L’avènement d’Uber et d’Ola a changé la façon dont les citadins indiens se déplacent. Après toutes ces années à la merci de chauffeurs d’autorickshaws [tricycles motorisés] capricieux et de services de taxi onéreux, les Indiens se réjouissent de pouvoir commander un véhicule à toute heure du jour et de la nuit sans se ruiner. Les applications de mise en relation entre clients et chauffeurs sont ainsi devenues extrêmement populaires en Inde. Il n’est pas étonnant que les chauffeurs d’autorickshaws et de taxis, qui doivent se battre contre ces géants pour garder leurs clients et générer des revenus, soient particulièrement mécontents.

En juillet dernier, plus de 90 000 conducteurs de tricycles motorisés et 15 000 chauffeurs de taxis à toit jaune ont fait la grève à Delhi, la capitale. Ils ont dit que les services comme Ola et Uber leur enlevaient leur gagne-pain. La grève a pris fin trois jours plus tard, après que le gouvernement de Delhi eut promis de répondre à leurs doléances.

Quelques semaines plus tôt, à Bombay, des chauffeurs des taxis noir et jaune qui sillonnent la ville avaient eux aussi fait la grève pour protester contre les conditions de concurrence inégales. Les chauffeurs de ces taxis doivent en effet respecter les tarifs fixés par les autorités et ne peuvent donc rivaliser avec la concurrence en termes de prix.

Innover ou disparaître

Tandis que les plateformes de VTC [voiture de transport avec chauffeur], financées par des fonds de capitAl-risque mondiaux, offrent des rabais à tout-va pour élargir leur part de marché, les taxis traditionnels tentent de se défendre par les grèves et les manifestations, mais aussi par l’innovation et les technologies.

À Calcutta, par exemple, la Bengal Taxi Association est en train de développer une application qui permettra à ses clients d’utiliser leur smartphone pour commander les taxis jaunes que l’on voit partout dans la ville. L’association prévoit, à terme, de regrouper sur cette plateforme les quelque 30 000 taxis qui opèrent dans et autour de Calcutta, en commençant par 500 taxis pendant la première phase. Les organismes chargés de faire respecter la loi ont déjà délivré un certificat de non-objection pour la mise en œuvre du projet. L’application fournira aux clients des informations au sujet des chauffeurs et sera dotée d’un système de localisation par GPS ainsi que d’un bouton d’alerte pour assurer la sécurité des passagers.

Ces changements pourraient cependant s’accompagner d’une hausse des prix pour les utilisateurs. L’association des taxis de Calcutta a en effet réclamé une augmentation de 15 % du tarif existant, qui est de 25 roupies [environ 30 centimes d’euro] pour les deux premiers kilomètres et de 12,5 roupies par kilomètre pour le reste du trajet.

Des applications fleurissent partout

À Bombay aussi, deux associations de taxis ont uni leurs forces pour défier Uber et Ola en lançant l’application 9211. Celle-ci permet aux clients d’utiliser leur smartphone pour réserver les taxis noir et jaune. L’application, lancée en janvier, offre aussi aux clients la possibilité de commander un véhicule par le biais d’un centre d’appels. Elle applique les tarifs approuvés par le gouvernement, soit un tarif de base de 22 roupies pour le premier 1,6 kilomètre. Pour le moment, les clients peuvent seulement régler en espèces, car l’application n’offre pas de service de paiement en ligne. Les chauffeurs de taxi qui souhaitent être répertoriés sur cette plateforme devront s’inscrire et accepter de se soumettre à une vérification policière.
Début août 2016, un groupe de 250 chauffeurs de taxis est allé encore plus loin en offrant à ses clients un rabais de 20 % sur le prix du trajet si le véhicule était réservé par le biais du service 9211. Or le rabais s’appliquait seulement aux taxis réservés depuis un certain quartier. Un représentant de 9211 a dit que la plateforme était prête à renoncer à sa commission (absorbant ainsi en partie les pertes liées au rabais) pour élargir sa clientèle.

Gagner la faveur des clients

Tout cela survient alors même qu’Uber tente de courtiser les chauffeurs de taxis noir et jaune de Bombay en leur proposant d’adhérer à un programme qui facilite l’acquisition des voitures qu’ils conduisent (de nombreux chauffeurs de taxi louent leurs véhicules à des tiers). Le programme est appelé “Mi Pan Malak” [“je suis propriétaire, moi aussi”].

Les chauffeurs de taxis conventionnels cherchent aussi à améliorer leurs services afin de regagner les parts de marché qu’ils ont perdues. Les Fiat, autrefois omniprésentes, ont été remplacées par des voitures plus spacieuses, équipées d’une suspension et d’un système de climatisation efficace. Certains ont même mis en place un bouton d’alerte dans l’habitacle du véhicule pour que les clients – en particulier les femmes – se sentent en sécurité. Afin d’augmenter leurs revenus, les propriétaires de taxis acceptent également que leurs véhicules servent de supports publicitaires.

Apna Cabs est un autre acteur de l’industrie du taxi de Bombay. L’entreprise tente de rassembler sur une même plateforme les taxis noir et jaune de la capitale financière indienne. Selon ses responsables, elle aurait déjà réussi à convaincre plus de 1 600 chauffeurs de taxi et elle étendra bientôt ses activités à d’autres villes comme Delhi, Bangalore, Hyderabad et Poona.

Du nord au sud du pays

A Delhi, le gouvernement fait la promotion de Pooch-O, une application qu’il a lui-même conçue et qui permet aux utilisateurs de commander un tricycle motorisé ou un taxi en appuyant simplement sur une touche de leur téléphone. L’application a été lancée l’an dernier pendant la période d’expérimentation du programme de circulation alternée. Le gouvernement – qui subit d’importantes pressions de la part des syndicats pour réglementer les plateformes de VTC, et notamment pour interdire la tarification dynamique, ce qu’il a fait en avril dernier – organise des campagnes publicitaires pour encourager les chauffeurs à s’inscrire.

Dans le sud du pays, le gouvernement de l’État du Karnataka a publié une réglementation détaillée concernant les applications de taxi afin d’encadrer les activités d’acteurs comme Ola et Uber. La réglementation fixe notamment un plafond de prix.

Jugnoo, plateforme spécialisée dans les déplacements en autorickshaw, a quant à lui supplanté Ola en termes de nombre de véhicules enregistrés sur sa plateforme. Lancé dans 25 villes, y compris Ahmedabad et Indore, Jugnoo offre en moyenne 3 000 trajets par jour sur ces marchés. L’application affiche plus de 2,8 millions de téléchargements et se targue d’offrir des tarifs 45 % moins élevés que ceux d’Ola.