Passeur - Comment j'ai fait passer la frontière à des réfugiés : épisode • 1/4 du podcast Passer les frontières, 4 histoires de frontières

Ahmad, Ibrahim et Thomas dans la descente, côté français du col de Fenestre ©Radio France - Raphaël Krafft
Ahmad, Ibrahim et Thomas dans la descente, côté français du col de Fenestre ©Radio France - Raphaël Krafft
Ahmad, Ibrahim et Thomas dans la descente, côté français du col de Fenestre ©Radio France - Raphaël Krafft
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7 octobre 2015 : le journaliste Raphaël Krafft fait passer illégalement la frontière franco-italienne à Ahmad et Ibrahim, deux jeunes citoyens soudanais qui désirent demander l’asile en France. Ils avaient été deux fois refoulés vers l’Italie, au mépris d’un droit inscrit dans notre constitution.

Cette œuvre sonore vous est proposée dans le cadre d'une sélection d'œuvres primées de France Culture depuis 1963 à 2023.

À l'origine, Raphaël Krafft s'est rendu à la frontière franco-italienne pour y réaliser une série de reportages. Dans ce documentaire à la première personne, le journaliste raconte comment, au fil de ses rencontres, il est devenu passeur pour deux jeunes réfugiés soudanais.

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Ibrahim, Thomas et Ahmad dans l'ascension du col de Fenestre, en arrière-plan.
Ibrahim, Thomas et Ahmad dans l'ascension du col de Fenestre, en arrière-plan.
© Radio France - Raphaël Krafft

"La frontière est contrôlée H24. Nous sommes dans la zone des vingt kilomètres qui nous permet de contrôler toute personne et tout véhicule qui s'y trouve" prévient le secrétaire du syndicat Alliance Police nationale des Alpes-Maritimes. Les trains sont inspectés systématiquement par la police, qui font descendre les personnes en situation illégale pour les reconduire en Italie.

"On fait de notre mieux pour ressembler à des citoyens normaux. C'est un peu comme un jeu d'acteur, mais malgré nos efforts la police nous rattrape. C'est une évidence : tout le monde peut nous reconnaître." explique un migrant soudanais qui a déjà essayé deux fois de passer en France.

"Je recherche la paix"

C'est à la gare de Vintimille que Raphaël Kraft fait la connaissance d'Ibrahim, arrivé en Italie il y a deux semaines. Originaire de la région du Darfour au Soudan, le jeune homme veut passer la frontière : "Ma destination finale est la France. Je veux vivre là-bas, rester là-bas. Je recherche la paix, la vie, l’éducation, rien de plus."

Alors qu'Ibrahim prépare son troisième essai, Raphaël lui propose de "mettre un terme à son calvaire", en l'aidant à traverser le col de Fenestre, qui relie l'Italie à la France. Ibrahim accepte, à la condition de voyager avec son ami Ahmad. Avec l'aide d'Hubert, travailleur social accueillant des réfugiés, et de Thomas, un ami berger, les nouveaux amis se lancent dans cette randonnée risquée. Avant de partir Ibrahim demande : "Tu aimes l’aventure Raphaël ? Eh bien en voici une qui commence."

Ibrahim et Thomas regardent le col de Fenestre lors d'une pause.
Ibrahim et Thomas regardent le col de Fenestre lors d'une pause.
© Radio France - Raphaël Krafft

L'intention de Raphaël Krafft

"J’étais venu dans la région de Menton-Vintimille pour réaliser une série de reportages sur la fermeture de la frontière aux réfugiés par la France. Après des mois passés à couvrir la question des réfugiés à Paris, après vingt années de reportages sur différentes zones de fracture en France ou à l’étranger, j’ai, pour la première fois, ressenti la nécessité de commettre un acte de désobéissance civile et de le rendre public par la voix d’un récit documentaire. Alors, le 7 octobre 2015, j’ai fait passer illégalement et clandestinement la frontière franco-italienne à deux jeunes citoyens soudanais, Ahmad et Ibrahim. Ceux-ci désiraient demander l’asile en France. Ils avaient été par deux fois refoulés vers l’Italie au mépris d’un droit inscrit dans notre Constitution et de toutes les procédures prévues par les traités dont notre pays est signataire. Il m'importait d’abord qu’ils passent en France sans risquer de se faire refouler une troisième fois ; que l’ultime étape de leur voyage tranche avec les tragédies qu’ils avaient vécues en Libye ou lors de leur périlleuse traversée de la mer Méditerranée.

Je voulais que leur arrivée en France soit un moment heureux marqué par le sceau de l’hospitalité ; mais aussi par la beauté, parce qu'il me semble que l’idée de la France est indissociable de ses paysages. Pour toutes ces raisons, j’ai choisi le col de Fenestre qui relie la vallée de l’Entracque en Italie à celle de la Vésubie en France. Je l’ai choisi pour sa dimension symbolique aussi, lui qui a vu passer depuis plus d’un siècle tout ce que l’Europe a produit de personnes en quête d’espérance, de protection et de liberté : Russes ou Arméniens fuyant les persécutions à partir des années 20, réfugiés antifascistes à partir de 1922, juifs d’Allemagne et d’Europe centrale à partir de 1933-34 puis Italiens et encore Allemands victimes de l’Italie fasciste, Yougoslaves à partir de 1955, etc. Ce documentaire suit des réfugiés dans cette région proche de l’Italie, mais aussi des citoyens engagés qui les aident ou les conseillent… et puis, ensemble, nous passons la frontière…"

Ce documentaire a été récompensé par une mention spéciale dans la catégorie grandes ondes au festival Longueur d'ondes 2017. Il a également obtenu la médaille d'or aux New York Festivals dans la catégorie World’s Best Radio Programs.

Générique

Réalisation : Jean Philippe Navarre
Journaliste : Raphaël Krafft
Production : Perrine Kervran

L'équipe