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    Quand la police américaine classe des signalements de viol avant même d'enquêter

    Des services de police américains prétendent qu'un grand nombre de signalements de viol sont mensongers. Une enquête de BuzzFeed News portant sur une année de signalements de viol «infondés» dans le comté de Baltimore révèle qu'il arrive souvent que les policiers n'enquêtent pas dessus —même si l'homme a été arrêté pour viol auparavant.

    24 heures après la publication de cet article en anglais, le service de police du comté de Baltimore a promis de «ré-examiner» trois années de dossiers où des allégations de viol ont été classées comme «sans fondement».

    Le document datant d'octobre 2014 et portant la mention «confidentiel» est une description, faite par un policier en patrouille, d'un viol déclaré aux services de police du comté de Baltimore, un signalement parmi d'autres: presque 150 cette année. L'agent de police Sidney Pierce y écrit qu'il a rencontré une femme aux urgences de l'hôpital Saint Agnes. Cette femme —que BuzzFeed News identifie à l'aide d'une de ses initiales, E., afin de protéger son anonymat— lui a dit s'être endormie dans sa voiture après avoir trop bu. C'est là que le suspect l'a trouvée, et qu'il lui a proposé d'aller se dégriser chez lui, tout près.

    D'après le rapport, E. a accepté la proposition de l'homme. Quand elle s'est réveillée, selon le policier, «elle a constaté que le suspect était sur elle, et pénétrait son vagin avec son pénis, sans préservatif». Le rapport de Sidney Pierce indique que la femme «a demandé au suspect d'arrêter, et a essayé de refermer les jambes mais sans succès». Au matin, le suspect a forcé E. à procéder à un échange de numéros de téléphone. Voilà pourquoi E. avait son nom et son numéro de téléphone, et qu'elle les a donnés à Sydney Pierce. BuzzFeed News fera référence au suspect grâce à l'une de ses intiales, D.

    «Les policiers n'ont tout simplement pas fait leur travail.»

    Au cours de la journée, toujours selon le rapport, D. a envoyé des SMS à E., dont un où il disait se demander si elle avait déjà été agressée sexuellement car «les femmes qui l'ont été aiment le sexe, et mouillent comme toi». Il lui a aussi envoyé une photo de son pénis.

    Après que Sidney Pierce a rencontré E., il a transmis sa déclaration à sa hiérarchie. C'est quelqu'un qui n'avait jamais rencontré E. —et même jamais parlé avec elle— qui a décidé ce qui allait se passer ensuite.

    Dans les heures qui ont suivi, l'affaire a été déclarée «classée». Le signalement de viol de E. a été jugé «unfounded», une classification définie par le FBI comme «faux ou sans aucun fondement». En ce qui concerne la police du comté de Baltimore, E. n'a jamais été violée.

    E. n'a jamais été réinterrogée. Elle n'a découvert la rapidité avec laquelle son affaire avait été classée que lorsque BuzzFeed News lui a montré le dossier de la police. «C'est perturbant, a-t-elle dit. Ils n'ont tout simplement pas fait leur travail.»

    D. —son violeur présumé— n'a jamais su qu'il avait été accusé. «Alors pourquoi est-ce que je n'en entends parler que maintenant?» nous a-t-il demandé. Il a dit à BuzzFeed News ne même pas pouvoir se rappeler qui était E., et qu'il n'avait jamais violé personne.

    Mais D. avait déjà été arrêté et mis en examen pour viol aggravé. C'était quatre ans avant qu'E. ne fasse sa déclaration, dans une juridiction voisine, et l'affaire n'a jamais été jugée. Sidney Pierce n'en a pas fait mention dans son rapport.

    Dans l'année qui a suivi le classement de la plainte d'E., les policiers ont reçu un nouvel appel. Au sujet de D. Provenant d'une autre femme terrifiée.


    Selon l'analyse faite par BuzzFeed News des statistiques du FBI, la police du comté de Baltimore n'est qu'un service de maintien de l'ordre parmi d'autres présentant un taux alarmant de classement des plaintes pour viol aux États-Unis. Ces services ont pour habitude de classer comme fausses ou sans aucun fondement —«infondées»— une proportion incroyable d'allégations de viol.

    À Scottsdale, dans l'Arizona, par exemple, 46% des signalements de viol ont été déclarés «infondés» entre 2009 et 2014. À Oxnard, en Californie, plus de la moitié de toutes les allégations de viol ont été classées infondées. À Pittsburgh, le taux est de 30%. Et dans le comté de Baltimore, il est de 34%.

    Selon des experts du sujet, il n'est pas plausible qu'autant de victimes fassent de fausses allégations de viol, soulevant la question cruciale du degré de sérieux avec lequel les policiers traitent les plaintes pour agression sexuelle —et la possibilité qu'ils aient des préjugés à l'égard des femmes qui les déposent. Le taux moyen national de plaintes pour viol classées sans fondement, tous services de police confondus, est de 7%. (Bien que ces données ne soient pas parfaites, elles offrent le meilleur aperçu possible des pratiques policières au plan national. On pourra trouver ici une explication de l'analyse faite par BuzzFeed News.)

    Pour comprendre comment et pourquoi la police enterre les affaires de viol, BuzzFeed News a demandé les dossiers détaillés des signalements de viol «sans fondement» à plus d'une douzaine de services de police présentant un taux élevé de ces cas. Beaucoup ont refusé, mais le comté de Baltimore a transmis une série de documents couvrant l'année 2014.

    Il s'agit d'une mine de renseignements contenus dans 42 dossiers. Et leur analyse a révélé des tendances inquiétantes:

    • Les policiers ne faisaient que peu ou pas du tout leur travail d'enquête, qualifiant les signalements de viol d'infondés après des entretiens sommaires avec les victimes.
    • Il arrivait souvent que les inspecteurs formés pour lutter contre les crimes sexuels ne rencontrent pas la victime présumée et ne lui parlent même pas, rejetant ses allégations après une simple lecture du rapport sur l'affaire, fait par un flic généraliste.
    • Les policiers chargés d'écrire les rapports rejetaient souvent ces allégations de viol en pensant que la femme n'avait pas résisté assez vigoureusement –ou, comme il est dit dans un rapport de police, «n'avait pas résisté du mieux qu'elle pouvait». Même si le rapport indiquait que la femme s'était soumise à des rapports sexuels contre sa volonté parce qu'elle craignait pour sa propre vie, son agresseur n'avait pas commis de crime et pouvait s'en tirer sans même être interrogé par la police.

    La police du comté de Baltimore défend ces pratiques en disant qu'elle y est contrainte par le langage juridique restreignant de la législation sur le viol dans le Maryland.

    Mais le récit d'E. trouvé dans les documents obtenus par BuzzFeed News est emblématique de la rapidité avec laquelle les policiers peuvent rejeter une plainte pour viol —et de la façon dont un suspect accusé et non poursuivi peut menacer à nouveau d'autres femmes.


    Le comté de Baltimore est une région étendue et variée qui compte une population de 830.000 habitants, plus nombreuse que la ville du même nom. Mais il y a beaucoup moins de crimes violents dans le comté que dans la ville de Baltimore, et les forces de police du comté ont attiré beaucoup moins d'attention de la part des médias.

    Les services d'enquête sur les viols de la ville se sont retrouvés sous le feu des projecteurs en 2010, quand le Baltimore Sun a découvert que les policiers y classaient plus les allégations de viol comme infondées que dans toutes les autres villes américaines d'une taille comparable. La ville a réagi en changeant sa politique et en engageant un nouveau responsable chargé de superviser la façon dont on enquêtait sur les viols. Le taux de plaintes infondées a chuté brusquement, pour passer en dessous de la moyenne nationale.

    Mais juste à côté, dans le comté de Baltimore, le taux est demeuré élevé, le plus élevé du pays pour un service de police de cette taille.

    Sur les 42 rapports concernant un signalement de viol «infondé» obtenus par BuzzFeed News, 13 d'entre eux avaient été classés ainsi par la police pour une raison claire —les plaignantes avaient admis avoir menti, ou bien il y avait des preuves contradictoires solides. Un quatorzième rapport de police ne contenait aucun détail du tout.

    Mais les 28 rapports restants donnaient un aperçu unique des pratiques —et des préjugés— des policiers. Trouvaille remarquable: dans au moins quinze cas, plus de la moitié, le policier écrit que la victime n'a pas résisté assez vigoureusement.

    Une femme déclare que son agresseur de 125kg s'est jeté sur elle après qu'elle a refusé ses avances. Elle a couvert sa bouche et son vagin avec ses mains, mais il a réussi à écarter son short en élasthanne pour la pénétrer. Elle dit avoir eu peur que l'homme ne la blesse, mais le policier note «qu'elle n'a pas pu spécifier comment il aurait pu s'y prendre». Classé infondé.

    Quand une autre femme dit que son violeur a mis les mains autour de son cou, le policier dit qu'elle n'a pas été forcée, et «qu'elle pouvait respirer normalement». Classé infondé.

    Dans un autre cas encore, une femme déclare qu'un homme lui a infligé plusieurs fois des rapports sexuels forcés. Elle déclare lui avoir dit non de façon répétée, et qu'il lui avait dit: «Si tu cries, je te tue.» Elle dit qu'il l'a traînée sur le sol et qu'il l'a violée sur une route en gravier. Le policier a même constaté qu'elle avait des hématomes qui corroboraient son récit. Mais ça n'a pas non plus suffi au policier qui écrit que la victime n'a pas essayé «de le pousser, de lui donner des coups de pied ou de faire usage de la force.» Classé infondé.

    «Dire non ne suffit pas à étayer une accusation de viol.»

    La police du comté de Baltimore a défendu sa décision de classer, sans complément d'enquête, ces affaires et toutes celles concernant des plaintes «infondées». Dans un mail adressé à BuzzFeed News, sa porte-parole Elise Armacost dit que chaque signalement de viol est examiné avec sérieux. «Nous prenons toutes les victimes au mot», écrit-elle.

    Mais «dire non ne suffit pas à étayer une accusation de viol», dit-elle. La législation sur le viol dans le Maryland requiert non seulement l'absence de consentement mais aussi «l'usage de la force ou la menace d'en faire usage».

    Par conséquent, il ne suffisait pas que le suspect menace: «Si tu cries, je te tue», dit Elise Armacost à BuzzFeed News dans un mail. Le service a eu raison de classer l'affaire, dit-elle, car il n'y avait pas de preuve que l'agresseur «avait vraiment l'intention de lui causer un préjudice physique».

    Dans le cas de l'homme qui a mis ses mains autour du cou de la femme, Elise Armacost dit qu'il les a enlevées quand la femme le lui a demandé. «Elle n'a pas résisté physiquement, a ajouté Elise Armacost. En l'absence d'une telle résistance, ces plaintes ne justifient pas un complément d'enquête, selon la législation du Maryland.»

    Mais la plus haute juridiction du Maryland a rendu à plusieurs reprises des conclusions différentes. Dans un de ces cas, les seuls actes de résistance de la victime avaient été de dire non de façon répétée et d'écarter les mains de l'homme quand il la caressait. Quand on lui a demandé pourquoi elle n'avait rien fait d'autre, la femme a répondu qu'elle était terrifiée. La cour a jugé qu'elle avait été agressée sexuellement, et a déclaré qu'il «pouvait y avoir usage de la force sans violence».

    Byron Warnken, professeur de droit pénal à la faculté de droit de Baltimore, a réexaminé pour BuzzFeed News plusieurs dossiers du comté de Baltimore et il dit que les policiers interprètent mal la loi. Si une femme «pense honnêtement et raisonnablement qu'en résistant, elle va subir des blessures, la résistance n'est pas requise», dit-il.

    Beaucoup d'États autres que le Maryland ont une législation sur le viol qui demande plus que la seule absence de consentement. Mais «la façon dont la loi est écrite n'excuse pas les enquêteurs qui ne vont pas jusqu'au bout de leurs investigations», dit Tom Tremblay, un commissaire à la retraite, consultant auprès des services de police, au plan national, sur la façon de traiter les affaires d'agression sexuelle.


    «La façon dont la loi est écrite n'excuse pas les enquêteurs qui ne vont pas jusqu'au bout de leurs investigations.»

    En mai 2010, bien avant sa rencontre présumée avec E., D. a été inculpé pour viol. Une jeune femme de 23 ans a déclaré à la police que D. l'avait invitée chez quelqu'un pour passer un moment ensemble. Selon la police, D. l'avait poussée sur un matelas noir posé par terre au sous-sol, et avait arraché sa culotte. «Si tu dis quoi que ce soit, je vais vraiment te faire mal», lui avait-il dit, a-t-elle rapporté à la police. Il avait mis un préservatif, avait grimpé sur son dos et mis la main sur sa bouche, a-t-elle dit.

    Elle avait appelé le numéro d'urgence tout de suite après s'être échappée. «Ça a été le pire jour de ma vie», raconte-t-elle à BuzzFeed News.

    La scène avait eu lieu dans la ville de Baltimore, et les policiers de la ville ont vite réagi. Un inspecteur a utilisé le numéro de téléphone de D. pour le localiser. Lors de l'interrogatoire, il a déclaré que les rapports sexuels avaient été consentis.

    «Ça a été le pire jour de ma vie.»

    Examinée à l'hôpital, les médecins ont, en plus d'effectuer les prélèvements post-viol, trouvé sur la jeune femme des marques sur le cou et des «hémorragies pétéchiales» dans les deux yeux qui pouvaient avoir été causées par une strangulation. Le jour suivant l'agression, D. a été inculpé pour viol aggravé, ce qui était passible d'une peine de prison à perpétuité. Il a attendu son procès, en prison, plus de six mois.

    Un jour, le processus judiciaire s'est interrompu brusquement. La victime présumée a déclaré à BuzzFeed News qu'elle n'avait pas voulu coopérer avec les procureurs car elle avait peur.

    On a alors donné un «sursis» à D., terme correspondant à un arrangement dans lequel l'accusé accepte des dispositions mineures mais n'est condamné pour aucun crime. Les procureurs ont refusé d'expliquer ce qui s'était passé.

    D. a nié avoir violé la femme. Il a déclaré à BuzzFeed News qu'elle l'avait accusé pour se venger de choses blessantes qu'il lui avait dites durant une dispute. Son avocat avait déclaré à un juge que la victime présumée répétait à tout le monde qu'elle abandonnerait ses accusations pour quelques centaines de dollars, et qu'elle avait par le passé accusé d'autres hommes qui avaient été inculpés, pour s'en dédire ensuite. Pour D., c'était bien la preuve qu'elle mentait.

    D. a nié avoir causé les blessures de la femme. «Peut-être s'est-elle mise elle-même les mains autour du cou», dit-il.


    Quand E. a été interrogée par le policier Sidney Pierce à l'hôpital, elle n'a détecté chez lui aucun scepticisme —en fait, elle a même déclaré à BuzzFeed News qu'il était compatissant et compréhensif. Et elle a cru qu'il ferait progresser l'affaire.

    Quelques jours après, elle a donc envoyé par mail à Sidney Pierce une déclaration de deux pages avec davantage de détails sur l'agression. Elle a par exemple précisé que D. l'avait poussée quand elle lui avait dit qu'elle voulait que le rapport sexuel s'arrête. Elle a aussi envoyé des captures d'écran de sa conversation avec D.

    Elle ne savait pas que ses efforts étaient inutiles car son affaire était déjà classée. Elle n'a pas non plus réalisé que Sidney Pierce avait très peu d'influence sur le sort réservé à l'affaire.

    En tant que policier intervenant en réponse à l'appel d'E., Sidney Pierce avait transmis le récit initial aux policiers de l'unité spéciale des victimes (USV), formée pour enquêter sur les délits sexuels. Les dossiers policiers montrent que, sans même en parler à E., l'inspecteur a conseillé à Sydney Pierce de «documenter l'incident comme infondé» et d'interrompre l'enquête. L'inspecteur l'a fait, à distance, de la même façon que l'aurait fait un employé de banque recevant et refusant une demande de prêt sans même rencontrer la personne en faisant la demande.

    Laisser tomber les affaires de cette façon est une chose normale pour les inspecteurs de l'USV du comté de Baltimore. Dans 19 des 42 rapports de police examinés par BuzzFeed News, les inspecteurs soit ne se sont pas saisis des affaires transmises par les agents en intervention, soit leur ont spécifiquement ordonné de les classer immédiatement comme infondées. On ne connaît pas le nombre exact de femmes qui, comme E., ne savaient absolument pas que leur plainte avait été classée de manière expéditive par la police.

    La porte-parole de la police Elise Armacost a soutenu que les policiers du comté de Baltimore «enquêtaient sur chaque cas d'agression sexuelle», mais elle a concédé le fait que les policiers de l'USV ne se préoccupaient pas toujours d'interroger les victimes après avoir examiné leurs déclarations initiales. L'USV n'enquête que sur les cas où elle a décidé que le récit de la victime et les autres données préliminaires répondent aux normes juridiques définissant le viol, explique-t-elle —même si elle arrive à cette conclusion sans faire d'examen plus approfondi.

    Mais selon les standards actuels, les policiers sont censés faire exactement le contraire. Selon les instructions émises par l'Association internationale des responsables policiers, «un signalement ne devrait pas être considéré comme "faux" ou infondé, suite au seul interrogatoire initial de la victime ou à l'interprétation de la réaction de la victime à l'agression sexuelle». Les victimes de viol peuvent être réticentes à rentrer dans les détails, par crainte de la stigmatisation associée à ce crime, et elles en ont souvent des souvenirs fragmentés qui les rendent incapables de le faire.

    Quand les policiers du comté de Baltimore décident de rejeter des allégations de viol sur la base des interrogatoires préliminaires, ils le font même quand le suspect a été inculpé de viol dans le passé, comme ça a été le cas de D. Elise Armacost défend cette position en soutenant que s'il n'a pas été fait suffisamment usage de la force pour que l'incident soit qualifié de viol, alors les antécédents du suspect «n'ont vraiment pas d'importance».

    Elise Armacost a insisté en disant que les policiers avaient fait ce qu'il fallait dans le cas d'E. «Bien que la victime ait dit qu'elle avait demandé au suspect d'arrêter, il n'a été fait aucun usage de la force», dit-elle.

    Le procureur du comté Scott Shellenberger a défendu la police en disant que le cas d'E. aurait été «extrêmement difficile à plaider de façon satisfaisante» pour la même raison: le rapport de police stipule «qu'il n'a pas été fait usage de la force».

    Mais quand BuzzFeed News a montré le rapport à E., elle a dit qu'il ne correspondait pas à son récit des événements. Elle avait déclaré clairement dans son mail que D. avait bien fait usage de la force. Le rapport de police indique aussi qu'E. ne voulait pas engager de poursuites —alors même que dans les mails qu'elle envoie à Sydney Pearce, et communiqués à BuzzFeed News, elle demande spécifiquement à Sydney Pierce de lui faire savoir ce que le parquet pense de son cas.

    «Le procureur de l'État ne m'a pas répondu», écrit Sydney Pierce dans un mail à E. presque un mois plus tard. «Je ne pense pas qu'ils engageraient des poursuites dans ce cas-là.»

    Scott Shellenberger, le procureur de l'État, a confirmé à BuzzFeed News que la police n'avait pas transmis cette affaire à ses services.


    «Quand il y a un hold-up dans une banque, vous ne vous focalisez pas sur la banque. Vous vous focalisez sur la personne qui est entrée dans la banque et qui l'a dévalisée.»

    Des services de police de tout le pays ont été critiqués pour leur mauvaise gestion des plaintes pour viol: la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, la ville de Missoula, dans le Montana, et celle de Baltimore ont toutes subi des inspections du département de la Justice au cours des six dernières années. «Les difficultés de la police du comté de Baltimore à gérer les affaires de viol sont emblématiques de ce qui se passe dans les services de police au niveau national», dit Corey Rayburn Yung, un professeur de droit à la faculté de droit du Kansas qui fait des études sur le maintien de l'ordre et le viol au plan national.

    Tom Tremblay, l'ancien commissaire de police, dit que certains enquêteurs passent trop de temps à disséquer le comportement de la victime plutôt que celui du suspect. «Quand il y a un hold-up dans une banque, vous ne vous focalisez pas sur la banque, explique-t-il. Vous vous focalisez sur la personne qui est entrée dans la banque et qui l'a dévalisée.»

    Il dit que dans d'autres cas, les services n'ont pas formé leurs policiers aux nouvelles normes en matière d'agressions sexuelles, et qu'ils peuvent être découragés par des affaires où les faits sont complexes.

    La raison pour laquelle il faut examiner ces affaires de façon approfondie est évidente: quand les policiers classent trop vite des affaires difficiles, ils risquent de négliger des preuves qui permettraient de les élucider. Il se pourrait même qu'ils échouent à attraper un violeur en série.

    Les policiers auraient au moins dû consulter le parquet au sujet de l'affaire d'E., dit Byron Warnken, le professeur de droit de Baltimore. Il dit qu'il est également étrange qu'ils n'aient pas interrogé le suspect. «Les flics auraient dû contacter ce type, dit-il. Que s'est-il passé cette nuit-là?»


    «Les flics auraient dû contacter ce type. Que s'est-il passé cette nuit-là?»

    Juste derrière le bâtiment où E. dit avoir été violée, au-delà d'une rangée d'arbres, il y a une quatre voies de banlieue. De l'autre côté de la route s'élève un supermarché 7-Eleven. Sept mois après qu'E. a fait sa déposition, deux employées sont en train de bavarder sur le parking.

    Les comptes-rendus d'audience décrivent comment D., en état d'ivresse, a marché jusqu'à la devanture du magasin et uriné sous les yeux de tous ceux qui se trouvaient à l'intérieur. D. a ensuite accosté les deux femmes en leur faisant des remarques grossières. Toutes deux lui ont demandé de s'en aller, mais il a refusé. Il a dit à l'une qu'il voulait la «baiser». «Tu es suffisamment mignonne pour qu'on couche avec toi», a-t-il dit.

    Les deux femmes ont ensuite vu l'homme mettre la main dans sa poche et en sortir un couteau. «Qu'est-ce que tu vas faire maintenant!» a crié D.

    Quand les policiers sont arrivés, D. s'en prenait à une troisième femme, qui était en larmes.

    Il y a quelques mois, D. a plaidé coupable pour un seul chef d'accusation d'agression. Il a dit à BuzzFeed News que ce qu'il avait fait cette nuit-là était largement dû au fait qu'il avait beaucoup trop bu. «Je veux dire, j'étais vraiment déchiré, dit-il. Mon intention n'était pas de faire peur à qui que ce soit.»

    Bien qu'il ait plaidé coupable, il a dit à BuzzFeed News qu'il ne s'était pas servi du couteau pour menacer ces femmes —il se trouve qu'il l'avait dans la main quand il est descendu de voiture pour uriner. Il a ajouté qu'il avait bien flirté avec l'une des deux femmes mais qu'il n'avait pas utilisé le mot «baiser».

    Au printemps, D. a comparu devant un juge pour recevoir sa sentence. «Ces faits sont évidemment extrêmement perturbants», a dit la procureure Erin Anello au juge. Le comportement de D. a été «inacceptable et scandaleux», a-t-elle ajouté. «Je n'arrive même pas à imaginer à quel point les gens se trouvant dans la station-service ont dû avoir peur.»

    Mais la voix d'Erin Anello s'est ensuite adoucie quand elle a fait allusion au passé de D. Il n'avait eu aucune condamnation depuis 2000. D. avait bien été récemment arrêté pour conduite en état d'ivresse mais à part ça, il n'y avait rien.

    Bien sûr, le juge n'a jamais rien su des allégations de viol «infondées» faites par E. Si la police du comté de Baltimore avait passé plus que quelques heures à travailler dessus, les choses auraient pu prendre une tournure très différente. Toujours est-il que le juge a mis D. en liberté surveillée en lui ordonnant de se tenir à distance du 7-Eleven.

    D. est sorti du tribunal, en homme libre. ●