaqué un "pamphlet aussi violent dans le ton qu'il est médiocre sur le fond", dénonçant une "attaque (qui) n'a été d'un aussi bas niveau" de la part de "docteurs Diafoirus".

Pour l'IGAS, les 35 heures ont créé 350 000 emplois

A neuf mois de l'élection présidentielle, cette guerre entre les deux chapelles se concentre sur la question des 35 heures. Un rapport - jamais publié - de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), relayé par Le Monde, sur les "politiques d'aménagement [et de] réduction du temps de travail dans la lutte contre le chômage", y contribue largement.

Ses auteurs concluent que "les politiques d'aménagement et de réduction du temps de travail contribuent, sous certaines conditions, à résorber le chômage", rapporte le quotidien. En s'appuyant sur des résultats donnés par l'OFCE et la Dares, le rapport secret de l'IGAS indique que les lois Aubry ont permis de créer 350 000 postes dans le secteur marchand entre 1998 et 2002. Le document de l'IGAS égratigne aussi les conclusions d'économistes ayant mis en doute l'efficacité des 35 heures. Parmi eux, les "orthodoxes" Pierre Cahuc, Francis Kramarz ou encore Stéphane Carcillo.

Sans surprise, ces affirmations ont suscité une vague de critiques, aussi bien sur les conclusions que sur le profil des auteurs. Au journal L'Opinion, André Zylberberg s'est dit "choqué", trouvant "curieux que dans un pays comme la France, on fasse évaluer les politiques publiques par des instances administratives ou politiques". Sur le fond, il met en avant "les revues scientifiques internationales", qui "montrent qu'il n'y a pas d'effet de la réduction du temps de travail sur la création d'emplois".

Efficacité de la baisse de la durée du travail ou de son coût?

"De telles études ont été faites sur l'Allemagne, la France et la province du Québec. En revanche, les recherches ont aussi montré qu'abaisser le coût du travail peu qualifié était favorable à l'emploi, argumente André Zylberberg auprès de L'Opinion. A la lumière de toutes ces études, les créations d'emplois attribuées aux lois Aubry devraient plutôt être portées au crédit de la baisse du coût du travail qu'à la réduction de sa durée".

L'avis est partagé par Francis Kramarz dans Le Monde. "Le passage aux 35 heures n'a pas créé d'emplois, mais la réduction des cotisations qui lui a été associée, elle, en a créé", explique l'économiste "orthodoxe". Au passage, il en remet une couche sur la méthode employée par l'IGAS: "Les travaux des économistes critiqués - Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo ou moi-même - ne peuvent pas être placés au même niveau que d'autres, également cités dans ce rapport mais qui, pour la plupart, n'ont été publiés que dans des revues à l'exigence scientifique infiniment plus faible", assène Francis Kramarz.

Excédés, Eric Heyer de l'OFCE, Stéphane Jugnot et Frédéric Lerais de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES), ainsi que la sociologue Dominique Méda se sont fendus de leur propre tribune dans Le Monde. Pour eux, "une abondante littérature anglo-saxonne montre qu'à court terme, la baisse de la durée du travail crée des emplois", mais reconnaissent qu'on "ne peut rien conclure sur les effets à long terme". Ils égratignent aussi Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et Francis Kramarz, qui "préfèrent le déni et le dénigrement". "L'arrogance, la suffisance et le mépris ne sont pas la meilleure façon de parvenir" à une évaluation des politiques publiques, lâchent-ils.

Alors, effet direct de la baisse de la durée du travail ou de son coût? Le débat est loin d'être clos chez les économistes. Pas plus que la guerre entre les "hétérodoxes" et "orthodoxes".

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